Colloque, 23 et 24 mars 2017

Formes et enjeux de la transmission dans les fictions pour ados

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Les 23 et 24 mars 2017 se déroulait, à l’Université du Québec à Montréal, le colloque Formes et enjeux de la transmission dans les fictions contemporaines pour les adolescent.e.s, un événement organisé par Sylvain Brehm, professeur au Département d’études littéraires de l’UQAM, et Maude Lafleur, doctorante en études littéraires de l’UQAM.

Depuis les années 1980-1990, de nombreuses fictions (littéraires, télévisuelles et cinématographiques) représentent des univers juvéniles dont les personnages principaux sont des adolescent.e.s. Elles rendent compte de la complexité du «moment adolescent» (Corroy, 2014) et de la diversité de ses manifestations en mettant notamment en scène les relations plus ou moins harmonieuses avec la famille, les adultes (les enseignant.e.s, par exemple) et les pairs. La place ainsi accordée aux interactions des personnages adolescents avec leur entourage n’a rien de surprenant si l’on considère que l’adolescence est une période de la vie fortement soumise à une tension entre individualisation et socialisation (Tap, 1991; Goslin, 2007). Dans son analyse consacrée aux «adonaissants» François de Singly (2006) constate que la majorité des adolescent.e.s ne se sentent pas en rupture avec le monde des adultes et établissent plutôt des allers-retours féconds entre ce monde et le leur. Dominique Pasquier (2005), en revanche, souligne l’existence d’un clivage croissant entre l’univers des adolescent.e.s et celui des adultes et de l’école. Elle porte également un regard assez pessimiste sur la nature des relations que les jeunes entretiennent entre eux. En évoquant une «tyrannie de la majorité», elle met l’accent sur la pression opérée par les pairs.

Bien que de nombreux travaux aient été menés sur les fictions pour adolescent.e.s, qu’elles soient littéraires (Pouliot, 2000; Di Cecco, 2000; Chelebourg, 2010; Nouhet- Roseman, 2011; Louichon et Brehm, 2016), cinématographiques (Lachance et al., 2009; Paris et Dupont, 2013) ou télévisuelles (Mc Kinley, 1997; Pasquier, 1999; Julier-Costes et al., 2014; Hubier, 2014), la question de la transmission (ses formes, ses enjeux, ses objets) envisagée conjointement dans les fictions littéraires, télévisées et cinématographiques demeure inexplorée. Nous souhaitons l’examiner à partir de deux perspectives qui pourront être pensées de manière distincte ou complémentaire: 

Qu’est-ce qui circule et s’échange entre les personnages (valeurs, normes comportementales, histoire familiale, mémoire d’une communauté, etc.)? Quel est le statut des personnages engagés dans ces relations (parents, autres adultes, pairs)? Quel type de relations de transmission sont représentées: verticales et descendantes (parents/adolescent.e.s), verticales et ascendantes (adolescent.e.s/parents) ou encore horizontales (entre adolescent.e.s)? À titre d’exemples, des romans comme Ophélie (Gingras, 2008) et La plus belle fille du monde (Desarthe, 2009), de même que le film Breakfast Club (1985) ou les séries télévisées Skins UK (2005-2013) et The 100 (2014 — ) illustrent bien des formes de sociabilité qui s’organisent dans un monde sans adultes ou en marge de celui des adultes, ces derniers étant déficients, absents ou peu dignes de confiance. Les contributeurs-trices seront invité.e.s à s’interroger sur le regard que les créateurs-trices (auteur.es, scénaristes, illustrateurs-trices) portent non seulement sur les adolescent.e.s mais aussi sur les adultes d’aujourd’hui.

Qu’ils évoluent dans un cadre réaliste, fantastique ou historique, les personnages adolescents incarnent des modèles d’action et de pensée, comme l’attestent les nombreuses analyses consacrées à des séries littéraires et cinématographiques telles que Harry Potter (Virole, 2001; Smadja et Bruno, 2007) ou Hunger Games (Casta, 2015; Schutz, 2015). Outre les sujets qu’elles abordent (découverte de la sexualité, quête identitaire, expériences transgressives, etc.), les fictions destinées aux adolescent.e.s tiennent également compte des caractéristiques de leur lectorat et de leur auditoire. En effet, «l’immersion fictionnelle» (Schaeffer, 1999) et la relation psychoaffective qui se noue avec les personnages (Pasquier, 1999; Talpin, 2003; Chalvon-Demersay, 2001) sont des ressorts privilégiés de la lecture et du visionnement de séries ou de films à l’adolescence. Ainsi, même s’ils sont créés par des adultes, les personnages adolescents peuvent devenir des modèles ou des contre-modèles pour les lecteurs-trices, et pour l’auditoire. Quelles sont, à cet égard, les stratégies narratives mises en oeuvre pour assurer l’«appropriation» 
(Ricoeur, 1981) par les adolescent.e.s des personnages et des normes qu’ils incarnent?

