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Falling Man

Jean-Philippe Gravel
couverture
Article paru dans Romans états-uniens, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: DeLillo, Don (2007), Falling Man, New York, Scribner, 256p. [DeLillo, Don (2008), L’Homme qui tombe, Arles, Actes Sud/Leméac, 297p.]

Disponible sur demande — traduction française (Fonds Lower Manhattan Project)

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Roman de l’après-11 septembre vivement attendu puisque provenant d’un auteur dont l’œuvre semblait avoir préfiguré souvent (sous une forme anticipée) des événements de cette portée, Falling Man présente un DeLillo qui, déjouant les attentes, offre non pas une large fresque à l’ampleur d’Outremonde ou de Libra, mais une méditation résolument repliée sur l’intime, une chronique de la dérive d’une poignée de personnages qu’on croirait tentant d’émerger d’un décor de cendres et de poussière. Le 11 septembre, immédiatement après l’effondrement des tours, Keith, avocat rescapé de justesse de la catastrophe, se présente, une valise à la main, à la porte de Lianne, la femme dont il était séparé. Réunis, les personnages ne se retrouvent pas pour autant, suivant chacun l’orbite de leur propre dérive: Lianne, hantée par la mémoire et le temps, l’appartenance et l’oubli, interroge son sentiment d’irréalité comme les ressorts de la foi religieuse et le pouvoir des mots ; Keith, de plus en plus dévoué au pur instant, après l’esquisse d’une retrouvaille avec sa femme et une brève liaison avec une autre survivante. Les dérives des deux personnages principaux ne semblent pas fait pour se nouer l’une à l’autre. Le temps passe et les distances s’accroissent ; tandis que la nostalgie de Keith pour ses collègues emportés dans les tours l’emmène à Las Vegas mener la vie d’un joueur de poker à plein temps, la pensée de Lianne semble se refermer sur la simple contemplation du grain des mots. Entre la trajectoire d’un être qui refuse de se laisser happer par toute définition précise et celle d’une femme pétrie de doute ontologique, le mouvement de la pensée peut-il mener ailleurs qu’au repli?Voisin de Body Art de par sa langue épurée et sa thématique de la perte, Falling Man a parfois les manières empruntées d’un exercice de style, mais n’en cache pas moins une interrogation inquiète sur l’impératif, pour le roman, de poursuivre son exploration des sphères inédites, des marges indicibles et fragmentées de l’expérience, à une époque où il n’est apparamment plus possible pour le romancier d’imaginer des «catastrophes» sans que celles-ci ne s’avèrent avoir déjà eu lieu.

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Roman.

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Roman polyphonique à narrateur unique (omniscient). Bien que le récit s’effectue d’un point de vue extérieur, le texte accorde à des mouvements de pensée et de perception subjectifs et diffus une place prédominante. L’écriture épouse souvent les ressassements de pensées des deux personnages, habités par une réflexion en creux qui progresse moins par à-coups que par un jeu de glissements thématiques quasi imperceptibles, ce qui donne à la prose de DeLillo une qualité incantatoire souvent proche de la musique. La temporalité singulière du roman y joue d’ailleurs pour beaucoup. DeLillo favorise de loin des effets de durée qui relèvent du temps de la narration: dialogues répétitifs, scènes étirées indûment et ressassements mentaux proches de la monotonie, alors que les marqueurs temporels précis (dates, nombre de jours écoulés depuis les attentats) sont rares et interviennent souvent pour suggérer, chez les personnages, une perception elliptique du temps. Deux chapitres analeptiques séparent les trois parties du roman; situées avant le 11 septembre 2001, ceux-ci racontent la conversion d’un étudiant musulman, Hammad, au jihadisme. Le roman suit donc deux arcs dramatiques (l’un postérieur, l’autre antérieur aux attentats) qui trouveront à se rencontrer au dernier chapitre («In the Hudson Corridor», p.237-246), au moment de la collision de l’avion dans la tour.

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

La présence du 11 septembre est particularisée, l’auteur tentant à deux reprises d’imaginer ce qui a pu se passer à l’intérieur des tours au moment de la collision et de l’évacuation.

