Entrée de carnet

L’écologie queer en action: pour un changement radical

Olivier Gauvin
couverture
Article paru dans Écoécritures – études collaboratives et décentrées, sous la responsabilité de Catherine Cyr et Jonathan Hope (2021)

L’article d’Arons amène à se questionner sur plusieurs aspects de la relation entre humains et autre-qu’humains. À partir de sa réflexion sur l’écologie queer, elle relève trois éléments qu’elle explore à travers tout autant de pièces contemporaines. Dans Grasses of a Thousand Colors de Wallace Shawn, Arons analyse la déconstruction des binarités telles qu’humain/autre-qu’humain, dans Bears de Mark Rigney, elle aborde la différence entre la conscience humaine et autre-qu’humaine, qui relève davantage du degré que du type, et dans My Barking Dog d’Eric Coble, elle approfondit l’hybridité et son potentiel pour une réorganisation radicale du monde social. Tous ces éléments contribuent, plus largement, à décentrer l’expérience humaine, qui n’est pas unique et qui n’a pas une valeur intrinsèque plus grande que celles d’autres formes de vie, ou même des matières.

Un aspect récurrent des analyses d’Arons est celui du consentement des autre-qu’humains. La pièce Bears travaille cette notion avec ses trois protagonistes captifs d’un zoo, les ours Growl Bear, Timmy et Suzie Wild Bear. Chacun vit cette captivité et la relation forcée aux humains de manière différente, de même que la possibilité de s’évader du zoo pour vivre, à sa manière bien personnelle, en tant qu’ours. Grasses of a Thousand Colors et My Barking dog s’intéressent au consentement à travers la sexualité entre différentes espèces. Dans les deux cas, Arons affirme que cette sexualité n’est ni perverse ni tabou. Elle se déploie plutôt dans une intimité, un moment de rencontre privilégié avec l’autre. Un maillage advenu soudainement entre les espèces, sans que l’humain n’assoie sa supériorité sur l’autre-qu’humain de quelque manière que ce soit : «In each case, the trope of the human fucking the nonhuman that adheres to our cultural understanding of bestiality is refigured: sex with an animal becomes less a means of dominance of the human over the nonhuman than a radical opening of the human to the nonhuman.» (p.581) Dans My Barking Dog, cette relation mène d’ailleurs à une grossesse, et ce malgré l’expression de genre des personnages. L’avènement de cette grossesse fait tomber plusieurs constructions sociales, notamment celles qui s’entêtent à binariser le sexe, et plus largement le genre, en plus d’offrir un discours modéré entre les positions qui visent un effacement complet de l’humain et celles qui donnent lieu aux idées de robotisations des abeilles.

La crise de la sensibilité qu’étudient Estelle Zhong Mengual et Baptiste Morizot se résoudra-t-elle par ce chemin de l’hybridité? La pièce de théâtre qu’analyse Arons permet de penser qu’il s’agit d’une voie possible. Et dans ce cas, pourquoi ne pas commencer — ou plutôt, continuer — par l’explorer à travers la fiction? Cependant, la question du consentement demeure. Comment s’assurer que l’humain ne répétera pas les mêmes erreurs, tout en pensant bien faire? Comment peut-on mesurer le consentement chez les autre-qu’humains? La pièce Bears aborde trois manières dont les choses pourraient se dérouler : avec le consentement des autre-qu’humains, mais sans leur intervention, sans leur consentement ni leur intervention, ou encore avec leur consentement. Si cette pièce ne permet pas de répondre avec certitude à la question, elle donne matière à réflexion. Une réponse plus étoffée, du moins pour les animaux non-humains, pourrait se trouver chez les théoriciennes antispécistes comme Sue Donaldson et Will Kymlicka qui proposent d’instaurer une citoyenneté animale et de les laisser vivre avec nous ou non, à leur choix.

Le texte d’Arons soulève en effet plusieurs questions, mais l’autrice réussit à inscrire sa réflexion à la fois dans une lignée de théoriciens et théoriciennes — plus particulièrement, Timothy Morton et Jane Bennett — en plus d’appliquer ses réflexions de manière concrète à des pièces contemporaines qui abordent de front la relation entre autre-qu’humains et humains. S’il demeure difficile d’imaginer un monde réel égalitaire et sans catégories binaires, Wendy Arons montre bien que la fiction demeure une manière de découvrir petit à petit des réponses.

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