Colloque, 17 au 19 octobre 2018

Une virile imposture? Construction du jeune homme dans la littérature

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Force, courage, sens de l’honneur, goût de la conquête, de la gloire, sens du sacrifice, patriotisme, valeur de la belle mort (au combat et héroïquement), contrôle de soi, puissance sexuelle, etc. Il en faut beaucoup pour être un homme, un «vrai». Ou plutôt, il en faut beaucoup pour être un homme viril.

Bâtie à coup de stéréotypes, la virilité semble bien une construction sociale toujours historiquement située et utilisée pour théoriser la supériorité du masculin sur le féminin. Mais pour la philosophe Olivia Gazalé, les femmes ne sont pas les seules victimes de ce mythe de la virilité. Les oppresseurs seraient eux aussi oppressés par leur propre outil de domination [Gazalé, 2017]. Les hommes, constamment contraints de faire la preuve de leur masculinité, tentent de répondre tant bien que mal aux injonctions qu’imposent les stéréotypes de la virilité. Réduits à un nombre limité de caractères et de valeurs supposés les consacrer en tant qu’hommes, ils sont amputés d’une grande partie de leur vie psychique, sociale et familiale. Les masculinités gagneraient ainsi à s’emparer, comme les féministes l’ont fait et continuent de le faire, du profond travail de déconstruction des lieux communs et stéréotypes aliénants.

Pour Françoise Héritier, «l’âge d’homme, c’est le trou noir et le référent ultime» [Héritier, 1996: 303]. Notre société peine à voir et à penser les normes de la masculinité, ce qui en fait un terrain fertile pour la reproduction des rapports de genre et de pouvoir. Néanmoins, ces dernières années sont marquées par l’émergence de réflexions sur les hommes. La recherche universitaire s’empare enfin de la question et remet en cause le supposé état de crise de la virilité.

L’anthropologue Mélanie Gourarier émet l’hypothèse que l’état de crise serait constitutif de la virilité et ne serait, non pas la marque de son affaiblissement, mais l’outil de son affermissement: «la rhétorique de la crise de la masculinité […] [devrait être] ainsi appréhendée comme une ressource discursive potentiellement mobilisable, d’ailleurs historiquement mobilisée, afin de reproduire un ordre social qui, passant pour menacé, se transforme, s’ajuste et se normalise» [Gourarier, 2017: 11]. Alors, comment devenir homme quand les repères et les modèles donnés sont constamment perçus comme étant en danger?

Le mythe de la virilité et son état de crise permanent nous apparaissent ainsi, plus que jamais, une question qu’il convient de poser à la littérature puisque celle-ci se révèle être un terrain propice à leur déconstruction. Les romans font partie des rares lieux où il est possible de révéler cette imposture en mettant fin à l’idée d’une prétendue transparence et essentialité de la virilité. Ils appuient sur les zones d’ombre qui entourent ce mythe en mettant en scène, non pas une virilité triomphante, mais une virilité du désarroi.

À partir d’angles critiques divers (ethnocritique, sociocritique, psychanalytique, historique, philosophique, etc.), ce colloque entend interroger la place de la littérature dans ce travail de déconstruction. Comment se façonne l’identité individuelle et sociale du jeune homme face aux injonctions à la virilité dans les textes? Comment les œuvres littéraires éprouvent le modèle pour exposer l’imposture qu’est la virilité? La littérature peut-elle être un lieu de reconfiguration de la masculinité face aux changements sociétaux?

Document(s) liés:

Communications de l’événement

Véronique Cnockaert

Introduction. Une virile imposture?

Véronique Cnockaert introduit le colloque Une virile imposture? Construction du jeune homme dans la littérature.

Olivia Gazalé

Puissance et impuissance

«L’hypothèse de mon ouvrage, Le Mythe de la virilité: un piège pour les deux sexes, c’est que le mythe viriliste ne constitue pas seulement une oppression de l’homme sur la femme, mais il constitue également une forme de piège pour l’homme lui-même. En effet, quel est le postulat de base de ce mythe viriliste? Ce n’est rien d’autre que l’idée de hiérarchie des sexes, l’idée de la supériorité essentielle, ontologique du masculin sur le féminin.

Or, ce qui est pernicieux, ce qui est de nature à piéger l’homme lui-même, c’est que cette supériorité masculine n’est pas seulement fondée sur l’idée de puissance et de force, mais également sur le concept de maîtrise. Je voudrais montrer que l’articulation des concepts de maîtrise et de puissance ne vont pas du tout de soi et que là réside une partie du problème masculin.»

