Colloque, 27 au 29 septembre 2018

Cybercorporéités: subjectivités nomades en contexte numérique

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Ce colloque bilingue présente des réflexions sur la reconfiguration des identités et la transformation des expériences subjectives à l’ère du numérique. Abondamment documentée et commentée depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, la série d’innovations techniques qui a fait que nous vivons maintenant à l’ère du numérique a eu pour conséquence un important changement de paradigme quant aux régimes de corporéité de nos sociétés. La corporéité étant un mode d’être, c’est un état de corps qui ne peut plus être référé à sa seule réalité biologique. À l’ère du numérique, elle devient une réalité en transformation, mobile, instable, faite de réseaux d’intensités et de forces, contraignant le corps à se reconfigurer, à se réorganiser et à devenir autre dans son contact avec la technologie.

Le programme du colloque se déroule autour de quatre axes transdisciplinaires en interrelation. Le corps figure  désigne la représentation et mise en scène du corps et de sa relation aux technologies numériques dans les fictions littéraires, les arts médiatiques et arts vivants. Le corps interface interroge la relation du corps avec les dispositifs interactifs ainsi qu’avec les environnements immersifs, et pose la question du rôle que le corps en mutation joue en tant qu’interface lorsqu’il est en contact sensori-perceptuel avec la technologie. Le corps savoir désigne la valeur épistémologique et critique des matérialités numériques et prend sa source dans l’idée que les outils du Web participatif et sémantique transforment les pratiques de la recherche. Le corps sensible et somatique interroge des enjeux émergents, tant au niveau pratique que théorique, dans le contexte des nouvelles scènes performatives contemporaines intégrant la technologie. D’ordre multisensoriel et multimodal, ces pratiques exigent des chercheurs une réévaluation de cette relation du corps sensible/somatique à la technologie.

Crédit de l’image: Generativity, 2016, Installation: Nanda D’Agostino Corps collectif: Isabelle Choinière. Crédit Photo: Brian Foulkes

Communications de l’événement

Erin Manning

Subjectivité, Pouvoir

Un texte récent de Suely Rolnik commence: «Le monde est en convulsions, et nous le sommes aussi». Le néolibéralisme, comme Rolnik le souligne, est au coeur du problème, mais il n’est pas le seul problème. Aussi important est le «nouveau conservatisme», un conservatisme de forces réactives (Nietzsche) qui limite les forces affirmatives de subjectivités nascentes. Dans Subjectivité, Pouvoir je propose un diagramme de forces qui met en conversation le concept de savoir/pouvoir de Foucault et le concept de subjectivité de Guattari. Suivant l’oeuvre importante de Rolnik, je proposerai des lignes de fuite pour repenser les modes de subjectivation aujourd’hui.

Enrico Pitozzi

La perception est un prisme: corporéité et technologies

Cette intervention – qui s’inscrit au carrefour entre deux des axes proposés, c’est-à-dire le corps sensible et somatique et le corps interface – vise à analyser la problématique de la corporéité, à l’aspect philosophique et physiologique impliqué, pour discuter des éléments théoriques et pratiques engagés dans le rapport avec les technologies. Cette approche permettra d’aborder et d’introduire – tout en la discutant – les notions de potentialité corporelle et de réorganisation du mouvement, en développant une réflexion autour du statut de la technologie dans le domaine des arts vivants.  Dans ce contexte, l’analyse sera faite dans une perspective qui met en jeu la perception et ses modifications, ainsi que la mise en évidence de processus intermodaux et multisensoriels utilisés comme stratégie de composition dans la chorégraphie et dans les environnements immersifs, comme on le voit sur la scène avec les travaux d’artistes tels que Cindy Van Acker, Shiro Takatani|Dumb Type, Granular Synthesis, Ginette Laurin et outres. Ainsi, faisant, par l’entremise de ces dispositifs, les sensations même du spectateur change, en accédant à un plan de perception inédit.

Compléments 

Wina Forget

L’intercorporéité dans le «riotporn»: constitution de communautés subjectives par les réseaux sociaux

Quand les états de corps se contaminent à travers l’écran: réflexion transdisciplinaire autour du politique, du numérique et du spectacle vivant.

