Colloque, 7 juin 2018

«Si dans le premier acte un fusil est accroché au mur c’est que personne ne tirera»: l’anti-série policière «Search Party» à l’assaut des signes

Émile Bordeleau-Pitre
couverture
Pop 2018: Genres, recyclage, franchises, fans, événement organisé par Megan Bédard, Jean-Michel Berthiaume, Catherine Côté, Fanie Demeule, Samuel Archibald, Antonio Dominguez Leiva et Sarah Grenier-Millette

«En temps normal, les romans –ou films, séries– policiers classiques fonctionnent selon des règles bien établies et connues: ils mettent en scène «des faits peu ordinaires ou extraordinaires qui semblent déraisonnables voire irrationnels, des faits qui par suite mettent en désordre les pensées de quelques personnages, des faits cependant que d’autres personnages –les détectives–, capables d’en rendre raison, ramènent à l’ordre» (Chastaing, 1977, 28). Empruntant aux codes et conventions du genre –ses deux premières saisons forment un étrange miroir déformant de l’intrigue de How to Get Away with Murder– la série Search Party (2016-…) exploite ces attentes en donnant l’impression de mettre en place une mécanique traditionnelle d’obscurcissements et de révélations qui, se déployant, rapproche graduellement le téléspectateur d’un point final d’élucidation. La première saison raconte donc l’histoire de Dory, jeune adulte qui n’arrive pas à trouver sa place (dans un entretien d’embauche, elle se plaint de ce que tout le monde lui répète ce qu’elle n’est pas capable de faire sans jamais lui expliquer ce qu’elle serait en mesure d’accomplir), accompagnée d’un groupe d’amis, qui part à la recherche de Chantal Witherbottom, ex-camarade de classe portée disparue. Cette quête, ponctuée de signes populaires des années 2010 ayant perdu leur sens à force d’être récupérés (un indice est trouvé dans une vidéo de Ice Bucket Challenge; le père de Chantal encourage les personnes présentes à sa vigile à utiliser le hashtag #IAMCHANTAL), s’avère vaine. Tous les indices, sans compter leur organisation en un réseau cohérent, n’auront eu d’assise que dans la tête des protagonistes. La série se termine comme une attaque radicale au fameux principe dramaturgique du fusil de Tchekhov: “Si dans le premier acte vous dites qu’il y a un fusil accroché au mur, alors il faut absolument qu’un coup de feu soit tiré avec au second ou au troisième acte. S’il n’est pas destiné à être utilisé, il n’a rien à faire là.”

Ma communication visera en première partie à exposer la manière dont Search Party instaure un dispositif de tromperie –liquidant dans un acte final les indices que la série aura semé, frappant du sceau d’insignifiance tout ce qui était d’abord apparu comme fondamental. En seconde partie, je m’intéresserai au sens que nous pouvons donner à cet affront au sens et aux signes: une critique tant de la génération précédente, dont les histoires et outils devenus caducs n’arrive plus à expliquer le monde d’aujourd’hui, que de la génération actuelle, dont le narcissisme et l’artificialité s’avèrent peut-être être les meilleures défenses dans un univers banal et amoral.» (Texte d’Émile Bordeleau-Pitre)

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