Colloque, 29 avril 2020

Speed-colloque virtuel «Contagion & confinement»

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Alors que la saison printanière des colloques 2020 est annulée et que nous partageons mondialement un confinement à géométrie variable, certains d’entre nous sont débordés et déstabilisés, d’autres, fragilisés et angoissés, et d’autres encore ennuyés et isolés. Dans tous les cas, la situation provoque des réflexions multiples autant sur le plan personnel et individuel, qu’intellectuel et collectif. L’imaginaire de la contagion et du confinement est ancien, bien sûr, remontant à l’Antiquité et au Moyen-Âge. De la peste au choléra, en passant par le sida, la variole et la grippe espagnole, les maladies contagieuses ont écrit notre histoire; elles ont, de tout temps, façonné notre démographie et altéré le tissu social. Et l’imaginaire de la contagion pose toutes sortes de questions philosophiques, sémiotiques et surtout politiques. Michel Foucault notamment nous l’a bien montré: la peur de la contagion et le confinement mènent à l’immobilité, à l’abandon de l’espace public aux forces de l’ordre, à la surveillance et à l’instauration d’un puissant biopouvoir.

Par définition, la contagion est une transmission, elle implique un contact, qu’il soit physique ou symbolique, une circulation. Médicale ou psychologique, elle est le plus souvent néfaste et peut conduire, lorsqu’elle est virale et incontrôlée, à l’épidémie, voire à la pandémie. Mais, par mimétisme ou par contact émotionnel, par empathie, elle permet aussi au rire, au bâillement ou aux larmes de circuler. Et la contagion, au figuré ou par analogie, peut devenir influence, effet, imitation ou inspiration.

Dans le cadre de ce speed-colloque virtuel, Élaine Després et Sarah Grenier-Millette ont proposé aux interventant.e.s de réfléchir aux différentes formes de contagion, qu’elles soient médicales, virales, informatiques, des idées, des mèmes, de la musique, des vidéos, du savoir, des sentiments… mais aussi à cette solution singulière qu’est le confinement. Celui-ci peut être choisi, forcé ou subi. Il peut aussi être complet ou partiel, concret ou symbolique, collectif ou individuel. Le confinement, en tant que moment d’exception collectif, de mesure de santé publique, est également une façon de penser le social comme étant justement construit par les contacts, par les transmissions de toutes sortes. Les théories de la communication, la cybernétique et la sémiotique auraient évidemment bien des choses à dire à ce propos. Que sont devenus notre biosphère et notre sémiosphère en ces temps de contagion et de confinement?

Communications de l’événement

Hélène Machinal

«This is now!» Quand le virus de la fiction (r)attrape la réalité

Hélène Machinal propose une réflexion sur le rapport au temps qu’entraînent la pandémie et surtout le confinement qui vise à ralentir sa progression. Travaillant sur les fictions post-cataclysmiques qui permettent de «penser le temps de la fin» (Engélibert) et de s’extraire du présentisme (Hartog), cet épisode où la fiction rattrape la réalité lui permet de repenser le temps suspendu. Surgit un nouveau rapport au temps de la catastrophe en train de se dérouler, mais un rapport qu’il faudrait intégralement repenser dès lors que nous ne sommes plus dans la «hantise de la catastrophe» ou même dans un «imaginaire de la fin qui […] se déploie […] sur le mode de […] l’absence et de l’attente» (Gervais), bien au contraire, le cataclysme : «this is now»! mais ce ne sont plus les fictions de l’imaginaire qui nous le dise, c’est bel et bien le présent et le réel.

Ion Pitoiu

Chorégraphies identitaires en temps de pandémie

Entre le messianisme médical français, l’esthétisation de la sécurité du confinement indien et les protestations des conservateurs de l’État du Michigan (Operation Gridlock), il existe un paramètre commun: les «chorégraphies identitaires». Ion Pitoiu adopte l’approche conceptuelle du terme qui envisage un parallèle mentalitaire des occurrences visuelles qui déploient la sémiotique des chorégraphies identitaires. Afin de parvenir à une note de synthèse sur le sujet, il déploie, dans le cadre de sa communication, le syntagme tant au sens concret du terme (les casques en forme de coronavirus arborés par les policiers indiens ainsi que leur danse pour la sensibilisation sociale) qu’au niveau de sa figuration politique (la polémique médicale autour du professeur Didier Raoult et les protestes contre la distance sociale en Amérique).