En tant qu’artiste-chercheure, ma démarche vise à questionner le corps par le prisme de la pensée politique et du spectacle vivant afin de susciter des réflexions sensibles sur des enjeux actuels. Mon travail interroge principalement la corporéité des corps émeutiers. Ces corps révoltés expérimentent l’émeute par la constitution de réseaux d’intensités et de forces intrinsèques à l’intercorporéité (Bernard, 2012). Ils sont l’avènement des singularités quelconques (Agamben, 1990) c’est-à-dire d’êtres singuliers, mais sans identité faisant l’expérience de leur propre puissance et d’un corps communicable. Ils forment une communauté subjective opérante par le partage d’images et de vidéos (Bertho, 2016), un collectif qui se prolonge grâce au numérique. En effet, la diffusion des vidéos d’émeutes est désormais indissociable de son expérience elle-même (Bertho, 2016) et leur diffusion s’inscrit dans la constitution d’une « communauté » engendrée par leur visualisation à grande échelle. Cette communication avancera des pistes de réflexion sur différentes modalités possibles de représentations scéniques des corps émeutiers (physiques, numériques, symboliques) à partir d’un travail sur les états de corps. La définition de Philippe Guisgand est ici mobilisée pour penser les états de corps tels un ensemble de tensions et d’intentions qui s’accumulent intérieurement et vibrent extérieurement (2012). L’hybridation du politique et du spectacle vivant apparaît probante, car elle permet une expérience singulière de la performativité politique de ces corps. Mais peut-elle aussi y faire naître de nouvelles compréhensions?

Laurence Perron

Portrait de l’internaute en détective: étude de cadavres exquis hypermédiatiques

Les œuvres hypermédiatiques Apparitions inquiétantes d’Anne-Cécile Brandenbourger (http://web.archive.org/web/20061123151717, http://www.anacoluthe.com/bulles/apparitions/jump.html) et La Disparue, de Cécile Iran, Médéric Lulin et Sophie Séguin (http://revuebleuorange.org/bleuorange/05/iran_lulin_seguin/) se fondent sur un rapport au corps (textuel, organique) similaire. Dans la première, nous suivons le récit d’un assassinat en naviguons d’hyperliens en hyperliens dans un labyrinthe arborescent de micro-récits.  Dans la seconde, nous endossons le rôle d’enquêteur dans une sordide affaire criminelle où histoire familiale et sectes cannibales s’entrecroisent. Notre analyse s’intéressera au déploiement de la question du corps permise par l’usage d’un registre policier en régime hypermédiatique. En effet, ces deux œuvres engagent déjà un imaginaire du corps en raison de leur structure éminemment protéiforme et de la logique de l’excroissance qui motive leur déroulement. Mais si le corps textuel est dès lors problématisé par l’hypermédiatisation dont il fait l’objet, cet enjeu structurel est redoublé puisque le corps, dans le récit policier, devient cadavre, surface marquée de signes énigmatiques dont il faudra fournir l’interprétation. Nous projetons par conséquent de démontrer que la mise en récit hypermédiatique du corps morcelé, disparu ou mutilé arrive à rendre compte d’une posture herméneutique rapprochant l’internaute et l’enquêteur dans un régime de dissémination et de détection des signes commun.

Alice Lenay

Corps à corps. Altérité et casque de RV

Les «caméras subjectives» sont censées nous donner à voir à l’écran le point de vue d’un personnage. Comment se transpose au casque de réalité virtuelle cette mise en scène? L’écran du casque couvre ma vision périphérique, et le hors-champ s’actualise selon mes mouvements: j’acte avec mon propre corps la position qui m’est donnée dans le monde virtuel. Peut-on alors dire que je deviens caméra? Pour investir ces subjectivités hybridées à la caméra, nous comparerons trois séquences tournées en caméras subjectives: Lady in the Lake (1947), film policier classique qui nous laisserait incarner l’enquêteur, The Machine to be Another (2012), expérience à faire à deux aux casques de RV (nous échangeons en direct les captations de nos caméras respectives posées sur nos casques), I, Philipp (2016), film de science-fiction au casque qui nous met «dans la peau» d’un robot. Quels sont les mécanismes d’identification à l’œuvre? Comment se transforment les modalités de présence et les possibilités de rencontre? Où se trouve mon corps, à la fois humain et machinique, aveugle du monde hors-écran pour devenir voyant d’un autre espace, cyborg dans l’un et fantôme dans l’autre?

Louis-Claude Paquin

Rencontre-discussion autour de la publication (PUQ) «Le prisme des sens: Médiations et nouvelles “réalités” du corps dans les arts performatifs»

Discussion regroupant les auteur.e.s d’une publication à venir aux Presses de l’Université du Québec. Auteur.e.s présent.e.s sont Isabelle Choinière, Andrea Davidson, Derrick de Kerckove, Anne-Laure Fortin-Tournès, Anais Guilet, David Howes, Erin Manning, Joanne Lalonde, Louis-Claude Paquin, Enrico Pitozzi, Luc Vanier et Elizabeth Johnson.

