Cahiers Figura, numéro 34, 2013

L’idée du lieu

Daniel Chartier
Marie Parent
Stéphanie Vallières
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Le lieu, qu’il existe géographiquement ou non, est avant tout «une idée de lieu», une construction imaginaire dont les matériaux premiers sont les discours, issus non seulement des productions artistiques mais aussi de la culture populaire et médiatique. Le lieu se prêterait donc à être lu: comme un texte, sa compréhension exige un acte de mise en forme et appelle différentes interprétations. À partir de multiples types de discours (publicitaire, touristique, historique, littéraire, mythologique, médiatique, visuel), les articles rassemblés ici proposent une lecture inédite de différents sites, tout en proposant une méthode d’analyse originale. Ils montrent comment le lieu est susceptible de révéler les valeurs et les contradictions de ceux qui le pensent, l’érigent, l’habitent, le pratiquent ou l’évoquent.

Avec des textes de Benoit Bordeleau, Daniel Chartier, Isabelle Kirouac-Massicotte, Mélanie Landry, Myriam Marcil-Bergeron, Olivier Paradis-Lemieux, Marie Parent, Émilie Rousseau et Stéphanie Vallières.

Articles de la publication

Marie Parent & Stéphanie Vallières

Présentation de l’ouvrage

L’ouvrage que nous proposons ici se penche sur ce qui constitue, discursivement et culturellement, un «lieu». La prémisse principale du séminaire de Daniel Chartier, à la source de cette réflexion, est que le lieu, qu’il existe géographiquement ou non, est avant tout «une idée de lieu», se composant de la somme des discours produits sur lui -discours littéraires bien sûr, mais également diverses représentations issues tant de la culture restreinte que de la culture populaire. Le lieu sera ainsi abordé comme un signe, susceptible de révéler les valeurs et les contradictions de ceux qui l’érigent, l’habitent ou le pratiquent.

Daniel Chartier

Introduction. Penser le lieu comme discours

Posons l’hypothèse que le lieu -ou l’idée du lieu, nous y reviendrons- existe d’abord et avant tout comme un réseau discursif, donc comme une série et une accumulation de discours, qui en détermine et façonne les limites, les constituantes, l’histoire, les paramètres, etc. Par discours, entendons tout à la fois la fiction (romans, films, chansons, poèmes, pièces de théâtre, légendes) et le documentaire (reportage, guides de voyage, récits de vie, histoires personnelles), qu’il soit fixé (par l’écrit, l’enregistré, la mémoire collective) ou passager (conversations, racontars).

Marie Parent

La banlieue nord-américaine entre grandeur et décadence. Le Quartier DIX30

Dans un article publié en 2007 et intitulé «Envoyée spéciale, Dix30», la journaliste Rima Elkouri prend la direction de la Rive-Sud dans le but avoué de «voir la banlieue sous un jour nouveau» (Elkouri, 2007: A9), envers et contre tous ses préjugés. Son idée du Quartier DIX30, écrit-elle, est principalement composée de ouï-dire et de légendes urbaines.

Myriam Marcil-Bergeron

Le Café Campus dans l’imaginaire montréalais. Au croisement de la fête et de la résistance

Les lieux nocturnes que sont les bars possèdent l’attrait du mystère: ils fascinent tout en demeurant difficiles à saisir, à expliquer. Le Café Campus s’inscrit dans le réseau des bars les plus populaires à Montréal et la multiplication de ses activités entraîne un discours publicitaire tentaculaire: soirées spéciales de la discothèque, matchs d’improvisation théâtrale et musicale, lancements d’albums, etc. Mais ce lieu ne s’inscrit pas uniquement dans le discours grâce au paradigme du divertissement.

Stéphanie Vallières

Le village historique de Val-Jalbert. Authentique fantôme ou spectaculaire industrie?

Le village historique de Val-Jalbert, aujourd’hui une populaire attraction touristique de la région du Lac-Saint-Jean, est né de la volonté de donner une vocation récréative à un village abandonné tout près de Roberval. Officiellement déserté en 1932, après la fermeture de l’usine de pulpe qui avait motivé sa fondation, l’ancien village de compagnie est interdit à la circulation pendant près de trente ans. C’est en 1962 que le début de la vie touristique de Val-Jalbert est signé, lorsque le ministère du Tourisme, nouvellement chargé d’administrer les restes du village, rouvre les portes de celui-ci au public et commande plusieurs études afin de planifier son développement.