Alexis Lussier

J. W. von Goethe et la malédiction du désir

«Je vais essentiellement vous parler d’un épisode qui est raconté dans Poésie et Vérité, les mémoires de Goethe. Dans ces mémoires -avant l’épisode dont je vais parler- dans les souvenirs d’enfance de Goethe, on retrouve le souvenir d’un rêve d’enfant qui ouvre un conte pour jeunes garçons que Goethe intitule Le Nouveau Pâris. C’est un conte qui s’inscrit après coup dans la lignée des contes de Goethe dont La Nouvelle Mélusine, un autre conte que Goethe a imaginé plus tard à la suite de ses aventures amoureuses avec Frédérique Brion.

Au commencement du Nouveau Pâris, il y a un rêve d’enfant. C’est un rêve qui est paradigmatique des rapports que Goethe entretient avec l’image d’un Moi construit sur l’image de l’enfant qui, chez Goethe, affecte toujours une étrange maturité et qui prépare le modèle du jeune homme -on pense tout de suite au jeune Werther ou à Wilhelm Meister, le jeune homme étant lui-même chez Goethe une figure construite sur le mode faustien du rêve éveillé et de la comédie.»

Rachel Corkle

Apprendre et désapprendre à être homme dans «Gabriel» de George Sand

«De son premier succès, Indiana (1832), à son dernier roman, Georges Sand dévoile les injustices dont souffrent les femmes, la manière dont les institutions sociales les oppriment et Gabriel ne fait pas figure d’exception.

Le jeune héros éponyme de Gabriel reconnaît “la grâce et l’honneur d’appartenir à la race mâle”. “Sans doute je pouvais naître femme, réfléchit-il, et alors adieu la fortune et l’amour de mes parents. J’eus été une créature maudite.” Mais attendez, Gabriel est né femme. Le héros de Sand est né femelle, mais il a été élevé comme garçon pour conserver l’héritage familial.»

Nigel Lezama

La Maigritude: la masculinité en crise et en silhouette

«Au XIXe siècle, la virilité s’impose comme valeur primordiale de façon plus systématique à travers des faisceaux de discours puissants.

Alain Corbin entame le deuxième tome de son ouvrage important sur cette histoire en insistant que le discours naturaliste amorcé vers le milieu du XVIIIe siècle trouve son aboutissement dans les normes et les codes de la virilité s’imposant avec force dans le siècle suivant.»

Émilie Bauduin

Virilité et intimité: quand les hommes vont au cabinet de toilette chez Zola

«Au lendemain de la Révolution française, suite à l’abolition des distinctions accordées par les titres de noblesse et la mise en place d’une conception rousseauiste de la citoyenneté, la construction de l’identité individuelle tout autant que la lisibilité du corps social deviennent pour le moins problématiques.

Du point de vue de la virilité et du système de représentations, de valeurs et de normes qui la constituent -et qui, selon l’historien Alain Corbin, atteignent au XIXe siècle leur emprise maximale- cela implique bien des conséquences.

Être un homme, un vrai, signifie dorénavant de pouvoir en faire la preuve.»

Charlotte Coutu & Kasimir Sandbacka

L’apprentissage de la masculinité ou l’échec de la performance dans les nouvelles de Rosa Liksom

«Très peu connue au Québec, Rosa Liksom est une des figures les plus colorées et controversées de la littérature finlandaise contemporaine, mais aussi l’une des plus reconnues. Elle a notamment remporté le plus grand prix de littérature en Finlande, le Prix Finlandia.

Dans un pays où la tradition littéraire est fortement réaliste, Liksom offre une vision du réel qui est tordue, violente, et qui, loin de représenter des personnages qui réussissent à surmonter les multiples difficultés que présente une vie, inscrit ces mêmes personnages dans l’échec.

Dans une écriture fortement ironique et dotée d’un certain humour, les personnages des recueils Le creux de l’oubli, Noirs paradis et Bamalama, tous publiés entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, dévoilent de façon fragmentée une partie de la vie des personnages. Inscrits dans le quotidien et l’intimité, ces récits permettent ainsi d’accéder à la part plutôt sombre de ce qui fait une vie.»

Sophie Audousset & Simon Levesque

Virilité et impuissance chez Michel Leiris: regards croisés sur «L’Afrique fantôme» et «L’âge d’homme»

«Auteur d’une œuvre autobiographique au long cours mû par le motif de la confession, dont la singularité est garante et qui a fait sa renommée, Michel Leiris disait pourtant ne pas considérer l’écriture littéraire autrement que comme un hobby.

Cela ne l’a pas empêché de développer avec la littérature un rapport intime intense à travers lequel il a moins cherché à se transformer qu’à se justifier d’être celui qu’il est, celui qu’il a été, un impuissant.»

