Journée d'étude, 26 avril 2016

Artisans du désastre: figures et formes de la destruction dans le roman français et québécois contemporains

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Le 26 avril 2016 a eu lieu, à l’Université du Québec à Montréal, une journée d’étude, organisée par Jean-François Chassay et Marie-Hélène Voyer, intitulée «Artisans du désastre: figures et formes de la destruction dans le roman français et québécois contemporains».

Le désastre peut-il être conçu comme une œuvre? Cette posture peut sembler quelque peu paradoxale et cynique, mais on peut, à tout le moins, concevoir le désastre comme une fabrique. Le désastre nécessite aussi des vertus de patience, d’insoumission, d’acharnement et de discrétion pour le fomenter, le fabriquer et le construire.

Cette journée d’étude se propose de réfléchir à cette question à partir de trois axes; les formes du désastre; ses temps ou le rapport au temps que supposent le désastre et sa fomentation; et ses sujets, les artisans qui le mettent en œuvre.

Communications de l’événement

Marie-Hélène Voyer

Miniaturisation, renversement, changements d’échelle: la destruction comme dispositif narratif dans la littérature

«Je propose d’examiner trois œuvres aux intrigues remarquablement semblables. Trois œuvres où la mise en acte de la destruction est ironisée ou atténuée grâce à diverses stratégies narratives et descriptives.

Dans le roman Au plafond d’Éric Chevillard, un homme qui porte perpétuellement une chaise renversée sur sa tête, comme une sorte de carcan, rêve de détruire la ville, détruire toutes les cloisons et tous les murs et vivre avec ses comparses aux plafonds des immeubles.

Dans Mikki et le village miniature de Mika Biermann, un loser trentenaire et eczémateux s’amuse à détruire la maquette d’une ville miniature habitée par des lilliputiens.

Dans Ruines de Rome de Pierre Senges, un employé discret du bureau des cadastres projette de faire disparaître la ville sous une apocalypse végétale.

On peut se demander qu’on en commun le carcan et la cloison, la maquette et le cadastre pour qu’on souhaite à ce point les voir disparaître. On peut émettre l’hypothèse que ces trois figures agissent comme des métaphores d’une urbanité qui serait contraignante et dotée d’une logique mortifère et aliénante. »

Marie-Hélène Voyer est étudiante de niveau postdoctoral au département d’études littéraires de l’UQAM. Son projet de recherche s’intitule Incendiaires et désaxés, figures du personnage séditieux et poétique de la destruction dans le roman français et québécois contemporain.

Olivier Parenteau

La dévastation en dentelles: destruction et raffinement narratif dans l’oeuvre d’Echenoz

«En 2003, dans le cadre d’un entretien publié dans la revue Europe, Echenoz affirmait ceci:

Je crois que j’aurais aimé être ingénieur des ponts et chaussées. J’aurais aimé construire des ponts. Le phénomène physique des ponts est quelque chose qui m’a toujours laissé un peu interloqué. Pour moi, il y a une espèce de mystère dans la conception des ponts. Je crois que cela a à voir avec le roman. Le roman est une métaphore du pont. Je parle des deux arches qui sont le commencement et la fin de l’ouvrage et ce curieux équilibrisme qui consiste à les relier. Je n’ai jamais compris -n’ayant aucune formation scientifique- comment on pouvait matériellement construire un pont, que l’on appelle aussi un ouvrage d’art. Et la construction d’un roman est toujours aussi déconcertante.

Ces propos m’intéressent tout particulièrement parce qu’en 2010, Echenoz a entrepris la rédaction d’un texte qui deviendra “Génie civil”, récit mettant en scène un ex-ingénieur des ponts qui profite de sa retraite pour se consacrer à l’écriture d’un abrégé d’histoire générale des ponts.»

Olivier Parenteau est chercheur régulier à FIGURA, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire. Il enseigne la littérature au Cégep de Saint-Laurent. Il est un chercheur de collège affilié au Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire/Figura et membre du Centre de recherche interuniversitaire en sociocritique des textes/Crist. Il est l’auteur de Quatre poètes dans la Grande Guerre. Apollinaire, Cocteau, Drieu la Rochelle, Éluard (Presses universitaires de Liège).

