Entrée de carnet

Quelques notes sur W. T. Vollmann et l’éthique de l’écriture

Simon Brousseau
couverture
Article paru dans Le journalisme littéraire: l’écrivain sur le terrain, sous la responsabilité de Laurence Côté-Fournier (2013)

«Mais il est bon que la conscience porte de larges plaies, elle n’en est que plus sensible aux morsures. Il me semble d’ailleurs qu’on ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire? Pour qu’il nous rende plus heureux, comme tu l’écris? Mon Dieu, nous serions tout aussi heureux si nous n’avions pas de livres et des livres qui nous rendent heureux, nous pourrions bien à la rigueur en écrire nous-mêmes. En revanche, nous avons besoin de livres qui agissent sur nous comme un malheur dont nous souffririons beaucoup, comme la mort de quelqu’un que nous aimerions plus que nous-mêmes, comme si nous étions proscrits, condamnés à vivre dans des forêts loin de tous les hommes, comme un suicide — un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous.» – Kafka, lettre à Oskar Pollak (1904)

«[…] I find books that simply allow us to escape
 existence a staggering waste of time
(literature matters so much to me I can hardly stand it.)»
(David Shields, 2013: 197)

J’aimerais commencer ce texte en disant que Vollmann est l’un des écrivains les plus importants que j’ai eu la chance de lire. Ça ne veut pas dire grand-chose, compte tenu de mes lectures limitées, mais on saura au moins que je ne cherche pas à proposer une critique impartiale, bien au contraire. Je souhaite plutôt partager les pensées que la lecture de ses œuvres fait naître en moi, des pensées contre-intuitives qui me font douter de la littérature telle que je l’ai toujours appréhendée.

Je n’affirmerai rien ici sinon ce doute, que je souhaite contagieux.

L’œuvre de Vollmann est si puissante à mes yeux qu’elle rend superflus des rayons entiers de ma bibliothèque personnelle. Je ne suis pas écrivain, mais si l’envie me prenait d’écrire, je devrais d’abord surmonter la honte que provoque en moi la lecture de Vollmann. Inventer des histoires! Comme ce serait gênant d’écrire des histoires après avoir lu cet auteur. Ses récits, qui me mettent en pleine face la misère du monde, sa laideur qu’on dirait immuable, me semblent tellement nécessaires que je ne peux m’empêcher de penser avec un brin de mépris à tous les écrivains qui inventent des histoires pour les lecteurs voulant échapper à leur triste réalité. Pour se changer les idées. Qu’on me comprenne: j’aime lire des fictions, et je ressens moi aussi le besoin d’expériences sublunaires, loin en tout cas de ma réalité immédiate. Mais le sérieux avec lequel Vollmann cherche à saisir le monde, ce sérieux rend les plaisirs de la lecture non seulement coupables comme on le dit parfois, mais aussi dérisoires, autant dire inadmissibles.

Là où les bulletins d’information échouent toujours à nous faire ressentir la moindre parcelle de compassion pour les morts que l’actualité garroche dans le charnier de l’Histoire, la littérature a-t-elle les moyens, avec sa lenteur réflexive, son sérieux face aux mouvances du monde, de nous rendre une sensibilité qui nous semble désormais interdite? Vollmann me permet de croire que c’est possible, et c’est sans doute la plus belle chose que j’aie jamais trouvée dans un livre, moi qui cherche depuis des années une œuvre capable de justifier une occupation qui me paraît trop souvent oiseuse, empreinte de ce narcissisme intellectuel que j’abhorre, sans doute parce que je le connais trop bien.

La frivolité liée au plaisir de l’évasion que permet la fiction trahit une conception de la littérature comme échappatoire à laquelle je refuse d’adhérer, et cela contre mes propres inclinations. Vollmann m’oblige à penser à la contingence qui pèse sur les personnages, aussi convaincants soient-ils, et à la facticité des intrigues inventées pour nous tenir en haleine. Le plaisir de se laisser transporter dans un monde imaginaire est bien réel, je l’admets, mais je crois aussi parfois qu’il est indécent d’en faire le but premier de l’expérience littéraire. C’est une vieille question que celle de la contingence de la fiction, j’en suis conscient, et les œuvres d’innombrables écrivains et écrivaines sont là pour nous rappeler que les choses ne sont jamais simples, mais peut-être que l’œuvre de Vollmann est l’occasion de nous plonger encore une fois dans les eaux glaciales des questions insolubles. C’est en tout cas l’effet qu’elle a sur moi.