La table-ronde était présidée par Louise Poissant, directrice scientifique du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC).

Extrait: présentation de Louis-Claude Paquin de son texte sur la théorisation incarnée

Extrait: présentation de Louis-Claude Paquin de son texte sur Embodiment et incarnation

Mélissa Bertrand & Leïla Cassar

Invasion de la figure féminine dans l’espace virtuel. Interpellation constante sur internet, pop-up et résistance

C’est dans une perspective féministe que nous souhaitons aborder la thématique de la cybercorporéité (axe corps figure). Partant du constat que dans le monde virtuel d’internet les femmes sont tout autant interpellées, envahies, voire harcelées que dans l’espace public réel, nous nous proposons d’analyser ce phénomène de pop-up et les stratégies de résistance, de récupération et de détournement, mises en place par les femmes au sein même de cet univers technologique qui altère leur ontologie. Nous sommes à la fois confronté.e.s à une marchandisation du corps féminin, mais aussi à une mise en réseau des individualités et des discours, permettant aux femmes de reformuler leur identité dans la fluidité. En écho, nous proposerons aussi la performance Online: Slut. Mobilisant divers sites de rencontres et un système de projections, elle explore la distance qui sépare les rapports de séduction et l’échange prostitutionnel en donnant à partager l’expérience d’un corps féminin sur le web.

Isabelle Choinière

Sismographies des corps médiatisés: la complexité comme impulsion de création

«Cette communication, qui s’inscrit dans l’interconnexion des axes corps sensible/somatique, corps savoir et corps interface, veut réexaminer la problématique de la corporéité dans le phénomène de la médiatisation du corps performatif et de sa ‘re-création ou re-composition’, impliquant le corps somatique lorsqu’il est ‘touché’ par la technologie et ‘incorpore’ les effets de celle-ci. Cette approche permettra de réévaluer les ‘nouvelles’ configurations des cartographies ou organisations sensorielles et perceptuelles, et parallèlement, d’examiner les modes de réception et d’émission qui peuvent amener à redéfinir le statut contemporain de ce corps performatif. Cette conférence veut suggérer des avenues de réflexion sur comment la notion d”embodiment’ pourrait être réévaluée alors qu’elle est sous l’influence d’une médiation phénoménologique. L’analyse se penchera sur des éléments qui permettent de discuter de l’expérience de la stimulation de la ‘potentialité corporelle’, pouvant participer à la modification tant phénoménologique que de la corporalité du corps somatique, alors qu’il est sous l’influence des technologies.»

Compléments

Isabelle Choinière, Derrick de Kerckhove & David Howes

Le corps en mutation: nouvelle théâtralité à l’ère du numérique

Les participant·es du colloque Cybercorporéïtés ont été conviés à une discussion dans le cadre des 5 @ Tech du Centre Phi, sur comment notre corps et les arts de la scène, sont actuellement dans un espace de mutation. L’ère du numérique nous amène loin de la perspective classique que la période de la Renaissance a imposée – soit une valorisation d’un unique sens, celui de la vue. La vue ‒ ce sens dit ‘noble’ car il nous distancie le plus de notre corps ‒ est celui qui cause également la distanciation du spectateur avec la scène et le performeur, créant ainsi un ”4e mur”. Dans le bouleversement que cause les technologies,on constate l’émergence de nouveaux modes expérientiels, d’autres rapports à l’espace, au temps, au corps, à l’autre, d’autres inventions de dispositifs visibles ou invisibles qui permettent une nouvelle expérience collective de perception, des immersions multisensorielles.

La présentation visuelle de Derrick de Kerckhove est disponible en format pdf.

Paul Landon & Leila Sujir

Elastic spaces: archaeologies and practices of image, space and body

Elastic spaces is a research project that explores media art practices that relate to human movement focusing on the relationship between the body and apparatuses of the moving image. The research project considers contemporary and future practices while reflecting on histories of technical and aesthetic developments, looking at digital and lens-based technologies and architectures of both the stereoscopic and the two-dimensional moving image. The aim of this exploration is to identify and define the shifting relationships between spatiotemporal illusion of the moving image and corporeal perceptions of architectural space, relationships that are influenced by what is shown on the screen, the space the screen occupies and the human bodies sharing that space.