Elaine Després

La fabrique collective d’un désastre climatique: «Aqua™» de Jean-Marc Ligny

«Tout est désastre dans le roman Aqua™ de Jean Marc Ligny et les responsables sont innombrables et partout. Des conflits géopolitiques aux catastrophes écologiques, il s’agit d’un véritable roman apocalyptique. Non pas au sens où on l’entend souvent de destruction totale de l’humanité, mais au sens biblique de révélation par la destruction du jugement dernier.

Dans ce roman pourtant animiste et farouchement anti-chrétien, l’apocalypse est l’occasion pour les justes de triompher et pour les autres de périr. Malgré tout, ce n’est pas cette justice divine qui m’intéressera, mais la façon dont s’organise un ensemble de forces incarnées par des individus ou des groupes, qui apparaissent responsables de l’anomie ambiante.»

Elaine Després est professeur associée et coordonnatrice du Centre Figura à l’UQAM. Ses recherches portent sur les représentations fictionnelles de la science dans une perspective sociocritique et épistémocritique. Après une thèse sur les savants fous en littérature, publiée au Quartanier en 2016, elle a notamment travaillé sur le posthumain, les dystopies, l’imaginaire post-apocalyptique, la science-fiction et les séries télé. Elle vient de faire paraître Le posthumain descend-il du singe? Littérature, évolution et cybernétique (PUM, 2020).

Jean-François Chassay

Un désastre qui n’en finit plus: Achab et Moby Dick, deuxième round

«Le dernier et récent roman de Pierre Senges, Achab (séquelles), réunit de manière spectaculaire ces deux principaux vecteurs de son œuvre: la littérature et le désastre.

Reprenons la célébrissime formule de Marx dans le 18 brumaire de Louis Bonaparte: “Tous les grands évènements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. La première fois comme tragédie, la seconde comme farce”.

Ici nous avons droit au retour de Moby Dick et surtout d’Achab dans un étrange pas de deux et il vrai que la tragédie shakespearienne que représentait le roman Moby Dick –Melville l’a écrit alors qu’il était en pleine lecture et relecture de Shakespeare– verse souvent carrément dans le slapstick.

Pouvons-nous pour autant parler d’une perspective critique? Car, l’esprit du texte de Marx se situait bien sûr dans cet esprit à l’égard de Louis Bonaparte, avec la référence claire dans le titre à Toton. Le livre paraît la même année que Napoléon le petit de Victor Hugo, titre proposant une autre référence à l’oncle illustre.

Je ne pense pas pour autant qu’il s’agisse dans ce roman d’une critique. Au sens, par exemple, où il s’agirait de ridiculiser le roman de Melville ou de démontrer que la culture aujourd’hui ne peut que ressasser son passé et ne serait plus à la hauteur de ce qu’elle a pu produire.»

En complément à cette communication, vous pouvez écouter la conférence littéraire de Pierre Senges au sujet de son roman Achab (séquelles), animée par Jean-François Chassay qui s’est tenue à la Librairie Le Port de tête le 8 avril 2016.

Jean-François Chassay est chercheur régulier à FIGURA, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire. Professeur au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal depuis 1991, Jean-François Chassay a publié une vingtaine de livres (romans, essais, anthologies, actes de colloque). En 2002, il remportait le Grand prix d’excellence en recherche décerné par le réseau de l’Université du Québec. Il a été membre de la rédaction puis codirecteur de Spirale (1984-1992), puis directeur (1998-2001) de Voix et Images.

Étienne Beaulieu

Vivre et détruire: recyclage de l’insignifiant dans les «Carnets de notes» de Pierre Bergounioux

«Les Carnets de notes de Pierre Bergounioux sont ancrés par trois moments auxquels l’auteur revient de manière obsessive dans cette répétition du même et ce ressassement.

Premièrement, il y a sa naissance à Brive-la-Gaillarde, une venue au monde sous le signe de l’ombre, de l’étouffement, du marécage.

Puis, il y a l’année 1964 à laquelle il revient pour revoir son parcours de jeune homme de 17 ans de Brive-la-Gaillarde à Limoges, puis à Bordeaux. Cet événement témoigne à la fois d’un arrachement à son milieu, mais aussi sa chance d’en sortir.

Finalement, il y a le moment où il a commencé à rédiger ses Carnets, à la suite de la naissance de son second fils, Paul, très malade, qui impose à Bergounioux cette quête du présent par la rédaction.

Ce sont ces trois moments-clés qui forment la pensée de Bergounioux.»