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

i) Les événements sont présentés de façon explicite et font l’objet de deux segments importants dans le roman. Le premier met en scène la tentative d’une survivante, Florence Givens, de raconter son expérience en présence de Keith (p.54-58). L’énonciation de son témoignage semble aussitôt mettre en jeu les capacités du langage à restituer, à réactiver le souvenir d’une expérience vécue dans la confusion et le chaos. Les doubles sens, périphrases et autres déformations sémantiques se mettent alors à proliférer, restituant l’écho de ce moment marqué par la stupeur : ainsi ce chien-guide dont l’apparition, dans les escaliers, est interprétée sur le moment comme un signe de la providence divine («They believed in the dog […] She believed in the guide dog. The guide dog would lead them all to safety», p.58), tout simplement parce que le mot «dog» présente l’épellation inversée du mot «God» (Dieu). La seconde description des attentats, encore là vus de l’intérieur de l’une des tours, procède d’une stratégie légèrement différente en ceci que l’effort de narration n’est pas attribué au témoignage rétrospectif d’un personnage mais constitue l’effort du narrateur même à se “projeter” à l’intérieur des tours pour évoquer dans son langage la suprise, la confusion, le désordre, la stupeur de ce moment. Ce passage qui clôt le roman constitue un moment-phare qui synthéthise les choix et les contraintes poétiques que s’est imposés le romancier : indétermination perceptive, expressions neutres ou blanches, nomination tardive ou évocations par périphrases, confusion perceptuelle, effets aliénants de distanciation, fragmentation temporelle, isolement de détails triviaux à connotations métonymiques — le tout donne à cette prose la texture de la ruine et du débris.

ii) Des moyens de transport sont-ils représentés? Quelle est leur fonction? Sont-ils simplement évoqués ou mis en scène? Une scène se déroule à l’intérieur d’un des avions qui percutera les tours. Autrement, les moyens de transport ne sont pas évoqués d’une manière impliquant un rapport avec les attentats. Les protagonistes, cependant, pratiquent beaucoup la marche à pied, arpentant les rues et les parcs de New York — reconfigurant le décor par le rythme de leurs pas, déambulant dans leurs pensées.

iii) Les médias ou les moyens de communication sont-ils représentés? Quelle est leur fonction? Sont-ils simplement évoqués ou mis en scène?Les médias et les moyens de communication sont, en général, simplement évoqués. DeLillo semble manifester un refus, dans l’espace de son roman, de «commercer» avec les référents particulièrement chargés de la «version officielle» des événements qu’ont construit les médias, tant imprimés qu’électroniques. Ils sont donc accessoirement présents dans le livre sans que celui-ci ne se laisse dicter ses repères (à de rares exceptions près) par eux. Par exemple, aucune personnalité américaine s’étant illustrée dans la gestion des événements (comme Rudolf Giuliani ou Georges W. Bush) n’est nommée dans le roman. Les auteurs des attentats eux-mêmes ne sont évoqués que par périphrase (ex.: «[Lianne] saw the face in the newspaper, the man from flight 11. Only one in the nineteen seemed to have a face at this point», p.19). La mention des médias se fait donc généralement de manière incidente (parfois pour souligner que les personnages ont cessé d’y porter attention) et les informations qu’ils véhiculent sont brouillées par la généralité des termes les évoquant. Cela ne donne que plus de relief aux informations qui, traversant ce filtre, s’avèrent concerner des personnages fictifs, telles ces rubriques nécrologiques entourant la mort de l’artiste de performance qui donne son nom au titre du roman. (p.219-223).

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

S’ils n’ont pas tous été impliqués directement par les attentats, on peut dire que tous les personnages importants du roman en subissent, de près ou de loin, les après-coups, parfois à même le quotidien le plus ordinaire. Keith Neudecker, premier protagoniste principal du roman, se trouvait à l’intérieur d’une des tours au moment des attentats et y a réchappé, à l’inverse de la plupart de ses collègues et amis. Le parcours de ce personnage énigmatique à plus d’un titre suggère, après quelques tentatives en sens contraire, un choix délibéré de se tenir dans l’indétermination. En effet, l’absorption croissante du personnage dans l’univers des salles de jeu de Las Vegas le montre ainsi désarrimé de tout passé comme de toute appréhension du futur à long-terme. Ainsi réduit à ses conduites rituelles comme aux perceptions du moment, Keith semble retrouver en quelque sorte le même état de stupeur, le même genre de perceptions qu’a paradigmatisé le moment fatidique de l’attentat (la collision) et son immédiat après-coup (l’évacuation). Épouse de Keith et mère de leur enfant (Justin), Lianne ne fait pas partie des victimes de l’attentat, mais n’est pas moins affectée par leurs retombées. À la suite des attentats, on peut dire que le ressassement mental de ses soucis domestiques et professionnels s’enrichit également de considérations sur l’oubli, la famille, la religion et les pouvoirs du langage. Ce qui rend assez bien le caractère paradoxal de ce personnage qui navigue ainsi entre les données concrètes et prosaïques de l’existence et les questions existentielles. Nina Bartos et Martin Ridnour, couple formé par la mère (galeriste) de Lianne et de son amant (un vendeur de tableaux d’origine allemande qui a peut-être appartenu à un groupuscule terroriste), sont les deux personnages qui tentent le plus de rationaliser les enjeux symboliques et politiques des attentats. Incidemment, ils n’y ont pas été impliqués ni n’en semblent particulièrement affectés. Florence Givens, survivante des attentats, est la femme qui entretiendra une brève liaison avec Keith lorsque celui-ci viendra lui restituer la valise qu’elle a égarée dans l’escalier des tours pendant l’évacuation. Cette liaison permet d’abord à DeLillo de relater une première fois les événements par le biais de son témoignage. Enfin, Hammad, terroriste fictif qu’on retrouvera à bord d’un des avions percutant le World Trade Center, fait l’objet de deux chapitres analeptiques (situés à la fin des deux premières parties du roman) qui relatent assez schématiquement la conversion de cet étudiant musulman de Hambourg au jihadisme, sous la gouverne de Mohammed Atta. Son parcours illustre la théorie de DeLillo selon laquelle c’est la force et le partage d’une fiction commune au sein du groupe, plus que la foi religieuse, qui explique la détermination et les actions extrêmes du terroriste.

