Entrée de carnet

viseur et tungstène

Benoit Bordeleau
couverture
Article paru dans Habiter l’oblique, sous la responsabilité de Benoit Bordeleau (2011)
Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 1» [Photographie]

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 1» [Photographie]
(Credit : Bordeleau, Benoit)

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 2» [Photographie]

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 2» [Photographie]
(Credit : Bordeleau, Benoit)

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 3» [Photographie]

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 3» [Photographie]
(Credit : Bordeleau, Benoit)

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 4» [Photographie]

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 4» [Photographie]
(Credit : Bordeleau, Benoit)

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 5» [Photographie]

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 5» [Photographie]
(Credit : Bordeleau, Benoit)

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 6» [Photographie]

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 6» [Photographie]
(Credit : Bordeleau, Benoit)

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 7» [Photographie]

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 7» [Photographie]
(Credit : Bordeleau, Benoit)

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 8» [Photographie]

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 8» [Photographie]
(Credit : Bordeleau, Benoit)

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 9» [Photographie]

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 9» [Photographie]
(Credit : Bordeleau, Benoit)

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 10» [Photographie]

Bordeleau, Benoit. 2011. «viseur et tungstène 10» [Photographie]
(Credit : Bordeleau, Benoit)

[Dérives: série 3 – entrée 7]

10 juin 2011 – L’appareillage du regard. Jasant avec le flâneur en chef il y a quelques jours, autour de la photographie et autres sujets croisés, il a mentionné apprécier particulièrement mes photos prises dans le métro. « On sait quel est ton sujet », qu’il m’a dit. Ce à quoi j’ai bredouillé quelque chose du genre: «Tu sais, dès qu’on se met à jouer minimalement avec les contrastes, on en vient à supprimer le regard. C’est vrai qu’ils sont, disons, tristes, mes sujets. Peut-être plus qu’ils ne le sont vraiment.» Parce que je ne savais pas encore tout à fait si le choix de photographier ces personnes transpirant la solitude, voire la tristesse dans certains cas, était conscient. Depuis deux, trois jours, je rumine la chose.

Trois ou quatre éléments à ne pas oublier, pour ce qui est de ce mode opératoire désireux de ne pas faire de vague. La réalité est qu’un appareil reflex numérique n’est pas discret: difficile à dissimuler, déclencheur et mécaniques de l’objectif bruyants…

Cette posture esthétique a modifié légèrement ma posture physique. À tel point que cette nouvelle gymnastique du haut du corps m’en a fait perdre la mesure des pas. Pour la première fois de ma vie montréalaise, j’ai bêché, comme on dit dans le bled, dans un escalier de la station Berri. J’en ai fendu mon aisance atmosphérique sur le sens de la longueur en plus d’accumuler les ecchymoses. Si pous, le «pied» en grec, signifie aussi le territoire, il y a eu à ce moment une rupture évidente. À moins que ce ne soit un signe d’un enracinement toujours manqué – je dirais plutôt : partiel.

15 juin 2011 – Interrupteurs (dérivés de rupture). J’ai croisé Pharaon Parka, aujourd’hui, vers 16h40, au retour du boulot. Discussion à bâtons rompus entre chaque station de métro.

–    Vous avez vu Lily, dernièrement, Pharaon?
–    Très peu. Une connaissance m’a dit qu’elle a pris sa retraite des transports en commun…

1) Pour palier le déclic peu subtil de l’appareil, j’ai décidé de shooter seulement au moment des départs et des arrêts du métro; dans le meilleur des cas, le sujet est maintenu en vie artificiellement par son iPod. À noter que leur mine est généralement plus décontractée au retour du boulot alors que le matin c’est un silence de mort qui plane sous les bouches d’aération des wagons; exception faite d’un air de sax jazzy, ponctuel à la station Frontenac.

– Elle travaillait pour la STM?
– Que non! Elle usait du métro comme d’un pendule à l’intérieur duquel elle aurait pris place pour s’acheminer vers le sommeil. Métro-métro-dodo, vous comprenez?

2) Je shoote à l’aveugle, le coude plié à angle droit. L’appareil repose dans la paume droite, à hauteur de la taille, retenu par l’index, le majeur et l’annulaire alors que l’auriculaire retient la base. C’est le pouce qui déclenche.

– Vous savez, je fais de la photo. Je vous l’ai déjà dit, a repris Pharaon.
– Vous avez bonne mémoire.
– Je m’en suis servi, pendant une certaine période de ma vie, comme d’une boîte me permettant d’ouvrir et de fermer des dizaines d’interrupteurs.
– C’est-à-dire?
– Pour savoir si l’ampoule est grillée ou si, tout simplement, le courant passe, il faut le faire basculer. Puis on espère…

3) Dans le métro, personne ne se regarde de façon soutenue – le propre de la photo que je fais, peut-être. C’est entre les effleurements du regard que j’appuie sur le déclencheur.

– On espère que le filament de tungstène sera porté à l’incandescence. Ou, encore, que la pression effectuée du bout du doigt sur l’interrupteur nous garde suffisamment longtemps dans la noirceur pour qu’on se mette à chercher dans une autre pièce, moins l’interrupteur que l’apaisement qu’il peut éventuellement procurer.

Après une longue pause tout habitée du grincement des freins, il lance : « Le tungstène, on s’en sert aussi dans la confection de grenailles de cartouches! »

4) Je ne prends jamais le métro à l’heure de pointe. J’y ai de l’espace pour manœuvrer.

* * *

De retour à l’appartement, j’ouvre au hasard L’image fantôme de Guibert, qui traîne sur le bureau. Le texte s’intitule «Le silence, la bêtise»: «Maintenant je prends un livre de photos, et je regarde des photos, cela m’apaise, comme si je rentrais brusquement, par magie, dans un paysage, mais sans l’inconvénient que me procurerait un vrai paysage, sans trouble de température, sans insecte, sans agression, sans aucune variation d’aucune sorte. Un équilibre total qui anesthésie mes nerfs. Et cela est aussi vrai pour un portrait. La photo est liée au silence.»

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