Mélanie Landry

L’ambiguïté fondamentale du Styx, vivant fleuve des morts

Même s’il s’agit d’un cours d’eau appartenant à la tradition gréco-romaine antique, rares sont ceux qui, de nos jours, n’ont jamais entendu parler d’un lieu nommé Styx. Le Styx est essentiellement un fleuve des enfers grecs, l’Hadès, que les âmes des morts traversent à bord de la barque du nocher Charon. Si cette image stéréotypée et simpliste est la seule qu’il nous reste aujourd’hui du Styx, il convient de préciser que ce fleuve antique faisait l’objet d’une représentation beaucoup plus complexe dans l’imaginaire ancien. L’existence du Styx étant directement associée aux croyances dites païennes, leur déclin, dû à l’expansion de la culture judéo-chrétienne, a transformé ce fleuve sacré en lieu disparu.

Benoit Bordeleau

Déambuler rue Ontario. Raboudinage d’une artère montréalaise

Si certaines artères de la ville de Montréal, comme Saint-Laurent (la Main), Saint-Denis, Saint-Urbain et Sainte-Catherine, ont obtenu leurs lettres de noblesse par le biais d’oeuvres littéraires marquantes, leur vie culturelle ou la diversité de leurs habitants, il n’en va pas de même pour la rue Ontario. Celui qui déambule rue Ontario se rend compte rapidement qu’il entre en contact avec des mondes contrastés qui, pourtant, témoignent d’une certaine cohérence. Entretenant un rapport métonymique avec les quartiers qu’elle traverse, à savoir le Centre-Sud et Hochelaga-Maisonneuve, cette Main de l’East Side montréalais, tantôt espace de liberté, tantôt cimetière, est présentée dans la chanson populaire et dans la littérature québécoise comme une courtepointe.

Olivier Paradis-Lemieux

Le Chinatown de Québec. Reconstruction imaginaire d’un quartier disparu

Les villes se rebâtissent continuellement sur elles-mêmes. Elles ressemblent à des organismes vivants, en perpétuelle mutation, aux corps difformes et baroques. Que reste-t-il d’un fragment de ville, d’un quartier, une fois qu’il a été rasé, que ses occupants ont été dispersés, qu’on a effacé sa trace en réédifiant sur ses restes un nouveau quartier à la vocation autre, sans y inscrire le souvenir d’un passé bien différent? Ce qui forme un quartier, ce sont les gens qui y habitent, leurs usages du lieu, leurs habitudes, ou encore l’impression qu’il laisse à ceux qui le traversent.

Isabelle Kirouac-Massicotte

Spirit Lake. Un camp de concentration au coeur de la forêt abitibienne

La mémoire des lieux est le plus souvent secrète, inaccessible. En étudiant une carte géographique de l’Abitibi d’aujourd’hui, il est impossible de se douter que des immigrants y ont été internés pendant près de deux ans au début du XXe siècle. Et pourtant, Spirit Lake est un camp de concentration créé dans le village de La Ferme, en Abitibi, région fraîchement ouverte à la colonisation lors de la Première Guerre mondiale.

Émilie Rousseau

Uluru, ou l’impossible patrimonialisation du rocher sacré

Uluru est l’un des sites sites touristiques les plus fréquentés d’Australie, mais peu de visiteurs se doutent que dans ce lieu se nouent deux visions du monde radicalement opposées. Située en plein coeur de l’arrière-pays semi-aride australien, l’outback, dans les Teritoires du Nord, cette petite montagne caractérisée par sa couleur rouge a une hauteur de 348 mètres et une circonférence de 9, 5 kilomètres. À quelque 32 kilomètres d’Uluru se trouve une autre formation sédimentaire, Kata Tjuta. Ensemble, ces deux monticules rocheux composent aujourd’hui la réserve naturelle Uluru-Kata Tjuta National Park.

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