Étienne Beaulieu est professeur adjoint au département de français, d’espagnol et d’italien de l’Université du Manitoba. Il a été finaliste au prix Victor-Barbeau de l’Académie des lettres du Québec 2008 pour son essai Sang et lumièreLa communauté du sacré dans le cinéma québécois, et sa thèse de doctorat, La fatigue romanesque de Joseph Joubert (1754-1824), a été publiée aux Presses de l’Université Laval en 2008.

Christine Otis

Incendie au musée: refus du passé, répudiation de l’œuvre et destruction des preuves dans «Auguste fulminant» et «L’Obomsawin»

«En l’associant à l’idée de désastre, il est facile de voir le feu comme un élément destructeur, surtout dans le cas de l’incendie d’un musée. Pourtant les effets associés au feu ne sont pas uniquement néfastes: un côté purificateur et régénérateur peut lui être attribué. Il s’agit de penser au phénix, par exemple. À cet égard, le motif de l’incendie volontaire peut prendre plusieurs significations dans une œuvre de fiction, dépendamment de l’objet ou de l’édifice détruit et des liens entre ces derniers et l’incendiaire.

Dans le cas qui sera étudié dans cette communication, ce sont des musées qui sont en flammes et nous verrons comment leur destruction couvre des enjeux plutôt complexes. Ces musées à venir qui sont réduits en cendres sont, d’une part, la maison située à Sioux Junction de Thomas Obomsawin, peintre canadien fictif de renommée mondiale dans laquelle était conservée plusieurs œuvres de celui-ci, et, d’autre part, le futur musée de Pleggah, en banlieue des ruines de Carthage en Tunisie. Ces futurs temples de l’art et du savoir sont incinérés dans la fiction sous la plume respectivement de Daniel Poliquin dans L’Obomsawin en 1987 et d’Alain Nadaud dans Auguste fulminant paru en 1997.»

Christine Otis est doctorante au département des littératures de l’Université Laval sous la direction d’André Mercier et sous la co-direction de France Fortier. Sa thèse, en fin de rédaction, porte sur les mystifications et les mensonges fictionnels dans plusieurs romans contemporains français, américains et canadiens. Elle a co-dirigé le dossier «Vraisemblance» de la revue Temps zéro en compagnie d’André Mercier et de Pierre-Luc Landry. Elle a participé à plusieurs colloques en présentant des communications sur des enjeux de ressemblance, de coincidence, d’authentification et de mystification.

Marion Kühn

Commémorer par le feu. La restitution d’incendies historiques de Québec dans «Les fossoyeurs» d’André Lamontagne

«Je me suis rendu compte que les personnages pyromanes ne sont pas si rares dans la fiction historique québécoise contemporaine.

On peut penser à Hermina Salmontès, une directrice de cirque très charismatique dans Combustio de Gilles Jobidon, qui met le feu au chapiteau après une dernière représentation grandiose de son cirque. Elle choisit donc de se suicider et de mourir avec ce dernier. L’acte de destruction sonne ici la fin d’une ère de cirque après avoir montré le potentiel d’un nouvel art de cirque qui se développera quelques années après la mort de Hermina.

On peut penser ici à Amy Duchesnay, un personnage plus connu peut-être, la narratrice plus ou moins fiable du Ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis qui est la seule survivante du feu qu’elle affirme avoir mis à la maison familiale le soir de la fête de ses 18 ans. Selon Anne-Martine Parent le geste incendiaire de cette survivante de l’holocauste, qui est hantée par la post-mémoire voir la culpabilité de celle et ceux qui viennent après, répète la mort de ses grands-parents et confirme son statut de survivante de la Shoah dont elle porte littéralement la mémoire dans son corps.

La répétition est aussi au cœur du projet du personnage pyromane dans le premier roman d’André Lamontagne,  Les Fossoyeurs. Dans la mémoire de Québec. Ici la destruction se fait de façon purement symbolique et dans le cadre d’un projet de commémoration, comme le titre de ma communication l’indique.

Au lieu de confirmer le statut envahissant et omniprésent du passé par la répétition de la destruction, les actes incendiaires du personnage pyromane de Lamontagne ressemblent plutôt à la tentative de revivre un passé destructeur oublié, et ce, afin de fuir le présent.