Compléments

Éric Raymond

Modalités d’expérimentation de la corporéité par les interfaces corps-machine et leur interaction en réseau

Cette communication s’inscrit ente les axes du corps-figure et du corps interface. Elle traitera des transformations dans les modalités d’expérimentation de la corporéité par les interfaces corps-machine et leur interaction en réseau. Elle explorera le potentiel de dessaisissement des notions traditionnelles d’espace et de temps que procurent certaines plates-formes dédiées à l’entraînement sportif ou encore les œuvres récentes d’artistes tels Jean Dubois et Bill Vorn qui explorent les relations entre le corps et son contrôle par les outils, prothèses ou prolongements mécatroniques et numériques. Elle tentera de démontrer que l’expérience physique de la relation du corps au lieu et à l’autre, loin d’y être désinvestie, s’y trouve plutôt reformulée et étendue dans ses principes fondamentaux.

Philippe Pasquier

Movement Computation and Affect

Movement Signal Processing and Movement Computing are emerging research areas in human computer interaction. I will introduce recent advances in the field through a number of projects from the Metacreation Lab (http://metacreation.net/) and the Moving Stories (http://movingstories.ca/) research effort. I will present a series of Movement Computing Tools such as the Movement Database (MODA), the Movement Visualisation tool (MOVA), and the Movement Comparison tool (MOCOMP). I will then present fundamental empirical results that answer positively to the questions: Can human perceive the affect of a mover simply by observation of the body movement (no facial expression)? Can a machine recognize the affect of a human mover with human-competitive accuracy? Can machine learn the movement style of a given mover? Can we generate new movement based on this computational model? Can we train a virtual avatar to dance on any music?

Luciana Gransotto

Voyages de femmes intellectuelles du 21e siècle. Formes de subjectivités dans l’imprimé et les publications numériques

Cette conférence (corps savoir) examine la reconfiguration des écrits et publications numériques produite par les femmes intellectuelles, en tenant compte des éléments de subjectivités qui se retrouvent sous forme imprimés dans ces matériaux, et résultant d’expériences de voyage. L’ère du numérique amène de nouvelles interprétations quant à l’exploration et l’interaction, expérimentée lors de voyages contemporains, qui impliquent la création d’imaginaires, les relations d’altérité et l’interface avec l’objet de recherche. Le corps qui traverse des territoires étrangers, est également soumis aux influences de la dérive dans l’espace, permettant ainsi un processus cognitif où un corps mobile écoute, ressent, marche, observe, perçoit et utilise ainsi par la suite, sa capacité critique d’écrire d’une façon scientifique. Ces deux mouvements interactifs, virtuels et nomades, agissent comme exercice du déplacement intellectuel pour aboutir à d’autres formes de transmission du savoir et transformant ainsi les pratiques de recherche. Cette conférence a été préparée avec Dr Cristina Scheibe Wolff.

Anne-Laure Fortin-Tournès

De la décorporéisation au nomadisme corporel dans la littérature électronique: l’engagement du corps dans les signes comme esthétique de la résistance dans «Grammatron» de Mark Amerika

Cette communication vise à mettre en lumière la spécificité des littératures hypermédiatiques en langue anglaise à partir d’une réflexion sur la manière dont elles engagent le corps dans leur production et leur réception. Alors que l’imaginaire d’internet (Flichy 2001) semble impliquer dématérialisation/ décorporéisation, les littératures hypermédiatiques convoquent le corps dans sa dimension symbolique, imaginaire et réelle. À travers le corpus choisi dont, 253 de Ryman, Arcadia de Pears, je montrerai que ces formes expérimentales ultras contemporaines de fictions génèrent de nouvelles expériences d’écriture et de lecture qui, parce qu’elles impliquent le corps de manière complexe, créent de nouvelles formes de subjectivité et de rapport à l’autre qui conduisent à une redéfinition de l’humain. Il s’agira d’analyser ces formes de corporéité pour montrer que cette littérature ultra contemporaine n’est pas seulement une chambre d’écho des changements sociétaux provoqués par le passage de nos sociétés au numérique, mais qu’elle y impulse une dynamique particulière.

Anaïs Guilet

Maureen, ses écrans, ses spectres

Personal Shopper d’Olivier Assayas est un thriller écranique, un film qui porte sur les écrans reliés (Archibald, 2009). Toute l’intrigue repose sur des conversations par écrans interposés: depuis les étranges messages textes reçus par l’héroïne, jusqu’aux conversations Skype qu’elle entretient avec son petit-ami. Maureen est médium et attend que son frère jumeau décédé entre une dernière fois en communication avec elle. Si quelques événements surnaturels interviennent, l’enjeu communicationnel au coeur du film est moins spectral que technologique. Le tour de force d’Assayas est de filmer une Maureen quasiment toujours seule et dont la majorité des communications avec autrui sont interfacées (tél. portable, etc.). Par conséquent, à ce titre, qu’à l’autre bout du réseau soit un interlocuteur de chair fictionnelle ou un esprit vengeur, n’a que peu d’importance: le corps s’y voit toujours absenté. Les écrans reliés chez Assayas font littéralement écran, ils obstruent la communication et symbolisent ainsi un processus de deuil: celui du corps de l’autre. Autre, ici manifesté par l’absence d’un jumeau, désincarnation de tous nos avatars communicationnels.