Jean-Paul Engélibert

Épidémie et posthumanisme

Selon l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau, répondant à une question sur la COVID-19: «nos sociétés subissent aujourd’hui un choc anthropologique de tout premier ordre. Elles ont tout fait pour bannir la mort de leurs horizons d’attente, elles se fondaient de manière croissante sur la puissance du numérique et les promesses de l’intelligence artificielle. Mais nous sommes rappelés à notre animalité fondamentale, au ‘socle biologique de notre humanité’, comme l’appelait l’anthropologue Françoise Héritier. Nous restons des homo sapiens appartenant au monde animal, attaquables par des maladies contre lesquelles les moyens de lutte demeurent rustiques en regard de notre puissance technologique supposée : rester chez soi, sans médicament, sans vaccin…» (entretien avec Joseph Confavreux, Médiapart, 12 avril 2020). “Choc anthropologique”, “bannir la mort”, appui sur le numérique et l’intelligence artificielle, rappel de l’animalité: tout ce vocabulaire renvoie aux discussions sur le posthumanisme. Dans le cadre de sa participation au speed-colloque virtuel, Jean-Paul Engélibert étudie l’hypothèse que l’épidémie actuelle nous conduit à reposer à nouveaux frais les questions du transhumanisme et du posthumanisme, à partir de la tension entre puissance du numérique et puissance des corps, mais aussi à partir des tensions internes au numérique en temps d’épidémie (les prothèses numériques pouvant nous protéger mais aussi nous contrôler) comme des tensions propres du corporel (la composition des corps -au sens où tout corps est un composé de corps multiples et hétérogènes- révèle leur fragilité, mais aussi leur puissance).

Un article issu de cette présentation a été publié dans le dossier Pandémies sur Pop-en-stock.

Sara Bédard-Goulet

Habiter et être habité·e·s dans les lieux confinés

Sara Bédard-Goulet s’inspire de l’installation vidéo The House (2002) d’Eija-Liisa Ahtila pour développer une réflexion théorique sur l’habiter dans les lieux confinés, permettant, suivant la psychose comme modèle, d’être habité·e·s par le monde, dans une forme d’écocosmopolitisme et d’individuation relationnelle qui s’oppose à un modèle frontalier ou membranaire souvent associés à ces lieux.

Cristina Robu

La mise en récit de son mal: disease, illness, sickness

L’anglais dispose de trois termes –disease, illness, sickness– pour désigner trois formes différentes du rapport à la maladie alors que le français ne fait pas cette distinction. Dans sa communication, Cristina Robu expose les nuances qu’expriment les termes anglais selon le théoricien Bjørn Hofmann, situe les façons dont la mise en récit de la maladie est réalisée dans le cas de la pandémie et donne en tant qu’exemple herméneutique de la maladie à travers ces nuances théoriques le documentaire poétique de la réalisatrice québécoise Esther Valiquette, Récit d’A (1990).

Jean-Christophe Cros

La contagion du confinement

Jean-Christophe Cros propose ici un texte de création: il s’agit d’une pièce sonore qui tangue entre ironie et existentialisme et qui se balance entre nonchalance et poésie.

Yan St-Onge

Vers une interprétance punk de la contagion

En prenant comme point de départ la pièce Just the Flu parue en 1990 sur l’album Ribbed du groupe NOFX et sa reprise en version acoustique en 2020 pendant la crise du coronavirus, Yan St-Onge aborde la contagion comme une figure indissociable du paradigme incarné par le slogan «No Future» inhérent au mouvement punk. En revanche, il est aussi question de montrer que la métaphore de la contagion comme modalité de partage et de dissémination permet aussi de penser la montée du mouvement punk et la capacité de celui-ci à créer du commun, à faire communauté.

Béatriz Vélez

Coronavirus, une mise en échec du sport roi qu’est le soccer?

Béatriz Vélez propose une réflexion à propos des liens d’opposition et de complémentarité qui rejoignent ces deux univers disparates: la contagion mimétique propre au soccer dont la condition est la densité charnelle et les mesures d’isolement physique imposées par le coronavirus, car l’intermédiation dans les deux cas est notre propre charnalité.

Sylvain Aubé

Métabureau: Pour une archéologie du bureau contemporain (en temps de confinement)

Le confinement nous amène à un retour sur soi propice à la réévaluation de nos archives. Dans ce contexte, Sylvain Aubé nous livre une méthodologie de classement intellectuel toute personnelle, en liant cette méthode à différentes folksonomies, ainsi qu’à des anecdotes historiques de classifications

Lana Greben

Imaginaire du masque: performer la post-surveillance

Son apparition provoquée par besoin, le masque est, pour l’essentiel, un filtre et une barrière à la transmission qui, dans l’état actuel de contagion, se répand lentement mais assurément dans les rues. Nouvellement réglementée sous le regard épidémique, cette parure prudente et éloquente problématise autant le pouvoir et transforme les politiques de reconnaissance faciale. Sans avoir échappé au détournement de la mode, l’accessoire tendance d’inspiration pandémique recherche ainsi sa signification sociale et anthropologique de «masque articulé» -celui qui ne travestit pas mais qui montre les rapports de transformation structurant tout visage.

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