Colloque, 23 avril 2014

Les mots pour me dire. Le personnage comme «devenir-sujet» chez Chloé Delaume et Annie Ernaux

Daniel Letendre
couverture
L’imaginaire contemporain. Figures, mythes et images, événement organisé par le Centre de recherche sur le texte et l'imaginaire Figura

Le personnage est une structure textuelle qui a été mise à mal dans les cinquante dernières années. Simple outil d’une représentation bourgeoise pour certains, être fictif trop typé et invraisemblable pour d’autres, le personnage a surtout été attaqué en ce qu’il ne parlait pas vrai, marionnette agie par un narrateur et une idéologie mauvais ventriloques. Cette remise en cause du personnage est une conséquence de la suspicion envers tout discours et toute autorité qui avancent masqués, qui emploient des intermédiaires (déguisements rhétoriques ou êtres de papier) pour transmettre un certain nombre de valeurs morales, une conception téléologique de l’histoire, en bref, leur message. Considéré — et en cela il se range dans la liste des médias — comme un dispositif mis à profit par un pouvoir qui nie toute autonomie à l’individu que le personnage est censé, au premier chef, incarner dans une fiction, il a été écarté d’un certain nombre de récits pour figurer autrement ce délitement (recherché ou non) du sujet.

On assiste toutefois, dans le récit actuel, à un retournement de cette critique du personnage perçu comme le pantin d’une autorité ou l’avatar de l’individu bourgeois imbu de lui-même. La transposition de soi en un personnage est en effet le biais par lequel s’accomplit un processus de subjectivation. Si, comme le confirment de nombreux travaux, l’homme d’aujourd’hui fait l’expérience d’une difficulté à s’inscrire à la fois dans une histoire et dans une collectivité, la transformation de soi en un personnage lui offre une position dans une diégèse et une communauté sociale (formée par le texte), mémorielle et littéraire en regard desquelles il peut devenir sujet.

L’entreprise autofictive de Chloé Delaume et l’autobiographie impersonnelle Les années d’Annie Ernaux fourniront les exemples appuyant la démonstration de cette hypothèse. Ces deux écrivaines proposent une définition du sujet comme invention de soi-même par le façonnement d’un langage et d’une forme propres à se dire.

Daniel Letendre est chercheur postdoctoral au département des littératures et au CRILCQ de l’Université Laval et chargé de cours au département de lettres et communication sociale à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Ses projets de recherche, dont le cadre théorique combine les théories de l’énonciation, la narratologie et la pragmatique littéraire, portent sur l’interrelation entre l’expérience sensible du monde contemporain et les transformations qu’elle induit à la poétique actuelle du genre romanesque, en France et au Québec.

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