Journée d'étude, 8 octobre 2021 au 22 avril 2022

Sérieganiennes. Les séries des années Reagan (1981-1989)

cover

Cette série de journées d’études aura lieu intégralement en ligne, au printemps et à l’automne 2021 et à l’hiver 2022. Ces journées d’études seront consacrées tour à tour aux teen dramas et autres school shows, aux séries familiales, aux soaps, aux polars, aux séries d’animation, aux séries surnaturelles ou de science-fiction. Ces études génériques s’accompagneront d’interventions généralistes portant sur l’esprit de l’époque reaganiennes.

Dans les faits comme dans l’imaginaire collectif, Reagan aura sans doute été, avec Roosevelt et Kennedy, le président le plus marquant du XXe siècle. Comme Kennedy, il a su utiliser les médias de masse pour se construire un personnage, un album d’images d’Epinal reprenant et resémantisant les stéréotypes du rêve américain; en l’occurrence celui de l’Ouest américain et du vigilante. Roosevelt avait inauguré une nouvelle ère dans les années 1930 avec le New Deal établissant sur le sol américain un état-providence. Reagan, dont on oublie souvent qu’il avait commencé sa carrière comme Démocrate, s’employa justement à attaquer systématiquement ce welfare state en réduisant drastiquement les dépenses publiques et en remettant le marché aux commandes. Mais, à n’en pas douter, son entreprise fut encore davantage idéologique qu’économique comme en atteste clairement sa campagne de 1984, «It’s morning in America». Rêvant d’en finir avec la contre-culture des années 1960 et 1970, de «nettoyer Berkeley» («clean up the mess at Berkeley») de ses contestataires («communist sympathizers, protesters, and sex deviants») et de redorer l’image des Etats-Unis ternie par le Vietnam et les impuissances de l’administration Carter, il est parvenu à discréditer l’idée même que l’État puisse intervenir dans l’économie pour aider les pauvres, réglementer la conduite des entreprises ou soutenir l’intérêt public. Insistant sur le fait que le gouvernement est la cause de tous les maux de la société («government is not the solution to our problem, government is the problem»), le mot d’ordre est clair: «laissez le marché tranquille, et chacun s’en portera mieux». De ce point de vue, le reaganisme, loin d’être seulement une parenthèse dans l’histoire du XXe siècle, continue de dominer le débat public, aux États-Unis et ailleurs. Pareillement, les fictions télévisées reaganiennes (qui excèdent de beaucoup la période 1981-1989) ont fixé les règles qui, pour beaucoup, régissent encore quantité de séries d’aujourd’hui, de Chicago Police Department à Blue Bloods (la famille de policiers-justiciers de celle-ci porte justement pour nom Reagan et l’on voit clairement au mur du bureau de Frank Reagan un portrait de Teddy Roosevelt, chef de la police de New York avant d’être président et modèle de Ronald Reagan à bien des égards).

Il n’en faudrait pas pour autant oublier tout ce que ces séries des années 1980 doivent à celles du premier âge d’or des années 1950 : une stricte volonté de renforcer le plus possible l’illusion de réalité, la réduction des personnages, des situations et des tons à des canons génériques, le raffermissement de l’identification aux personnages et le désir de susciter chez le spectateur une totale adhésion aux héros et une répulsion sans mélange à l’égard des méchants, lesquels couvrent toute la gamme du gangster (Miami Vice, 1984-9) aux policiers corrompus (The Dukes of Hazzard, 1979-1985) en passant par les spéculateurs véreux (The A-Team, 1983-7). De ce point de vue, les séries reaganiennes restent étroitement liées au rôle éminent que le divertissement a toujours cherché à jouer dans l’élaboration et la diffusion des mythes fondateurs de l’idéologie américaine. On pourra naturellement considérer comment des séries plus anciennes ont préparé le terrain à celles des années 1980 (The Streets of San Francisco [1972-7], Little House on the Prairie [1974-1983], Happy Days [1974-1984], The Six Million Dollar Man [1974-8], Starsky & Hutch [1975-9], Gemini Man [1976], The Incredible Hulk [1977-1982] ou Galactica [1978-1979]).

