Journée d'étude, 22 novembre 2017

Littératures tympaniques: des sons et de leur mise en texte

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L’iconicité phonique des mots et leur exploitation littéraire ont fait l’objet de recherches qui n’abordent cet objet qu’en rapport avec les caractéristiques énonciatives de la voix dans sa dimension narratologique ou en fonction de ses caractéristiques poétiques. Ces analyses (Gauvin, 2004; Rabaté, 1999; Martin, 1998; Meizoz, 2001) éclairent les modalités formelles d’une poétique de la vocalité mais elles omettent de considérer de quelle socialité et de quelle historicité sont chargés ces phénomènes.

Cette journée d’étude a pour ambition d’esquisser une lecture différente de la dimension sonore d’une œuvre, une lecture attentive à la textualisation du son ainsi qu’à l’historicité et à la socialité des textes. Ces sons se remarquent d’abord parce qu’ils altèrent visuellement le texte et modifient sa typographie, son orthographe et sa ponctuation. Une telle trame sonore produit une série d’incidences et de ruptures syntaxiques qui sont généralement le fait de l’économie du discours oral et de l’expression elliptique ou abrégée qui le caractérise. D’un point de vue lexical, la bande sonore d’un roman ou d’un poème peut naître d’une oralité enracinée dans un sociolecte particulier ou simplement de l’abondance d’interjections, d’exclamations, d’onomatopées, d’homéotéleutes, etc. Signifiante, cette suite sonore est à l’origine de parasitages sémantiques, de brouillages, de torsions discursives qui perturbent et déforment le sens des énoncés. Enfin, ces phénomènes sonores s’accompagnent souvent de l’intrusion de vocables étrangers, intrusion qui atteste un désir de faire entendre d’autres langues au sein de la sienne propre et peut même conduire à une babélisation du langage.

Étudier ce mode d’expression orale suppose d’identifier comment les sons affectent les formes romanesques ou la prosodie d’un poème, mais implique aussi de comprendre comment, par ces perturbations, la littérature réinvente l’histoire et le social. En effet, la bande sonore qui traverse les textes littéraires peut porter atteinte à l’ensemble des règles normatives de la langue écrite. Ce faisant, elle désigne la taxinomie et la vision du monde que suppose la culture scripturale comme une forme de censure linguistique et culturelle propre à la littérature elle-même. Si elle relève bien d’une mise en procès de la littératie, tout le paradoxe de cette langue oralisée tient à ce que la mise en procès qu’elle fait de la scripturalité ne peut prendre forme que par la littérature en tant qu’art du langage, et à la condition seule d’un retour du poétique et de la performativité du signifiant dans le narratif.

C’est donc à la question de la dimension sonore des textes littéraires qu’a été consacrée la journée d’étude «Littératures tympaniques: des sons et de leur mise en texte».

Communications de l’événement

Jean-François Richer

Les bruyants objets de «La Comédie humaine»

«Quelle formidable sonothèque du 19e siècle que la Comédie humaine d’Honoré de Balzac. S’il faut la lire, il faut également l’entendre. Pour qui veut bien y tendre l’oreille, le roman balzacien fait jouer une trame sonore à plusieurs pistes.

Piste 1: Les objets, les choses, les outils, les ustensiles, les vêtements de la vie, du plaisir et du travail.

Piste 2: Les armes, les épées, les canons, les éperons et dans la suite desquels je mettrais l’argent, les écus et le bruit de lord.

Piste 3: Horloge, clocher, sonnette, cadran: toutes les déclinaisons de la cloche qui vont du grand campanile qui résonne au petit grelot qui tinte en passant par la bruyante sonnette pendue sous les portes cochères.

Piste 4: Les bruits des moyens de transport: les carrosses, les omnibus, les berlines où l’on entend chez Balzac et celui des chevaux et aussi, dans la foulée, chiens, poules, corbeaux et rossignols. Un bruyant bestiaire qui meule, qui aboie, qui hennit aux quatre coins de la Comédie humaine.

Piste 5: Appelons la topophonie. Maison, plancher, salle, voute, arcade, porte, fenêtre et escalier, soit toutes les vibrations du construit habitable que Balzac ne cesse de détailler, de relever, de noter, de narrer.

Piste 6: Les bruits de la nature, les sifflements, les grondements, les orages, le tonnerre.

Piste 7: Les mains et les pieds.

Piste 8: Les contrepoints sciemment creusée dans cette trame bruyante pour mieux en faire gouter les saillies, à savoir les silences.

Piste 9: Les bruits pulmoniques, c’est-à-dire tous les sons du corps humain : gémissement, battement, geignement, craquement, ronflement, baiser, soupir et autres râlements.

Piste 10: La dernière, la plus importante, celle qui était consacrée sans doute au son préféré de Balzac, celui de la voix humaine.»

Pierre Popovic

Mâow, Rrogntudjü, Hihihiaââr… «La symphonie Lagaffe» par André Franquin

«L’univers de Gaston Lagaffe est un univers extraordinairement sonore et bruyant. Le lecteur se met parfois à penser à la Symphonie Mécanique de Jean Mitry ou à la pantomime musicale du secrétaire tapant à la machine à écrire de Jerry Lewis, à ceci près que, lisant la bédé, le lecteur lit le bruit ou le son, mais ne l’entend pas, si ce n’est par une sourde impression intérieure qui serait à l’ouïe ce qu’est à l’odorat l’exemple bien connu de l’oeuf annoncé pourri par un comédien sur scène alors qu’il n’y en a absolument pas dans la scène de théâtre.

Cela fait des sons de bande-dessinée l’équivalent d’un bruitage inaudible, mais néanmoins perçus par une oreille intérieure, et cela fait de la bande-dessinée, me semble-t-il, l’héritière paradoxalement présomptive, quoique tardive, du cinéma muet.»

Jean-François Chassay

Georges Perec: l’œil écoute

Dans cette communication, Jean-François Chassay s’intéresse à la question des sonorités écrites au sein du roman de George Perec La Disparition. Ce récit, écrit sans jamais avoir recours à la lettre «e», donne lieu à diverses réécritures aux sonorités distinctes.

Marie-Ève Fortin

Voyages bruyants en «hypermodernie». Le bruit-écran dans «Autour du monde» de Laurent Mauvignier

«Je souhaite explorer l’utilisation et la mise en texte des sons, et plus particulièrement des bruits, dans un roman contemporain publié en 2014 aux Éditions de Minuit par l’écrivain français Laurent Mauvignier et intitulé Autour du monde.»

Sylvain David

Un roman de l’auditeur: la trilogie punk d’Alain Cliche

«La trilogie de Cliche propose ce que l’on pourrait appeler un “roman de l’auditeur”.

Je vais m’intéresser à cette dynamique narrative selon quatre perspectives distinctes, mais complémentaires: le punk comme catalyseur existentiel, le punk comme fédérateur de communautés, le punk comme vision du monde ou idéologie et, enfin, le punk comme projet d’écriture.

Il s’agira chaque fois de se demander ce que peut la littérature face à un phénomène d’ordre essentiellement sonore.»

Bernabé Wesley

Du babil de l’enfance au Babel du français. «Éboueur sur échafaud» d’Abdel Hafed Benotman

«Ce que je vous présente aujourd’hui est la deuxième conférence que je fais sur ce projet de postdoctorat qui porte sur les sons dans le roman contemporain. Je vais vous parler d’Abdel Hafed Benotman, qui est un auteur peu connu mort en 2015, et je vais m’arrêter plus précisément sur un roman que l’on a déjà évoqué au CRIST à deux reprises: Éboueur sur échafaud.»

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