Entrée de carnet

Hospitalité et altérité

Judith Sribnai
couverture
Article paru dans De Pénélope à la page d’accueil, sous la responsabilité de Claudia Bouliane et Judith Sribnai (2015)

A propos du récit de folie, Michel de Certeau évoque, dans La Fable mystique (I, XVIe-XVIIe siècle), l’ascèse comme “prise en charge de l’autre par le corps” :

“Les récits ne cessent de référer la folie à une ascèse qui en soutiendrait les pratiques. Le mot sonne mal. Indique-t-il qu’il faut payer de son corps? Cet aspect juridique est bien marqué par les textes. Il est placé sous l’instance d’une dette (à payer) qui, le plus souvent, est associée à une faute. Mais autre chose est ici en jeu, qui inverse par un évidement et une dispersion la compacité et unicité de l’individu habituellement supposé “responsable” pour être “ascétique”. Cette ascèse différente est hospitalité. Non pas l’hospitalité qui distribue des cadeaux, mais celle que pratique l’hôte quand il “reçoit” : dans son corps et son temps perdus à travers les marchés ou la cuisine, il prend sur soi ce qui manque à l’autre; il fait place en lui à cette voracité silencieuse, comme la mendiante du Bengale donne place en son corps à l’insatiable faim d’in-fans; il offre en lui un espace à cet Autre pluriel, envahissant et muet. Son corps est ainsi retourné et disséminé par l’exercice qui fait de lui un logis silencieux et un répondant transférentiel pour l’inanalysable ou l’insensé de l’autre. Devant le pape, à l’heure du jugement, Marc raconte que, après avoir été “dominé quinze ans durant par le démon de la fornication”, rôdeur en quête de prises, il a converti son corps en habitation pour la folie de la foule : “Fais-toi salos.” Au lieu de la captation qui domine et dénombre ses conquêtes, un accueil physique du refoulé de l’autre. De le dire, l’idiot ne peut plus que mourir. L’idiote, elle, demeure muette. Cette ascèse hospitalière ne parle pas.”

(Fable mystique I, “Un lieu pour se perdre”, Paris, Gallimard, 1982, p. 67-68)

La question de l’hospitalité comme excès et comme questionnement sur sa propre identité (l’hospitalité totale pouvant aller jusqu’à l’aliénation) est reprise par René Schérer dans Zeus hospitalier (Paris, Armand Colin, 1993). Il rappelle par exemple la proximité, lexicale et thématique, du dieu hospitalier (xenios) et de l’étranger (xenos) (p. 103 sqq.)

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