Entrée de carnet

L’enfant-loup

Lucie Quevillon
couverture
Article paru dans Écoécritures – études collaboratives et décentrées, sous la responsabilité de Catherine Cyr et Jonathan Hope (2021)

Pour transmettre des informations cruciales sur la nature en péril, sans transmettre mes propres peurs, ai-je besoin de prendre en compte l’âge du récepteur? En tant qu’adulte, comment puis-je informer, sans apeurer? Est-ce que la semence cognitive et affective va germer dans le terreau de l’innocence?

Le curriculum scolaire aborde les matières essentielles pour le développement des jeunes et la transmission des connaissances et des valeurs. Cette transmission demeure nécessaire à leur adaptation au monde comme des êtres libres possédant un esprit critique. Cependant, environ 20% des élèves québécois n’obtiennent pas leur diplôme d’études secondaires. Les difficultés se trouvent surtout dans les domaines français et des mathématiques, dont l’utilisation des inférences pour la compréhension de texte et la résolution de problèmes. Lorsqu’il s’agit d’enjeux reliés à la nature, à la flore, à la faune, aux pandémies, ainsi qu’au réchauffement climatique, le problème s’alourdit et inquiète des chercheurs du monde entier, ainsi que des enfants : « Est-ce qu’il y aura une fin du monde ? »(Reeves, 2011).

La transmission culturelle, en ce sens, favorise, par ses agents et ses institutions, l’échange au sujet des valeurs, des croyances et des savoirs. Parmi ces agents culturels, notons la littérature, les arts et l’éducation. Cette dernière permet le développement des habiletés de penser, mais sans l’action, elles demeurent moins efficaces (Dewey, 2019). D’autre part, les arts, la musique et la littérature sont des imitations. Celles-ci sont naturelles aux humains et permettent d’acquérir les premières connaissances dans un contexte de plaisir (Aristote). La littérature est «… un moyen à part entière de produire un « savoir » qui lui est consubstantiel… » (Ouellet, 2000, p. 21) Dans la littérature, la «… dimension perceptive de la signification… » est «… transversale au langage… » qui demeure lié «… à la nature phénoménale de l’expérience cognitivo-perceptive par laquelle nous produisons et nous organisons nos connaissances… » (Ouellet, 2000, p. 22).

Cependant, pour transmettre des informations cruciales sur la nature en péril, sans transmettre mes propres peurs, ai-je besoin de prendre en compte la nature du récepteur ? En tant qu’adulte, comment puis-je informer, sans apeurer ? Est-ce que la semence cognitive et affective va germer dans le terreau de l’innocence ? Alors, je propose de faire des liens entre l’attachement chez l’animal, la nature, et l’humain à travers un corpus d’oeuvres littéraires dans un souci de dialogue entre la nature et la culture.

Attachement animal-humain-nature

L’analogie ou la comparaison peut faciliter la compréhension. Les références phylogénétiques de chercheurs psychologue (Harlow, 1959) et biologiste (Lorenz, 1991), comme mentionné dans les cours de Lévy (1985) illustrent la similarité entre les humains et les animaux par rapport aux liens affectifs et à l’attachement. Par exemple, «  chez les campagnols comme chez l’humain, les aires du cerveau impliquées dans l’attachement font partie du système du plaisir » (Lambert et Lotstra, 2005). Les deux types d’attachement (maternel et romantique) activent des régions spécifiques du système de récompense du cerveau où les récepteurs d’ocytocine et de vasopressine sont abondants. Ces types d’attachement activent un système de rapprochement ou d’éloignement selon l’évaluation de l’autre. (Bartels et Zeki, 2003).

De plus, la perception laisse des traces au niveau du cerveau. Chez le rat et le caneton, l’empreinte demeure intense lorsque l’appel sonore de la mère et son image sont simultanés. L’empreinte s’effectue comme modifications biologiques des neurones jusqu’à l’âge adulte (Suge &McCabe, 2004). Enfin, la séparation des ratons et de leur mère influence grandement la neurogenèse et l’apprentissage des petits (Greisen et al., 2005; Lambert et Stratston, 2005).