Sylvain Santi

Emmanuel Carrère: de l’usage du mail

Le 22 juillet 2002, Le Monde publie une nouvelle d’Emmanuel Carrère («L’Usage du “Monde”»), laquelle doit être lue le jour même par sa compagne dans le train qui la mène à La Rochelle où il doit l’attendre. Ce texte pornographique (dixit Carrère) contient des instructions qu’elle doit suivre à la lettre – comme, idéalement, des milliers de lectrices mises dans la confidence de la sexualité du couple. Rien ne se passera comme prévu, ainsi que le relateront plus tard des pages d’Un roman russe.

À la fin de la nouvelle, dans le journal comme dans le livre, figure l’adresse mail de l’écrivain qui permettra à nombre de lecteurs de lui écrire des années durant. Une étrange correspondance s’engage ainsi dont Carrère publiera des extraits. Alors que l’interaction désirée par l’écrivain échoue, et que le corps érotique attendu n’advient pas, apparaissent, paradoxalement, autour de ce corps fantôme, et affectés par lui, de multiples corps qui se révèlent et s’inventent dans les échanges numériques. Certains affectent à ce point le corps de l’écrivain que leur violence finit par détruire son couple: une boucle semble se boucler qui interroge la nature des corporéités engagées, lesquelles mêlent à la fois les forces les plus tangibles et les plus instables. Comment caractériser ces corps pris dans ce dispositif interactif ? Quel type d’expérience subjective induit-il? Comment touche-t-il à l’identité? Ces questions visent à cerner un mode d’être ensemble, que favorisent les modes de communication de l’ère numérique, à l’aune des problématiques communautaires apparue dans les années 1980 (Blanchot, Nancy). L’exemple de Carrère nous servira à poser l’hypothèse d’une nouvelle réalisation de ce qu’on tentait de penser alors dans les termes d’une communauté littéraire.

Louise Boisclair

Corps entre cyber et électricité

Cette proposition –définitionnelle et expérientielle– interroge le corps, individuel et collectif, affecté par un cyberdispositif. Comment s’établissent alors ses relations avec soi, l’autre et les autres? En lien avec l’installation ‘spect-actorielle’ Nous sommes les Fils et les Filles de l’électricité de Simon Laroche et Étienne Grenier, expérimentée le 3 octobre 2017 à la Maison de la culture du Plateau Mont-Royal, cette œuvre exemplaire et paradoxale réunit seize participants face-à-face en deux rangées, tête casquée et micro à la nuque, pour une session de thérapie collective favorisée par un système de contrôle (Cornelissen, MCD #82, juil/ sept. 2016). Cette expérience transforme le corps en «cybercorps», individuel et collectif. Étymologiquement «cyber» du grec kubernân, «gouverner», ou Kubernêtikê, «gouvernail», et «corps» du latin corpus ou σοµα en grec, «Cybercorps» évoque un corps gouverné par l’informatique, la robotique et la réseautique. «Que peut un corps?», demandait Spinoza. Que peut un (cyber)corps, nous demanderons-nous? À la fois diminué et augmenté –nous verrons pourquoi– selon le dispositif et le réseau auxquels il est branché, le corps est reconfiguré, le temps d’un devenir temporaire (Deleuze-Guattari 1980). Ainsi le cybercorps est non seulement le site de points de vue variés, mais l’ancrage du point d’être (Miranda de Almeida et de Kerckhove 2014) dans l’espace-temps connecté. Cette expérimentation du corps interface, sensible et somatique, permet –nous verrons comment– «de développer une posture critique» (Colloque Cybercorporéités, septembre 2018) avec des conséquences politiques variées.

Complément

Joanne Lalonde

De quel tournant parlons-nous? Expériences de subjectivités nomades induites par l’art

Dans les pratiques contemporaines de l’histoire de l’art, les «tournants» ont été des manières de penser/critiquer la discipline. Le tournant est significatif d’un changement paradigmatique de la discipline, que l’on pense aux tournant linguistique, tournant iconique ou pictural, tournant affectif, tournant somatique etc. … Sans parler nécessaire de renouvellement de la discipline, il s’agira ici d’examiner le «déplacement de l’attention» que ces tournants ont généré pour présenter les paramètres des discours théoriques et critiques qui visent à rendre compte des expériences de subjectivités nomades induites par l’art actuel.

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