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Aucun son.

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Aucune figure de texte.

Autres aspects à intégrer

Le roman comprend une brève référence intertextuelle, p.8, à un poème de Shelley, Rise of Islam.

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

There is September 11 and then there are the days after, and finally the years.Falling Man is a magnificent, essential novel about the event that defines turn-of-the-century America. It begins in the smoke and ash of the burning towers and tracks the aftermath of this global tremor in the intimate lives of a few people.First there is Keith, walking out of the rubble into a life that he’d always imagined belonged to everyone but him.Then Lianne, his estranged wife, memory-haunted, trying to reconcile two versions of the same shadowy man. And their small son Justin, standing at the window, scanning the sky for more planes.These are lives choreographed by loss, grief and the enormous force of history.Brave and brilliant, Falling Man traces the way the events of September 11 have reconfigured our emotional landscape, our memory and our perception of the world. It is cathartic, beautiful, heartbreaking.DON DELILLO is the author of fourteen novels, including White Noise and Libra, and three plays. He has won the National Book Award, the PEN/Faulkner Award and the Jerusalem Prize. In 2006, Underworld was named one of the three best novels of the last twenty-five years by The New York Times Book Review, and in 2000 it won the William Dean Howells Medal of the American Academy of Arts and Letters for the most distinguished work of fiction of the past five years.

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

Guernica: It would seem like writing about September 11th would be incredibly daunting. You’ve written about similar events in other novels, like the toxic cloud that passes over the city in White Noise, but there’s generally a certain amount of irony and distance.

Don DeLillo: It is daunting, extremely. And the fact that I decided to go directly into the middle of the event didn’t make it any easier. I didn’t want to write a novel in which the attacks occur over the character’s right shoulder and affect a few lives in a distant sort of way. I wanted to be in the towers and in the planes. I never thought of the attacks in terms of fiction at all, for at least three years. I was working on Cosmopolis on September 11th, and I just stopped dead for some time, and decided to work on the essay instead. Later, after I finished Cosmopolis, I had been thinking about another novel for some months when I began thinking about what would become Falling Man. What made it happen was a visual image: a man in a suit and tie, carrying a briefcase, walking through a storm of smoke and ash. I had nothing beyond that. And then a few days later, it occurred to me that the briefcase was not his. And that seemed to start a chain of thought that led to the actual setting of words on paper.[…]

Guernica: One of the characters in Falling Man, Hammad, is one of the 9/11 hijackers. Did you ever consider writing the entire book from his perspective? You’ve written so much about terrorism in the past.

Don DeLillo: I did not want to write a novel that had a great deal of political sweep. With the terrorist, I wanted to trace the evolution of one individual’s passage from an uninvolved life to one that becomes deeply committed to a grave act of terror. And that’s what I did. Not that I planned this beforehand. I mean, what I do, almost always, is I just start writing and through a character arrive at a sense of an overarching scheme, perhaps, under which he moves. With Hammad, I wanted to try to imagine how a man might begin as a secular individual and then discover religion, always through the power of deep companionship with other men. This is the force that drives him. Ultimately it’s not religion, it’s not politics and it’s not history. It’s a kind of blood bond with other men. And the intensity of a plot, which narrows the worlds enormously and makes it possible for men to operate without a sense of the innocent victims they plan to destroy. […]

Guernica: In a number of your past books, your characters have also expressed ambivalent feelings about the idea of terrorism. In the opening of Players, you describe the “glamour of revolutionary violence, the secret longing it evokes in the most docile soul…” And in Mao II one of the characters says of terrorists, “It’s difficult when they kill and maim because you see them honestly now as the only possible heroes for our time… the way they live in the shadows, live willingly with death.” Did what happened on September 11th change your own thoughts about terrorism?