Communications de l’événement

Denis Jeffrey

Le monstre initiatique à l’adolescence

Dans cette communication, Denis Jeffrey s’intéresse à la fonction initiatique du monstre dans les rites de passage pubertaires. Après avoir exploré ce phénomène dans les sociétés traditionnelles, la même question est abordée dans son actualisation contemporaine au sein des contes et des séries pour jeunes.

Adeline Caute

Le sacrifice et son genre dans «Harry Potter» et «Twilight»

«Depuis les années 1980, le monde du livre est profondément bouleversé par la multiplication des best-sellers ainsi que parce que Lylette Lacote-Gabrysiak nomme “la montée en puissance de la littérature jeunesse”.

Dans cette catégorie, à l’échelle internationale, il convient de constater l’importance des productions de langue anglaise en tête desquelles on trouve toujours la saga Harry Potter de l’auteur britannique J.K. Rowling. Depuis 1997, année de parution du premier tome de la saga, d’autres séries de livres se sont inscrites dans une mouvance semblable, même si leur postérité n’a pas atteint l’ampleur d’Harry Potter. Notons, entre autres, les quatre tomes de la série Twilight vendus à plus de 120 millions d’exemplaires.»

Catherine Côté

«And learn until our brains all rot»: de la transmission du savoir dans la série romanesque «Harry Potter» de J. K. Rowling

«À Poudlard, tous sont les bienvenus. L’ouverture d’esprit règne, sauf chez les Serpentards, là où l’intolérance est maître. Sinon, tous les élèves peuvent se sentir chez eux à Poudlard, peu importe leurs origines ou leurs habilités.

Poudlard est donc un lieu où il est possible de s’épanouir, de tisser des amitiés et de faire des apprentissages incroyables. Ce sont ces apprentissages qui seront au coeur de la présente communication. Ou, plutôt, les modalités de la transmission du savoir dans l’univers d’Harry Potter.

Nous retrouvons deux approches principales face à cette idée de transmission du savoir: une première visant une plus grande agentivité de la part des étudiants, et une ayant pour objectif, au contraire, le musellement des esprits libres. Nous les examinerons une à une, tentant de répondre à la question suivante: quelle est la conception des logiques de transmission du savoir véhiculée dans la série Harry Potter?»

Isaac Bazié

Le monde en «jeux»: Regards d’adolescents sur des univers d’adultes en rupture dans le roman africain

«Penser la transmission m’apparaît digne d’intérêt dans la mesure où celle-ci suscite des questions théoriques liées à un ensemble hétérogène de pratiques et de contenus dont la pérennisation passe par ce qu’il est convenable d’appeler des figures d’autorité, au nombre desquelles il faut compter celle du père.

Subséquemment, la transmission soulève aussi la question relative à la constitution des traditions et aux modalités qui président à l’établissement des cadres de référence collectifs dont le maintien à travers le temps permet de conserver la cohésion d’un cadre social, culturel et politique dans lequel les adultes de demain pourront jouer un rôle

Camylle Gauthier-Trépanier

L’adolescente initiée: double dialogue entre l’ici et l’ailleurs, le passé et le présent

«Les romans pour adolescents se tournent souvent vers le roman fantastique ou d’aventures pour stimuler l’intérêt des lecteurs masculins. Je pense ici à des cycles comme Amos d’Aragon, Harry Potter ou encore Léonis.

Au contraire, les romans socio-réalistes, eux, semblent susciter davantage l’attention des filles. Toutefois, c’est un genre qui intègre plus difficilement des scénarios initiatiques, c’est-à-dire des intrigues centrées autour d’une mort symbolique qui permet au protagoniste d’abandonner son état initial et de renaître autre.

Le contexte de ces romans impose certaines limites quant à la représentation des différentes étapes de l’initiation, que j’ai divisée en trois: la préparation, la mort symbolique et la renaissance.»