Vollmann écrit à propos des voyous, des prostituées, des drogués ou des immigrants mexicains illégaux. Sa matière est la réalité, mais une réalité qui est toujours appréhendée en tant que «fiction dominante», pour le formuler comme Suzanne Jacob. Autrement dit, Vollmann tente de démonter l’épithète commune, le bon sens, les constructions discursives qui confèrent au monde un semblant de stabilité, et qui nous permettent d’y mettre un pied devant l’autre sans crouler sous le poids de sa complexité. Au fond, il s’agit de la distinction décisive que Nietzsche a proposée entre recherche de santé et recherche de vérité. Les philosophes, proposait-il, ont toujours recherché une forme de santé au détriment de la vérité, qui est dure, souvent insupportable ou en tout cas inadmissible. Pour moi, Vollmann incarne ce radicalisme noble qui consiste à pourchasser la vérité au détriment de la santé, puisqu’une santé factice ne vaut rien. Et il ne s’agit pas seulement de la santé de l’écrivain, qui ne devrait pas nous préoccuper plus que celle des autres, mais bien d’une forme de santé collective, incarnée dans le discours social par la doxa, toujours rassurante parce que rassembleuse, réconfortante parce que racoleuse. Écrire contre la doxa comme le fait Vollmann pousse le lecteur qui le suit jusqu’au bout à admettre que la marche du monde ressemble davantage à la course folle d’un troupeau piétinant les plus faibles qu’au trot noble et fier d’un cheval nommé Progrès.

Une vérité qui est mauvaise pour la santé, et que Vollmann manifeste partout dans ses textes, c’est l’idée selon laquelle il n’y a pas de spectateurs de l’Histoire.

Petit syllogisme vollmannien: l’Histoire est laide, nous sommes nécessairement dans l’Histoire, et donc nous portons tous en nous cette laideur. Notre culpabilité est infinie.

Cet écrivain projette une conception de la littérature vécue viscéralement comme moyen d’aller à l’encontre des idées lénifiantes, et c’est parce qu’il dépeint notre réalité avec tant d’engagement que les fabulations de ses contemporains m’apparaissent tout à coup ternes, brinquebalantes. Ses sujets coutumiers sont par définition figés dans le ciment de la doxa la plus insidieuse, et c’est parce qu’on interdit à ces humains le statut de sujet à part entière que Vollmann peut écrire à leur propos. Même ses fictions (The Royal Family, Europe Central, par exemple) s’inscrivent dans ce projet. Dans ce cas, l’écriture de fiction devient l’occasion de conférer un peu plus de réalité à des êtres qui, autrement, ne sont que des constructions de l’esprit, des fictions sur deux pattes. Il s’agit là d’une façon de penser la fiction à l’envers: c’est parce qu’il y a une fiction inadéquate qui prétend au statut de réalité que la fiction peut intervenir dans l’existence de façon concrète. J’y vois une éthique de l’écriture au sens le plus fondamental du terme: l’écrivain se donne un code de conduite qui régit son écriture, parce qu’il sait que les représentations ont un pouvoir d’action sur la vie des humains. Toute son écriture tend vers un idéal de finesse qui se dresse contre la grossièreté des fictions dominantes, car il sait bien que tout ce qu’il n’écrit pas, d’autres l’écriront pour lui. C’est peut-être au cœur de ce paradoxe que l’on peut encore écrire de la fiction: en dépliant des réalités qui ont l’aspect lisse de l’évidence, et sur lesquelles on a toujours des opinions plus ou moins tranchées qui nous évitent la peine de penser.

C’est parce que penser le monde actuel est une tâche titanesque que Vollmann en fait un projet littéraire. C’est parce que la fiction, pour le dire bêtement, infiltre l’édifice de notre prétendue réalité qu’il est primordial d’écrire en ayant le sens du devoir devant les faits, mais surtout devant tous ces gens floués par notre médiocre compréhension de la situation dans laquelle ils se trouvent.