Don DeLillo: No. I tend to write through character consciousness, and different people in my books have different feelings about this matter. One of the characters in Falling Man, Martin, makes a greater attempt to understand the complaints against the narcissistic heart of the West. The character he argues with, Nina, does not disagree with this in theory, but when the attacks occur, something else occurs, which is a terrible outrage.

Guernica: Did you struggle with similar responses yourself, after the attacks?

Don DeLillo: No, I didn’t struggle. I knew I was totally opposed to what happened and to the reason for it.[…]

Guernica: Going back to Falling Man, I was thinking about how Bin Laden’s name is misheard as “Bill Lawton” by the kids, which makes him sound very mundane, and also how certain characters keep seeing the World Trade Center towers in a still life of bottles and other kitchen objects. Was this a conscious decision, taking an event that was so overwhelming to so many people and yoking it to the more mundane?

Don DeLillo: Absolutely. I was thinking about the impact of history on the smallest details of ordinary life, and I wanted to see if I could trace an individual’s interior life, day-by-day and thought-by-thought. It occurs to me that this could be the novelist’s initiative, even more than the story—to find the smallest intimate moments that people experience and share in conversation. I had none of this in mind. I just wanted to get the characters clear and, over time, create a balance, rhythm, repetition. This is what became satisfying to me. I was writing out of sequence and then began to fit the parts together and, as I say, look for these balances and the way in which the past yields the presence and vice versa. Sometimes this is what I think novelists do that makes them similar to painters. Abstract painters in particular. Looking for things in one part of a canvas that echo things in another part of a canvas.Mark Binelli, «Intensity of a Plot : an interview with Don DeLillo ».

Guernica, July 2007, http://www.guernicamag.com/interviews/373/intensity_of_a_plot/ [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

Citer la dédicace, s’il y a lieu

Aucune dédicace.

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

http://www.villagevoice.com/books/0720ledbetter7662310.html [La page n’est plus accessible.]

http://www.nytimes.com/2007/05/27/books/review/Rich-t.html [Page consultée le 8 septembre 2023. Article payant.]

http://books.guardian.co.uk/reviews/generalfiction/0,,2078265,00.html [Page consultée le 8 septembre 2023]

http://books.guardian.co.uk/reviews/generalfiction/0,,2088344,00.html [Page consultée le 8 septembre 2023]

http://nymag.com/arts/books/features/31521/ [Page consultée le 8 septembre 2023]

http://www.quarterlyconversation.com/TQC_8/delillo.html [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

http://www.slate.com/id/2166831/entry/2166838/ [Page consultée le 8 septembre 2023]

http://www.esquire.com/fiction/book-review/delillo [Page consultée le 8 septembre 2023]

http://www.bookforum.com/inprint/200703/244 [La page n’est plus accessible.]

http://www.thenation.com/doc/20070528/leonard [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

http://www.avclub.com/content/words/falling_man [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

Impact de l’œuvre

Falling Man a été l’objet de conférences lors de deux colloques internationaux associés à l’Équipe de recherche sur l’imaginaire contemporain: littérature, imaginaire et nouvelles textualités (ERIC LINT) de l’Université du Québec à Montréal (: Vicky Pelletier, “Violences du 11 septembre : Falling Man de Don DeLillo”, in colloque États de violence: esthétique, politique, imaginaire, 21 et 22 mai 2009, et Jean-Philippe Gravel, “Temps Ground Zero: Don DeLillo et la contre-narration du 11 septembre 2001” , in colloque “Fictions et images du 11 septembre 2001”, Université du Québec à Montréal, 14 et 15 décembre 2007). Le roman semble avoir favorisé dans un contexte de lecture littéraire, un retour rétrospectif sur l’attention particulière qu’accordent les romans de DeLillo à la figure du terroriste et aux tours du World Trade Center; attention qui se manifeste non seulement dans les textes proprement dits, mais aussi dans leur présentation iconographique (cf. présence des tours jumelles sur la page couverture d’Underworld (1997) et de certaines éditions de Players (1977)). La réception du roman dégage alors plus qu’ailleurs une tendance à recourir aux romans antérieurs de DeLillo comme intertexte et comme cadres de référence partiels.