Marie Scarpa

Roman et «procès de virilisation»: l’exemple de Flaubert

«Notre démarche d’analyse littéraire s’inscrit dans le sillage d’une anthropologie du symbolique, héritière de Lévi-Strauss, contemporaine des travaux de François Héritier, des travaux d’anthropologie historique aussi, et des avancées en sémiolinguistique.

C’est une anthropologie des sociétés occidentales modernes pour laquelle la construction de l’identité sexuelle a pu se dire en terme d’initiation. Le terme est à entendre dans une acceptation non essentialiste, toujours historiquement située comme le processus de socialisation d’un individu par l’apprentissage des différences de sexe, d’état et de statut.»

Sophie Ménard

L’homme qui enfante, ou comment «donner à la peinture toute sa virilité» («L’Œuvre» de Zola)

«L’homme qui crée doit mettre au monde ses œuvres.

Cette métaphore de l’enfantement masculin qui existe depuis très longtemps en Europe transpose sur le plan de la création, comme l’a remarqué Daniel Fabre, l’accès rituel des hommes par lequel, pendant la période juvénile, ils mettent au monde leur virilité.

Je voudrais aujourd’hui étudier dans une perspective ethnocritique les expériences qui instituent la différence identitaire de l’artiste. L’Œuvre de Zola, roman publié en 1886, qui raconte la vie à l’envers du peintre Claude Lantier, sera mon terrain d’enquête.»

Guy Larroux

Livre du père, place du fils

«J’ai choisi d’entreprendre la question qui nous occupe par le biais d’un genre littéraire. Je ne prétend pas que ce soit la voie la plus autorisée, il s’agit d’une interprétation parmi d’autres du moment contemporain et c’est précisément à ce titre qu’elle me retient.

L’appellation “récit de filiation”, aujourd’hui à peu près acclimatée, désigne des récits écrits par les fils et par les filles à propos de leurs ascendants. Avant l’officialisation de la chose, on trouverait exemplairement Le livre de ma mère d’Albert Cohen ou le W de Georges Perec ou, plus tôt dans le XXe siècle, Sido de Colette, des textes portant les traits de ce qui aujourd’hui s’appelle ainsi.»

Le texte de Guy Larroux est lu par Elaine Després.

Jordan Diaz-Brosseau

Les lecteurs orphelins: paternité, littérature et identité virile dans «La Confession d’un enfant du siècle» et «Louis Lambert»

«Dans le cadre de ma communication, je me pencherai sur Louis Lambert de Balzac, paru en 1832, et sur La Confession d’un enfant du siècle, paru en 1836.

J’ai choisi la figure du lecteur orphelin parce que je crois -et ces deux œuvres le démontrent bien- que les lecteurs orphelins éprouvent directement la question de la virilité. J’aimerais montrer comment ces œuvres se prononcent sur le caractère proprement narratif du mythe de la virilité.»

Ferdinand Laignier

La révolte des fils dans l’œuvre de Marcu Biancarelli, de Michel Houellebecq et d’Angelo Rinaldi

La présentation de Ferdinand Laignier se penche sur Murtoriu: Ballade des innocents de Marcu Biancarelli, La Possibilité d’une île de Michel Houellebecq et La Maison des Atlantes d’Angelo Rinaldi.

«Ces trois œuvres ont en commun de relever l’importance de la question de l’image paternelle dans la société contemporaine. Il s’agit de comprendre la relation que le narrateur entretient avec le père.»

Thomas Carrier-Lafleur

«Lui si féru de virilité». Souvenirs de Charlus et mythologie du jeune homme dans le cinéma de Luchino Visconti

«De quoi la virilité est-elle le nom dans l’univers élargi de Marcel Proust, c’est-à-dire dans ses textes, mais également dans les adaptations de ceux-ci au cinéma?

Je me concentrerai sur le personnage qui incarne le mieux le fonctionnement assez complexe de la virilité dans La recherche du temps perdu, Palamède de Guermantes, le baron Charlus.»

Daniel Maroun

La virilité queer à travers la littérature du SIDA de Guillaume Dustan et Erik Rémès

«Je voudrais vous parler aujourd’hui de la littérature du SIDA de Guillaume Dustan et Erik Rémès, deux écrivains français dont les œuvres témoignent d’une imposture virile, à mon avis.

Il me paraît important de continuer à étudier la littérature du SIDA même si elle est en déclin car cette maladie mettait en question la légitimité de la masculinité des victimes, voire de leur virilité. Or, j’examinerai aujourd’hui comment le concept de virilité est réapproprié dans ces textes pour en faire une virilité queer que j’appelle viralité

Brigitte Krulic

Le lycée de la République, ou comment dresser le troupeau de jeunes mâles («Les Déracinés», Maurice Barrès)

«Je vais vous parler aujourd’hui d’un auteur à la réputation un peu sulfureuse, Maurice Barrès, et je vais mettre l’accent sur son roman Les Déracinés publié en 1887 qui est le premier volume d’un triptyque intitulé Le roman de l’énergie nationale.