On se penchera donc sur tout ce que les séries reaganiennes valorisent, explicitement ou implicitement, comme codes sociaux, règles culturelles, schèmes historiques et politiques. On s’attachera, par exemple, à la représentation des femmes dans Cagney and Lacey (1982-8), Kate and Allie (1984-9), The Golden Girls [1985-1991] ou dans Designing Women [1986-1993] ainsi que plus généralement celle de la «All-American Family», que ce soit dans les sitcoms Diff’rent Strokes [1978-1986], Family Ties [1982-9], Silver Spoons [1982-1987], The Cosby Show [1984-1992], Who’s the Boss? [1984-1992], Punky Brewster [1984-1988], Growing Pains [1985-1992], Alf [1986-1990], Full House [1987-1995], Married… With Children [1987-1997], Thirtysomething [1987-1991] ou Roseanne [1988-1997]) ou dans ces immenses soaps que sont Dallas [1978-1991], Knots Landing [1979-1993], Dynasty [1981-1989] ou Santa Barbara [1984-1993]. On s’intéressera aussi au discours de la Loi et l’Ordre à l’âge du Comprehensive Crime Control Act (1984), que ce soit à travers la police et la justice publiques (Hill Street Blues [1981-7], T. J. Hooker [1982-6], Hunter [1984-1991], Sledge Hammer! [1986-8], Crime Story [1986-8], 21 Jump Street [1987-1991], Wiseguy [1987-1990], In the Heat of the Night [1988], Cops [1988]) ou de la réinvention du détective privé (Magnum, P.I. [1981-8], Simon & Simon [1981-9], Remington Steele [1982-7], Matt Houston [1982-5], Hardcastle and McCormick [1983-6], Murder, She Wrote [1984-1996], Moonlightning [1985-9] ou Spenser: For Hire [1985-8]). Ce qui nous obligera à interroger les limites poreuses avec le genre de l’action, devenu alors hégémonique sur grand écran (The Fall Guy [1981-6], Knight Rider [1982-6], Airwolf [1984], MacGyver [1985-1992], The Equalizer [1985-9], etc.).

Ces enjeux informent aussi quantité d’autres genres populaires de l’époque, que ce soit le surnaturel (Tales from the Darkside [1983], Manimal [1983], Highway to Heaven [1984], Twilight Zone [1985-9], Beauty and the Beast [1987] ou Werewolf [1987-1988]) ou la science-fiction (Buck Rogers [1979-1981], V [1984-5], Starman [1986-1987], Star Trek: The Next Generation [1987-1994], Max Headroom [1987-8], Quantum Leap [1989]) voire, souvent très proche de cette dernière, l’animation, marquée par une violente politique de dérégulation (G.I. Joe: A Real American Hero [1983-6], The Transformers [1984-7], Thundercats [1985], He-Man and the Masters of the Universe [1985-8], Teenage Mutant Ninja Turtles [1987-1996], etc.). Sans oublier d’autres sous-genres tels que le marivaudage nautique (The Love Boat [1977-1987]), le «court-drama» (Matlock [1986-1995], L.A. Law [1986-1994]), les sports (Coach [1989-1997]), le high-school sitcom (Head of the Class [1986-1991], Saved by the Bell [1989]), la comédie de bar (Cheers [1982-1993]), l’académie de danse (Fame [1982-7]), le drame hospitalier (St. Elsewhere [1982-8], China Beach [1988-1991]), les nouvelles technologies (Whiz Kids [1983-1984]), les surveillants-sauveteurs en maillot de bain (Baywatch [1989-2001]) ou les «justiciers milliardaires» (Hart to Hart [1983-1984]).

On considérera également comment ces séries portent des messages politiques, de façon directe (Capitol [1982-1987])) ou informulée (par la mise en scène de corps augmentés qui incarnent la suprématie américaine et le retour en grâce de valeurs qui semblaient momentanément périmées). On pourra aussi montrer comment les séries reaganiennes cherchent à conjurer la peur du déclin axiologique et géopolitique de l’Amérique, cherchant à mettre en place, dans le petit écran, une logique de la rédemption (Tour of Duty [1987-1990]). Enfin, on pourra analyser la nature et les fonctions du héros reaganien, solitaire, hostile aux mégapoles, insensible aux charmes de la modernité, écœuré tout à la fois par la bureaucratie, l’administration fédérale, une armée hésitante, une police affaiblie et une justice corrompue.

Toutefois, on sera probablement amené aussi à montrer que ces séries de l’ère Reagan ne sont pas réductibles à une simple propagande –fût-elle cette «propagande noire» théorisée par Vladimir Volkoff et Guy Durandin. Sans doute, en effet, ces fictions sont plus compliquées et ambiguës qu’on ne le croit généralement et beaucoup d’entre elles semblent illustrer la notion d’ «incoherent text» forgée par Robin Wood pour décrire les productions du Nouvel Hollywood dont certains échos traversent nombre de séries des eighties. On s’interrogera enfin sur le legs des séries reaganiennes dans ses différents aspects, que ce soit dans les séries néo-conservatrices postérieures qui reprennent les traits, les canons, issus de l’époque reaganienne ou, a contrario, dans les parodies ou les dénonciations qui en ont été faites.