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

Fictionnalisation dans le sens d’une contre-mythification pourrait être l’expression juste pour évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre. Impossible, en effet, de concevoir le projet de DeLillo hors d’un désir de s’approprier les événements sans devoir puiser dans le bagage des référents communs qui ont fixé l’événement dans divers écueils (politiques, patriotiques, hagiographiques). En témoignent ses divers choix esthétiques, qui favorisent l’emploi d’une langue dépouillée, “blanche”, et d’une grande économie en ce qui a trait à la gestion des données historiques fixant le cadre du récit : éludation quasi-complète des référents officiels, approche dédramatisante, mise sous silence du discours des médias, gestion flexible et subjectivée de la temporalité. Mettant le langage à l’épreuve d’une expérience innénarrable, Don Delillo semble par ailleurs indiquer que c’est à même les ratés de celui-ci que la vérité de cette expérience peut trouver à se dire. La force d’évocation du langage n’est donc pas mise en échec par son objet : lors du témoignage de Florence Givens, La quête, difficile, du mot juste, les figures, les fragments d’impressions qu’il fait émerger, semblent doués du pouvoir incantatoire de les rematérialiser, de les ramener à l’existence dans une mémoire partagée. (Voir la rubrique «citations».) Il n’en reste pas moins que ce récit qui capte la dérive et le repli sur soi d’une poignée de personnages semble accuser comme un leurre la façon officielle, rassembleuse, de représenter les attentats. Contrairement aux écueils de celle-ci, l’entreprise de DeLillo exhume de l’image d’un champ de ruines le spectacle de rapports humains au bord de la dissolution. Le 11 septembre aurait donc moins été un événement unificateur que disséminant, en termes de rapports humains. Cette interrogation des effets du 11 septembre relance aussi chez DeLillo une interrogation qui lui est familière sur les capacités de l’artiste à marquer la conscience collective, à une époque où seuls les actions terroristes à grande échelle semblent pouvoir le faire. La destinée sacrificielle de l’artiste de performance qui donne son nom au roman porte cette interrogation, de même que l’intérêt soudain, suscité après-coup, par les éditeurs (pour qui Lianne travaille) envers un manuscrit obscur qui semblait avoir “prévu” les attentats — manière pour DeLillo de relancer une réflexion ironique sur les rapports entre l’art et le commerce, dont les intérêts se déplacent à la suite des grandes catastrophes.

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

Nina Bartos : « Nothing is next. There is no next. This was next. Eight years ago they planted a bomb in one of the towers. Nobody said what’s next. This was next. The time to be afraid is when there’s no reason to be afraid,. Too late now.» (p. 10)

Martin : “But that’s why you built the towers, isn’t it? Weren’t the towers built as fantasies of wealth and power that would one day become fantasies of destruction? You build a thing like that so that you can see it come down. The provocation is obvious. What other reason would there be to go so high and then double it, do it twice? It’s a fantasy, so why not do it twice? You are saying, Here it is. Bring it down.” (p. 116).

«They strike a blow to this country’s dominance. They achieve this, to show how a great power can be vulnerable. […] One side has the capital, the labor, the technology, the armies, the agencies, the cities, the laws, the police and the prisons. The other side has a few men willing to die.» (p. 46-47).

«For all the dangers it makes in the world, America is going to become irrelevant. […] Soon the day is coming when nobody has to think about America except for the danger it brings. It is losing the center. It is becoming the center of its own shit.» (p.191)

(Pensées de Hammad 🙂 «These people jogging in the park, world domination. These old men who sit in beach chairs, veined white bodies and baseball caps, they control our world. He wonders if they think of this, ever.» (p. 173)

[Citation illustrant la capacité d’évocation du langage : ] «This is also where [Florence] saw someone she knew, going up, a maintenance man, a guy she used to joke with whenever she saw him, going up right past her, carrying a long iron implement, like something to pry open an elevator door, maybe, and she tried to think of the word for the thing.[Keith] waited. She looked past him, thinking, and it seemed important to her, as if she were trying to recall the man’s name, not the name of the tool he was carrying.Finally he said, “Crowbar.””Crowbar,” she said, thinking about it, seeing it again.Keith thought he’d also seen the man, going up past him, a guy in a hard hat and wearing a workbelt with tools and flashlights and carrying a crowbar, bent end first.No reason to remember this if she hadn’t mentioned it. Means nothing, he thought. But then it did. Whatever had happened to the man was situated outside the fact that they’d both seen him, at different points in the march down, but it was important, somehow, in some indeterminate way, that he’d been carried in these crossing memories, brought down out of the tower and into this room. » (p.57)

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

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