Dans ce roman, Barrès retrace l’itinéraire d’un groupe de jeunes Lorrains au Lycée de Nancy qui préparent le baccalauréat de philosophie pendant l’année 1879-1880.»

Denis Jeffrey

Les effets délétères des pratiques scolaires virilistes de jeunes garçons québécois

«Les jeunes garçons, qui sont l’objet de ma présentation, souffrent d’un enracinement très profond dans des valeurs virilistes, patriarcales, des valeurs qui appartiennent à l’ordre patriarcal.

Mon idée de base quand j’ai commencé à travailler sur ce que j’appelais l’hypervirilisation des jeunes garçons, c’est que, depuis les années 1995 au Québec, il y a une hypersexualisation des jeunes filles. Parallèlement, j’ai vu apparaître en même temps une hypervirilisation des jeunes garçons qu’il faut mettre aussi en contexte.»

Quentin Le Pluard

La virilité dans la sphère juridique, approche comparée des droits civil et canonique

«Je vais vous parler de la virilité dans la sphère juridique et de cette approche comparée des droits civils et canoniques, auxquels on pourrait rajouter le droit romain duquel ces deux droits sont héritiers.

Paul Valéry a rangé le code civil parmi les chefs-d’œuvre de la littérature et quelles que soient les qualités rédactionnelles que l’on prête aux nombreux recueils de législation, qu’ils soient contemporains ou non, il est certain que ceux-ci présentent une certaine image des sociétés qui les a portés et dans lesquelles ils sont appliqués.»

Maxime Foerster

Érection ou défaite de la masculinité? La représentation du duel dans la littérature française

«C’est difficile de ne pas penser au duel quand on pense à la question de la masculinité, surtout quand on travaille sur le XIXe siècle. Je vais me concentrer sur trois représentations du duel dans la littérature.

L’institution du duel a fait l’objet de multiples études pour appréhender à la fois sa longévité à travers les siècles, mais aussi l’étendue de sa pratique à travers les pays.»

Sergio Coto-Rivel

Masculinité d’après-guerre en Amérique centrale: violence et hyper-masculinité dans l’œuvre d’Horacio Castellanos Moya

«Horacio Castellanos Moya, écrivain salvadorien, est aujourd’hui un des écrivains centraméricains les plus reconnus en dehors de sa région. Les traductions de ses romans en français, en anglais, paraissent rapidement et leur diffusion est considérable.

Son œuvre, amplement lue et étudiée dans les contextes universitaires américains et européens, est souvent classée dans les productions littéraires de l’après-guerre en Amérique centrale marquée par une esthétique du désenchantement et/ou par un travail de la mémoire récente.»

Marie-Ève Laurin

La virilité comme lecture fantasmatique d’une dynamique des peuples dans «La Pelle [La Peau]» (1949) de Curzio Malaparte

«Longtemps cantonné au rang de mouton noir des lettres italiennes modernes en raison du transformisme idéologique qu’on lui reconnaissait, Curzio Malaparte, né Curt-Erich Suckert, a suscité ces dernières années un regain d’intérêt auprès de la critique.

En 2015, l’Université de Grenoble consacrait à l’auteur une journée d’étude intitulée “Curzio Malaparte: témoin et visionnaire” afin de réinterroger le parcours accidenté de fasciste hérétique et de son œuvre.»

Marion Caudebec

Dur d’être un «dur»: faire le garçon dans «En finir avec Eddy Bellegueule»

«Nous l’avons vu tout au long de ces trois journées, l’idéal viril fait preuve d’une remarquable fixité. Même dans ses reconfigurations, on parvient à retrouver le stéréotype en creux. Ses valeurs socles ont également peu changé en quelques siècles.

Néanmoins, il ne se manifeste pas toujours de la même manière selon l’appartenance de l’individu à tel ou tel milieu social. Le roman En finir avec Eddy Bellegueule d’Édouard Louis met bien cela en évidence. La question de la virilité est centrale dans ce texte. Le jeune Eddy Bellegueule, un fils d’ouvrier du nord de la France, souffre de ne pas parvenir à répondre aux injonctions malgré toute sa bonne volonté.»

Mélanie Gourarier

Défaire la crise des masculinités. Penser le changement social dans une perspective féministe

Mélanie Gourarier présente une synthèse des propos soulevés durant le colloque et propose une lecture féministe de la question de la crise des masculinités.

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