*

Certains des textes de Vollmann1Voir par exemple Rising Up and Rising Down. Some Thoughts on Violence, Freedom and Urgent Means (2003) ou encore Poor People (2007) manifestent des liens évidents avec le new journalism, surtout par la façon avec laquelle il y mène des enquêtes fortement teintées par son expérience. Cependant, ce que Vollmann retient du journalisme, ou en tout cas de l’idéal journalistique, c’est d’abord un code éthique devant les faits, qu’il accueille toujours avec la même considération, avec la même rigueur. Une autre particularité de son travail est la tentation d’exhaustivité qui s’y manifeste. C’est dans cette tentative de saisie totalisante que le projet de Vollmann est littéraire. Journaliste de terrain qui se donne carte blanche, celui-ci peut scruter à loisir les problèmes qui le préoccupent, les retourner dans tous les sens sans souci d’économie ou de pertinence. Et c’est parce que ces textes affirment l’impossibilité d’aller droit au but que le projet de Vollmann est d’une importance capitale à mes yeux.

Le questionnement s’y substitue à l’explication jusqu’à une posture insoutenable, digne de ce que la littérature nous a livré de mieux: tout cela est incompréhensible, cherchons tout de même à comprendre.

Cette façon de faire n’est nulle part aussi visible que dans Imperial (2009), le livre qu’il consacre à la frontière mexico-américaine. Le comté d’Imperial, en Californie, y est présenté comme le sujet idéal pour réfléchir à la construction des identités dans la durée, dans ses rapports au territoire, mais aussi avec l’altérité: «Imperial is the continuum between Mexico and America.» (Vollmann, 2009: 50) Ce continuum, cet espace flou aux frontières arbitraires est chargé de significations contradictoires selon les points de vue, et en cela, il est l’occasion pour Vollmann d’exercer son travail d’écrivain en montrant comment le territoire réel est doublé d’un territoire imaginaire.

Imperial est le comté le plus au sud de la Californie, à la frontière du Mexique. De l’autre côté de la frontière se trouve la ville de Mexicali (le nom est la contraction de Mexico et de California), tandis que sa ville jumelle, Calexico (encore une fois, mais inversée, la contraction de Mexico et de California), se trouve à moins de dix kilomètres de distance aux États-Unis.

L’arbitraire de la frontière qui sépare les deux pays est le point de départ de la réflexion de Vollmann. Évidemment, le nom du comté d’Imperial lui donne aussi l’occasion de réfléchir à l’impérialisme américain, comme si ce lieu exemplifiait de façon métonymique une série de rapports que les États-Unis entretiennent avec ce qui leur est étranger.

L’un des enjeux fondamentaux de cette région frontalière est celui de l’agriculture, parce que des centaines d’immigrants illégaux travaillent dans les champs américains, mais aussi parce que l’agriculture affecte considérablement le territoire. Vollmann explique longuement comment la New River est devenue au fil du temps l’une des rivières les plus polluées en Amérique, en grande partie à cause de l’activité agricole qui l’entoure. Arrivée au Mexique, où elle se nomme Rio Nuevo, la rivière est plus polluée que jamais, ayant amassé au passage tous les pesticides, les métaux lourds et les déchets provenant des États-Unis. De plus, les Mexicains y déversent leurs eaux usées. Vollmann, pour vérifier des rumeurs qui veulent que certains immigrants illégaux y meurent asphyxiés après s’y être jetés pour gagner les États-Unis à la nage, a entrepris de descendre cette rivière en bateau pour l’observer et prendre des échantillons d’eau à différents endroits, qu’il fera par la suite analyser en laboratoire. Ce qui l’intéresse au plus haut point, toutefois, c’est le rôle que jouent les humains, américains ou mexicains, dans ce désastre écologique, et les conséquences que la pollution a sur leur vie quotidienne. C’est dans des moments comme celui-là que sa réflexion devient la plus passionnante, puisqu’après avoir accumulé les données statistiques brutes, il en vient à la conclusion suivante:

