Colloque, 8 juin 2010

«Faire son temps». Guy Debord historien de l’avant-garde

Éric Trudel
couverture
Imaginer l’avant-garde aujourd’hui. Enquête sur l’avenir de son histoire, événement organisé par Bertrand Gervais et Sylvano Santini

On sait comment Guy Debord revient, dans son dernier film, In Girum Imus Nocte et Consumimur Igni (1978) –«l’histoire de ma vie»–, comme d’ailleurs dans Panégyrique (1989) –texte où il entreprend «aussi froidement que possible» d’écrire «ce que j’ai fait»–, sur l’aventure situationniste alors même que passe et disparaît le rêve révolutionnaire. Au geste, intime, du mémorialiste vieillissant se prenant lui-même pour sujet s’adjoint une ambition pourtant plus large: «l’examen historique, théorie, essai» de «l’assaut» ultime de l’avant-garde et des années passées «le couteau à la main.» Car toute génération passe, «toutes choses ont leur temps» et Debord, mélancolique, s’interroge: où ces passions «ont-elles mené», et comment «vivre des lendemains qui soient dignes d’un si beau début?» En s’efforçant de raconter lui-même «l’appareillage d’une époque pour la froide histoire» l’auteur cherche, bien sûr, à anticiper une mise en récit à venir à laquelle il résiste. Cet effort reste pourtant paradoxal. Car si film et récit s’écrivent après que l’avant-garde a «fait son temps», Debord affirme aussi que «la sagesse ne viendra jamais», suggérant par là qu’un regard rétrospectif, à la fin, ne peut en aucun cas être séparé de ce «si beau début.»  Comment comprendre cette curieuse position énonciative par laquelle l’avant-garde, sûre de sa dissolution, s’imagine comme objet de mémoire? Si l’enjeu de l’avant-garde, selon Debord, est de «faire son temps» (dans tous les sens du terme), celle-ci reste aussi témoin de ce qui ne passe pas, et s’affirme dans l’évidence d’un éternel retour. Cela, le titre-palindrome du film testamentaire le suggérait déjà: l’histoire de l’avant-garde qui s’écrit peut aussi bien être lue à l’envers, et ramener au (re)commencement. Ainsi Debord pouvait-il affirmer être sans regret: «puisque ne pouvant rien faire d’autre, j’ai certainement fait ce que je devais.»

Éric Trudel est professeur agrégé en langue et littérature françaises à Bard College. Il est l’auteur de La Terreur à l’œuvre. Théorie, poétique et éthique chez Jean Paulhan (PUV, 2007), le co-éditeur de deux ouvrages collectifs, Jean Paulhan on Poetry and Politics (University of Illinois Press, 2008) et Accessoires.

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