Sylvain Brehm

L’expérience de l’altérité culturelle dans «L’Intouchable aux yeux verts» de Camille Bouchard: du rejet à l’acceptation

«Camille Bouchard est un écrivain prolifique et un grand voyageur. Plusieurs de ses romans jeunesse se déroulent en Afrique ou en Asie, à l’instar de L’intouchable aux yeux verts qui à pour cadre l’Inde, et plus précisément Bénarès.

Ce roman met en scène un adolescent de 16 ans, Dominic, qui se retrouve du jour au lendemain errant à Bénarès au milieu des enfants des rues. Cette expérience, qui ne dure que quelques jours, s’avère décisive, au point où on peut lui accorder une valeur formatrice.»

Monique Noël-Gaudreault

Bouddhisme et adolescence en littérature jeunesse: stratégies de transmission de valeurs à un jeune Québécois en visite au Myanmar

«Pour parler de transmission, j’ai pensé qu’il n’y avait rien de mieux que la littérature jeunesse. Pour en illustrer la portée didactique, je vous propose une petite incursion dans le roman La révolte d’Élisabeth Turgeon.

Le but de la présente communication est donc de décrire, à partir d’une grille didactique, le processus de transmission de valeurs destinées à un adolescent, “à trouver le chemin à emprunter pour se rendre jusqu’à lui même”.»

Mélanie Roy

Dynamique de l’identité culturelle et transmissions intergénérationnelles dans le roman pour adolescents «Alexis» de Marie-Célie Agnant

«Dans le cadre de ce colloque sur les formes et enjeux de la transmission, je souhaite dépeindre la complexité des transmissions intergénérationelles entre les personnages en ce qui a trait à l’identité culturelle, notamment dans un contexte d’immigration et d’exil dans le diptyque pour adolescents Alexis de Marie-Célie Agnant.

En étudiant les interactions sociales entre les personnages mis en scène dans cette oeuvre jeunesse, de manière à mettre en lumière les types de transmissions intergénérationnelles, verticales et descendantes (des parents aux enfants), verticales et ascendantes (des enfants aux parents) et horizontales (des adultes aux adultes, des enfants aux enfants), je serai en mesure de souligner l’influence qu’exercent les personnages les uns sur les autres dans leur processus de construction identitaire et la variété des rapports possibles à l’identité culturelle.

Pour ce faire, je tenterai d’illustrer comment l’expérience migratoire constitue une sorte de passage, de rite initiatique, qui conduit Alexis, le héros du diptyque, de l’enfance à l’âge adulte et comment ce passage se caractérise par une évolution des rapports qu’il entretient par rapport aux membres de son entourage.

Ainsi, l’objectif visé par cette communication est d’illustrer, à travers une fiction contemporaine pour adolescents et adolescentes, les formes, les types de transmission intergénérationnelle et les enjeux, les héritages familial et culturel et les valeurs associés à la transmission au cours d’un processus de construction et redéfinition identitaire chez des personnages ayant fait l’expérience de la migration et de l’exil.»

Maude Lafleur

Image corporelle et poids: les grosses questions de l’adolescence

«Au cours de cette communication, il s’agira de questionner la représentation du corps gros dans littérature contemporaine pour adolescents afin de comprendre les modèles qu’on transmet aux jeunes lecteurs.

Bien souvent, le corps gros est présenté comme une problématique qu’on doit enrayer coûte que coûte. Dans un nombre consternant de romans –on parle ici de littérature pour adolescents, mais aussi de littérature pour adultes– la maturité et la grosseur sont complètement incompatibles. Le poids excédentaire devient symbole d’une faute morale.»

Marion Gingras-Gagné

«Vers soi» et «vers l’autre». Fonction duelle du journal intime comme espace du «moi» et comme lieu d’émancipation intellectuelle dans la fiction pour adolescentes «Ultraviolet» de Nancy Huston

«Par le type de focalisation qu’il privilégie, le choix du journal intime comme narration dans les fictions adolescentes permettra à l’auteur de mettre l’accent sur le conflit intérieur du personnage et ses émotions, prenant alors la forme soit d’un confident, ou même d’un outil thérapeutique. En effet, le journal intime renforcerait le sentiment du moi chez l’adolescente et lui permettrait de réfléchir sur elle-même tout en centrant l’histoire sur son seul point de vue.

Mais parce qu’il se replie sur l’intimité du personnage, le journal intime participerait surtout à un rétrécissement de l’univers adolescent.»