Maybe the New River wasn’t anybody’s fault, either. People need to defecate, and if they are poor, they cannot afford to process their sewage. People need to eat, and so they work in maquiladoras —factories owned by foreign polluters. The polluters pollute to save money; then we buy their inexpensive and perhaps well-made tractor parts, fertilizers, pesticides. It is doubly difficult to get out. And it’s all ghastly. (Vollmann, 2009: 89)

J’évoque cette partie du livre afin qu’on comprenne que Vollmann y propose une réflexion sur l’usage de l’information. Car après avoir accumulé les données qui concernent la New River, Vollmann constate tristement que son savoir ne lui permettra pas de changer les choses. Plus tard, il fera une digression sur les liens entre action et savoir, pour conclure que l’information ne sert à rien si celle-ci ne nourrit pas une forme quelconque d’action. Ce passage est important puisqu’il est représentatif d’une pensée récurrente chez Vollmann, selon laquelle il y a un moment où l’écrivain (ou le penseur, l’intellectuel) doit sortir de l’écriture pour passer à l’action. Chez Vollmann, l’écriture n’est pas une fin en elle-même, elle est un moyen d’appréhension de réalités obscures, un appel à l’action, mais aussi un retour sur l’expérience.

On pourrait dire, avec un brin de sarcasme, que le rapport à l’information proposé par Vollmann s’oppose en tout point à celui que l’on peut observer dans le journalisme tel qu’il se pratique aujourd’hui, l’information nourrissant bizarrement une culture de l’inaction et le fait de savoir nous exemptant de la tâche astreignante d’agir contre les faits. Cet aspect de notre rapport à l’information est difficile à comprendre, mais une chose demeure certaine à mes yeux: alors que la culture médiatique devait faire de nous des citoyens avertis, capables de discernement, il semble que nous souffrions au contraire d’une forme d’apathie collective causée précisément par ce qui devrait nous permettre d’agir. C’est dans ce triste contexte que les écrits de Vollmann trouvent à mon avis toute leur pertinence, celui-ci écrivant moins pour l’actualité que pour la postérité puisqu’il aspire clairement à offrir un témoignage durable des souffrances humaines.

Dans ce passage où il est question d’immigrants illégaux retrouvés noyés, Vollmann cherche justement à opposer sa démarche d’écrivain à l’information journalistique:

The dying season began early this year, with four bloated bodies found in the All-American Canal on March 14. Well, it wasn’t the worst news on the front page: more air raids and suicide bombings in the Middle East, an attempt (fortunately foiled) to murder a hundred schoolchildren in a Christian school in Pakistan, and my government had snubbed Iraqi overtures; we were getting ready to bomb them again. I had been to Iraq; I had seen the sick and dying children in a medicine-embargoed hospital; so I had my mental picture; it’s better not to have mental pictures. But why confess such a flinch? I’d rather clothe myself in principle: Communication for its own sake is not an interesting goal. (Does that sound plausible?) Unlimited access to information remains worthless without something to do with that information, or some way to verify its quality. (Vollmann, 2009: 152-153)

Le problème de l’information posé ici est redoutable, puisqu’il rend nécessaire un questionnement sur les visées de l’écrivain. Cette tentative de compréhension du monde, quelle est son utilité? Si l’écrivain ne peut se contenter d’informer, que doit-il faire alors? Vollmann n’a pas de réponse précise à cette question, mais on comprend à le lire qu’il y a dans son œuvre l’effort de déconstruire la présomption à la connaissance qui est le propre du discours informatif: «Day after day I went there, hoping to invade their thoughts and steal their stories, but most refused to talk to me, eyeing me with a hatred as lushly soft as a smoke tree sweeping its hair against a sand dune.» (Vollmann, 2009: 56-57); «Fruitful and desperate, kingdom of recluses, shy folks and identity criminals, Imperial remains unknown.» (62); «Imperial is a place I’ll never know, a place of other souls than mine; and how can anyone know otherness?» (114), etc.

Cette pudeur, cet aveu d’impuissance au cœur même de l’écriture sont l’occasion de revenir à la contingence de la fiction. Pour écrire, il faut être capable de compréhension, or, il est impossible de comprendre, donc l’écriture doit incarner ce mouvement de la pensée désireuse de saisir une réalité qui lui glisse entre les doigts. Ce que Vollmann nous dit, avec Imperial, c’est qu’il y a une présomption de l’écriture qui fait violence au réel en cherchant à lui donner une forme qui n’est pas la sienne et qui est forcément réductrice.