Ce projet commémoratif par le feu est l’une de deux tentatives de restituer le passé de la ville de Québec mis en parallèle dans le roman de Lamontagne. En effet, le double récit des Fossoyeurs suit – en chapitres alternants – les histoires de deux personnages qui sont également fascinés par plusieurs aspects oubliés ou enfouis de la ville de Québec.»

Marion Kühn est stagiaire post-doctorale au CRILCQ du département des littératures de l’Université Laval. Financée par le CRSH, son projet de recherche porte sur les enjeux de la narration problématique dans le roman historique du XXIe siècle au Québec, en France et en Allemagne.

Raphaëlle Guillois-Cardinal

Vivre derrière les murs ou comment échafauder son autodestruction

«La littérature contemporaine met en scène bon nombre de personnages, qui a défaut de prendre la fuite ou de poser des gestes séditieux pour marquer leur sentiment de rupture avec le monde, se tournent du côté de l’autodestruction.

Dès lors, ils demeurent étrangers à ce qui les entoure, complètement repliés sur eux-mêmes et font de leur autodestruction leur propre spectacle.

Chez certains de ces personnages, ce repli sur soi s’accompagne d’une perception particulière de l’espace: ils vivent dans un espace emmuré.

C’est du moins ce qui a retenu mon attention dans les trois romans dont je vais vous parler aujourd’hui, Dawson Kid de Simon Girard, Les murs d’Olivia Tapiero et Chambres noires de Nicholas Charrette.»

Appuyée par le Fonds de recherche du Québec (FRQSC) et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), Raphaëlle Guillois-Cardinal a terminé sa maîtrise en lettres en décembre 2013, sous la direction du professeur Nicolas Xanthos. Son mémoire s’intitule «En périphérie de l’intelligible: cognition, action et affects chez les personnages-narrateurs de Christian Oster». Engagée comme assistante de recherche dans l’équipe du RANX pour le projet «Agir, percevoir et narrer en déphasage: les personnages déconnectés comme indicateurs des enjeux contemporains de la narrativité» (CRSH Savoir 2012-2016), Raphaëlle songe maintenant à poursuivre ses études au doctorat.

Martin Hervé

Après elle, le déluge

«J’ai choisi d’aborder ce court récit de l’écrivaine française Céline Minard, Olimpia, écrit lors d’une résidence d’écriture à Rome en 2010.

Pour résumer, Olimpia est la profération d’une malédiction par une femme déchue, Olimpia Maidalchini. Son existence est avérée: belle-sœur du pape Innocent X, elle est sa conseillère la plus écoutée et pour certains sa maîtresse. Pour beaucoup, celle qui règne derrière les tentures du Saint-Siège. À l’époque, nombreux sont ceux en Europe qui disent que Rome est dirigée par une papesse. À la mort d’innocent X, en 1655, elle bannit de la main même du nouveau souverain pontife, Alexandre VII. Olimpia voue alors aux gémonies toute la curie romaine et la cité sur laquelle elle a fondé sa gloire.

Olimpia vomit alors par sa bouche un flot de calamités, peste et fléaux, pour engloutir irrémédiablement la ville éternelle et ses habitants et recouvrir avec eux le souvenir de sa magnificence.»

Martin Hervé est stagiaire postdoctoral à l’Université de Montréal, où il conduit un projet de recherche sur le surnaturel dans les littératures contemporaines de la France et du Québec. Dans ce cadre, il s’intéresse en particulier aux figures de la sorcière et du chaman. Sa thèse de doctorat, intitulée L’esprit de l’abîme: écriture de l’intériorité et pensées diaboliques chez Georges Bernanos et Marcel Jouhandeau, propose une investigation historique et critique sur les rapports entre le sujet pensant et la littérature, à travers le prisme du diabolique.

Catherine d'Anjou & Pierre Luc Landry

«Tapi dans mon bunker, je graverai sur le sol qu’il est inutile de courir»: écrire l’obsession et ses fins-du-monde

Cet entretien, entre Catherine d’Anjou et Pierre-Luc Landry, prend comme point de départ le roman Le Plan, écrit par Catherine d’Anjou. Suivant la formule de l’entrevue, cette discussion aborde les problématiques du topoï de la fin du monde et de la destruction tel que mis en place dans le roman ainsi que la représentation de la folie et de l’obsession.

Catherine d’Anjou est étudiante à la maîtrise en études littéraires à l’Université Laval. Elle est également auteure du roman Le plan paru aux éditions La Mèche.

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