Marie Demers

Antiracisme, xénophilie et allosensibilité. Analyse des dynamiques de pouvoir dans «The Absolutely True Diary of a Part-Time Indian» de Sherman Alexie

«Le roman autobiographique de l’auteur américano-amérindien Sherman Alexia, intitulé The Absolutely True Story of a Part-Time Indian, me servira de modèle pour illustrer le discours alternatif issu de la young adult litterature: personnages non-blancs, socialisation atypique, renversement des rapports de pouvoir et des normes sociales.

Je concentrerai mon étude sur éléments allocentristes, xénophiles et antiracistes du message de l’auteur-narrateur.»

Philippe St-Germain

Transmission, greffe et rite de passage dans «Noggin» (2014), de John Corey Whaley

«Que ce soit par le truchement du symbole, ou dans la matérialité de son exécution, la greffe est un thème privilégié pour approfondir le thème de la transmission. Surtout quand la chirurgie implique plus d’un organisme, comme dans l’allogreffe qui exige le transfert de tissus ou d’organes d’un corps à un autre, ou comme la xénogreffe, quand le donneur et le receveur appartiennent à des espèces biologiques différentes. Il y a tout lieu, alors, de se demander ce qui passe grâce à la chirurgie.

Et on ce l’est souvent demandé. On pourrait même soutenir qu’un des sous-thèmes les plus fréquents dans les fictions sur le thème de la greffe est ce qu’on a parfois appelé la mémoire cellulaire: une théorie selon laquelle les cellules renfermeraient des traces de la personnalité et des goûts du propriétaire originel de ce qui a été greffé. Or, les scientifiques ne reconnaissent pas la validité de la mémoire cellulaire.»

André-Philippe Lapointe

«Nimona». De la dynamique métamorphe à la totale métamorphose du récit de formation chevaleresque

«Le personnage central de mon oeuvre étant une métamorphe, la question de la métamorphose ne cessera de se manifester dans mon exposé. Je m’intéresserai au personnage de Nimona en analysant sa relation avec son mentor et en insistant toujours sur le contexte dans lequel apparaissent ses personnages.

Je finirai en expliquant comment le récit de formation se transforme presque naturellement en récit apocalyptique.»

Matthieu Freyheit

Efface tes traces, transition posthumaine et enjeux de transmission dans «The Giver» de Lois Lowry

«L’autorité de la transmission ne vaut pas tant, chez Lowry, pour son contenu que pour sa forme, à savoir le récit dans lequel il m’appartient de m’inscrire à partir de ma singularité.

L’autorité de la transmission n’est donc pas envisagée comme un mouvement unilatéral, mais elle s’apparente davantage à la conscience critique telle que la définit Georges Poulet, c’est-à-dire “la coïncidence de deux consciences”, une image opposée à celle qui serait de l’imposition d’une conscience dominante sur une conscience écrasée devenue muette et n’accédant au discours que dans la répétition.

Au contraire, la conscience critique, issue du rapport d’autorité de la transmission, se traduit par l’usage de deux compétences qui viennent en réalité contrecarrer la logique de la stricte reconduite.»

Jean-François Lebel

La littérature dystopique pour adolescent.es: Réflexions sur son potentiel et ses valeurs littéraires et politiques

«On ne peut que remarquer la popularité actuelle des dystopies dans le champ de la littérature pour young adults, de même que le succès commercial des adaptations tirées de ces romans.

La publication de plusieurs ouvrages collectifs sur la littérature dystopique pour young adults dans la dernière décennie indique l’intérêt universitaire grandissant pour ce corpus. Ces ouvrages collectifs ont été publiés dans les dernières années entre 2003 et 2014. Certains titres abordent la question de manière générale. D’autres posent un regard et des questions plus spécifiques à l’intérieur du corpus.»

Camille Zimmerman

Dystopies et jeunes filles fortes: La repolitisation du Girl Power dans les années 2010

«Le lien entre girl power et enjeux de transmission entre adultes et adolescents est évidemment très fort puisque ce mouvement spécifiquement destiné à la jeunesse est une forme plus ou moins satisfaisante du féminisme, et que l’un des grands points de lutte de ce dernier est l’éducation, notamment celle des filles, mais aussi celle des garçons, pour qu’ils puissent faire face au sexisme et au patriarcat inscrits dans la société.

Ce n’est pas sans raison que je parle d’une forme plus ou moins satisfaisante de féminisme. Depuis la création de la girl power, le message idéologique qui est lié a fortement varié. Du plus agressif et revendicateur au plus lissé et vendeur, les nombreuses fictions associées au girl power permettent de passer par toutes les gammes possibles autour de ces deux extrêmes.»

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