À un certain moment d’Imperial, Vollmann décrit l’existence d’immigrants illégaux qu’il a rencontrés. L’exemple de María, une femme de ménage vivant à Sacramento, est l’occasion pour lui d’expliquer pourquoi le livre que nous tenons entre les mains n’est pas une fiction. Vollmann rejette la forme fictionnelle, et il explique ce refus comme étant une prise de position éthique liée à la possibilité de comprendre autrui. Ce passage lumineux, qu’on peut lire comme un art poétique, montre bien la déférence face à autrui qui caractérise l’œuvre de cet écrivain:

How could I best pay tribute to María’s life? I know how to invent character, upon which I suppose it would be possible to drizzle a few droplets of local fact, much as Mexicali street vendor beset by July splashes water on his oranges and cherries. But life’s sufficiently dishonest already, my oranges might taste like candy, but why? The truth is that I do not understand enough about border people to describe them without reference to specific individuals, which means that I remain too ill acquainted with them to fictionalize them. Only now do I feel capable of writing novels about American street prostitutes, with whom I have associated for two decades. The sun-wrinkled women who sell candy, when they sit chatting beneath their sidewalk parasols, what stories do they tell one another? I could learn Spanish and eavesdrop; then I’d know; but I wouldn’t really know until I could invent their stories. Making up tales about María’s life would not only be disrespectful to her, it would be bad art. (Vollmann, 2009: 170)

Un détail qui attire mon attention est le lien que Vollmann établit entre la connaissance du monde et la possibilité d’écrire une fiction. Celui-ci se débarrasse de la question de la contingence en expliquant que pour écrire une fiction, il faut d’abord l’avoir vécue, en avoir fait l’expérience. On pourrait sans doute ici objecter la puissance d’imagination de quelques écrivains, mais l’idée de Vollmann est difficilement réfutable lorsqu’on a lu ses écrits sur les prostituées américaines, d’une justesse et d’une profondeur étrangères à la plupart d’entre nous2Vollmann a écrit trois livres sur la prostitution: Whores for Gloria (1991); Butterfly Stories (1993) et The Royal Family (2000)..

Au final, la nécessité d’une compréhension préalable à l’écriture est justifiée par la nécessité d’un rapport empathique avec la réalité décrite. Vollmann conclut ce passage en évoquant l’illumination qu’il a eue en lisant Un cœur simple de Flaubert, et comparant Félicité avec María:

What “A Simple Heart” did for my heart when I first read it many years ago was to alert me to the probability that among the people whom I myself overlooked, there might be Félicités, whose hidden goodnesses would do me good to find. Later, when I began to write books, it occurred to me that discovering and describing those goodnesses might accomplish some external good as well, perhaps even to Félicité and María’s, who have less need of our pity than we might think (but more need of our cash). Suppose that Madame Aubain, after reading my version of “A Simple Heart,” refrained just once from assulting Félicité with harsh words. Or is that aspiration ridiculous? (Vollman, 2009: 171)

On le voit, les visées exprimées ici par Vollmann sont ancrées dans la volonté de saisir la réalité. On y retrouve exprimé en toutes lettres le fantasme d’une littérature qui soit effective. Vollmann l’affirme: Un cœur simple a changé sa perception du monde. La bonne littérature ne nous propose pas d’échapper à la réalité. Elle nous permet au contraire de la saisir autrement en faisant une expérience intensive de la proximité.

Depuis que je lis Vollmann, rien ne me semble plus important que cette façon d’aborder la littérature.

 

Bibliographie

Kafka, Franz. 1965. Correspondance. Paris: Gallimard.

Shields, David. 2013. How Literature Saved My Life. New York: Alfred A. Knopf.

Vollmann, William T. 2009. Imperial. New York: Viking Press.

  • 1
    Voir par exemple Rising Up and Rising Down. Some Thoughts on Violence, Freedom and Urgent Means (2003) ou encore Poor People (2007)
  • 2
    Vollmann a écrit trois livres sur la prostitution: Whores for Gloria (1991); Butterfly Stories (1993) et The Royal Family (2000).
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