Communications de l’événement

Sébastien Hubier

Les séries reaganiennes: les charmes du populisme conservateur

Le reaganisme est le fruit du sentiment de déclassement qui avait saisi les classes moyennes dès la première mandature de Nixon. De grandes chimères s’étaient alors emparées de l’Amérique: le crime, la corruption, l’anti-patriotisme seraient partout et seraient, partout, causés par les transformations sociétales intervenues au début des années 1960. Ce sont ces hantises que combattent invariablement les héros des séries reaganiennes, policiers et détectives, soldats de fortune et pionniers, pères de famille et vétérans, extraterrestres pelucheux et mères au foyer. On comprend mieux ainsi la prégnance dans les fictions télévisées de l’époque de la guerre du Viêt Nam, de l’auto-justice ou de la revalorisation de la masculinité.

Christian Chelebourg

L’ABC reaganien d’Aaron Spelling

Christian Chelebourg étudie la présence et l’influence du producteur Aaron Spelling sur les séries télévisées de la chaîne ABC durant les années 80.

Antonio Dominguez Leiva

Going With the Heat: «Miami Vice» et les contradictions culturelles du reaganisme

Dans le cadre de sa communication, Antonio Dominguez Leiva s’intéresse à la série Miami Vice, qui propose une solution mythique aux contradictions culturelles du reaganisme, du moralisme de la «guerre contre les drogues» à la célébration du lifestyle hédoniste associé aux «cocaine cowboys» du Miami des eighties.

Silviano Carrasco

«L’agence Tous Risques» de la série au film: de pacifistes armés à tueurs fascistes

La communication porte sur l’idéologie dans l’Agence tous risques [The A-Team] (1983-1987) et sur la façon dont cette série aborde le concept de la violence.

Juliette Fridli

Dean Winchester, héritage du héros reaganien

Juliette Fridli s’intéresse aux traces visibles laissées par les héros du cinéma reaganien dans des road series plus récentes.

Antonio Dominguez Leiva

«V» et le mythe reptilien

Antonio Dominguez Leiva s’intéresse à la présence du mythe reptilien dans V et à l’influence de la télésérie sur le mythe.

Victor-Arthur Piégay

«It can happen here»: «V» ou les États-Unis sous l’occupation

Dans sa communication, Victor-Arthur Piégay s’intéresse à la question de l’allégorie particulièrement dans la mini-série V sortie sur la chaîne NBC en 1983.

Clément Pélissier

Réparer l’histoire: destins modifiés dans le Vietnam de Quantum Leap

En prenant appui sur la philosophie du créateur de la série, Clément Pélissier réfléchit à la représentation du Vietnam et de l’armée dans Quantum Leap.

Christian Chelebourg, Antonio Dominguez Leiva, Juliette Fridli, Sébastien Hubier, Clément Pélissier & Victor-Arthur Piégay

Table ronde «Science-fiction et genres de l’imaginaire»

Sébastien Hubier, Christian Chelebourg et Juliette Fridli rejoignent Antonio Dominguez Leiva, Victor-Arthur Piégay et Clément Pélissier pour discuter et approfondir les thèmes et les réflexions abordés durant le journée d’études.

Sébastien Hubier

Reagan post-reagan, de «The X-Files» à «Banshee»

De proche en proche, se dessine un continuum qui, en matière idéologique, couvre l’ensemble d’un siècle, de Theodore Roosevelt à Donald Trump. C’est ce continuum qui conduit à associer séries reaganiennes au sens propre et strict du terme (1980-1988) et séries néo-reaganienne (1988-2022), catégorie dans laquelle on peut regrouper toutes les fictions télévisées qui reposent sur les traits définitoires de ce qu’on a coutume, depuis la fin des années 1980, d’associer au reaganisme : bouleversement du système politico-administratif, désir d’abolition du Welfare State, déréglementation, invention du néo-management, nouveau fédéralisme, renforcement du pouvoir présidentiel, d’ailleurs lié à un renouveau du modèle héroïque, association du néo-libéralisme et de la révolution conservatrice, invention d’une rhétorique certes d’apparence inédite mais consolidant en réalité des éléments qui structuraient depuis longtemps la vie politique américaine, mélange de nationalisme anti-étatique et d’individualisme communautaire, conception téléologique du marché perçu comme un ordre moral récompensant immanquablement l’effort personnel, apologie du volontarisme. Ce sont ces traits qu’il s’agit d’étudier dans deux série apparemment très différentes, The X-Files et Banshee.

Clément Pélissier

Du sable dans les rouages: l’échec de la force policière chez Inspecteur Gadget

L’inspecteur Gadget, célèbre policier télévisuel et cyborg n’est pas pour autant un fin limier. À la croisée des nationalités; grâce à tous les petits détails qui font la magie et l’efficacité des cartoons de l’âge d’or du milieu des 80’s, le dessin animé tord et se moque de la rigidité de l’administration policière. Il loue au passage la sagacité et la magie de l’enfance.

Type de contenu:
Ce site fait partie de l'outil Encodage.