Colloque, 8 juin 2010

Le mythe du futurisme

Geneviève Cloutier
couverture
Imaginer l’avant-garde aujourd’hui. Enquête sur l’avenir de son histoire, événement organisé par Bertrand Gervais et Sylvano Santini

L’avant-garde, dans l’imaginaire contemporain, se voit réduite pour l’essentiel à deux choses. D’une part, on la confond avec une esthétique historiquement marquée –le style «avant-garde». D’autre part, on l’associe à une philosophie de l’histoire, exaltante mais aujourd’hui dépassée, marquée par une confiance absolue en l’avenir, en le progrès –en d’autres mots, une philosophie futuriste. C’est ainsi qu’à notre époque qui se veut lucide, l’œuvre des avant-gardes artistiques est devenue un véhicule de nostalgie, de cette nostalgie collective d’un «avenir radieux» désormais relégué au passé.

L’examen de la production des avant-gardes historiques vient toutefois mettre en relief certains aspects problématiques de cet imaginaire collectif. Aussi, en partant de quelques-uns des concepts-clés associés à des mouvements d’avant-garde aussi emblématiques que dada ou le mal-nommé futurisme russe –celui de «fuite hors du temps», dont Hugo Ball a fait le titre de son journal, ou encore celui de «mondalenvers», récurrent chez les futuristes russes, –je défends la thèse que la conception «futuriste» de l’histoire est à peu près étrangère aux fondements philosophiques de ces mouvements. En effet, au lieu de faire ressurgir les lieux communs que l’on associe habituellement aux avant-gardes– leur soi-disant appétit de destruction, leur volonté d’en finir avec les morts, leur éternelle course en avant–, ces concepts et les textes dans lesquels ils sont introduits traduisent une volonté d’aller contre le cours du temps, voire même une méfiance fondamentale à l’égard de celui-ci et de son caractère destructeur.

Pour dire les choses autrement, ce qui ressort de l’analyse de ces concepts, c’est l’étonnante proximité entre la vision de l’histoire de certains acteurs majeurs de l’avant-garde et celle qui domine à notre époque, dont François Hartog, dans Régimes d’historicité, a bien mis en relief la nature fondamentalement «présentiste». Est-ce donc dire que ce que nous percevons comme l’un des principaux obstacles à simplement envisager la possibilité d’une avant-garde aujourd’hui –l’inactualité de sa philosophie de l’histoire– ne repose sur rien?

Geneviève Cloutier est stagiaire postdoctorale à Figura où elle travaille sur les résurgences de l’avant-garde dans la culture contemporaine. Titulaire d’un doctorat en littérature comparée et en études slaves, elle est l’auteure d’une thèse sur la «terreur de l’histoire» dans l’avant-garde russe.

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