Chez l’humain, un lien entre le développement affectif et le développement cognitif s’exprime dans les théories développées par Bowlby (1977), Moss et Saint-Laurent (2001) et Ainsworth (1989). L’enfant anxieux canalisera son énergie à survivre, à cause de l’absence ou de l’inadéquation de la figure d’attachement (Bowlby, 1977). L’enfant blessé concentrera ses énergies à guérir et l’enfant sécure pourra découvrir son environnement en toute quiétude. Il prendra le temps de vaquer à ses occupations : socialisation, jeux, apprentissages, etc.

Apprentissage

En voulant transmettre des messages au sujet de la nature et de la culture, le contexte et le média influencent l’apprentissage et le développement des élèves. La curiosité envers la langue, l’amitié, les premiers schèmes piagétiens liés à la lecture et la compétence linguistique vont être favorisés dans un contexte qui prend en compte l’imaginaire, la poésie, les arts, la réflexivité linguistique et cognitive de l’élève, qu’on peut nommer écopoésie et qui touche à l’éthique et au style d’enseignement. (Favriaud et Liu, 2018).

Lorsque je transmets des informations, je dois tenir compte de la nature du récepteur, soit de son âge, de son développement cognitif et affectif, ainsi que de son état ? M’assurer de la compréhension du message en vérifiant son vocabulaire, en utilisant des formes de communications variées, verbales, visuelles peut sans doute aider. Cependant, certaines émotions comme la peur ou une image négative de soi, des souvenirs traumatiques altèrent l’échange et la réceptivité. Le dialogue, l’écoute, l’empathie et le respect seront des outils fort utiles pour qui veut échanger de façon efficace. Donner des indices sur les problèmes rencontrés pour que les élèves découvrent eux-mêmes les solutions les aide à prendre confiance en eux et à développer les étapes de la réflexion et du raisonnement.

De plus, les oeuvres littéraires qui abordent les questions reliées à la vie, à la nature et à la planète intéresseront les élèves par leur qualité esthétique, leur sensibilité, leur imaginaire et leur discours adaptés aux jeunes lecteurs.

La littérature comme outil didactique et esthétique

Outre l’éducation, la littérature demeure un lieu important pour transmettre cette philosophie de l’attachement, du respect, de l’éthique, de l’esthétique et de la résolution de problèmes quant à la flore, à la faune et à l’environnement. Le corpus sera élaboré à partir de différentes thèses sur le sujet, d’une exploration par les moteurs de recherches des bibliothèques universitaires et publiques de la région, ainsi que du OIC.

Par la suite, une analyse sémiotique des oeuvres sera effectuée en explorant les plans plastiques, iconiques et symboliques des textes et des images. Un dialogue avec les oeuvres mettra à jour les composantes essentielles dont les messages véhiculés et les manières d’interagir entre nature et culture.

Cependant, il demeure rare d’utiliser les théories de l’attachement pour analyser la littérature jeunesse, mais on peut y voir des types d’attachement : dédaigneux, hostile et d’acceptation (Galbraith, 1998). Des enfants-lapins ou des enfants-ours illustrent des relations filiales difficiles (Brown, 1947) ou nécessaires : « I want to stay because what a bear really needs is another bear. One that will never go away especially in the night. » (Helquist, 2010) L’attachement entre un adolescent et son animal préféré sert de trame narrative à certains romans (M.-Boivert, 1998). L’analyse des relations intimes dans un album peut se faire selon une approche multisémiotique par une métaphore sémiotique entre le texte et l’image. La combinaison de l’image et du texte peut créer du sens. Au-delà du relais et de l’ancrage (Barthes, 1964), l’image et le texte se construisent en couches juxtaposées ou composées et les métaphores picturales et verbales permettent le transfert de signification (Maya Guijarro, 2016)

L’identité humain-animal

Tommy, l’enfant-loup de Samuel Archibald, premier roman analysé, fait écho à d’autres textes de Kipling (2015) et de Burroughs (2017) : Le livre de la jungle et Tarzan, respectivement, ainsi qu’au mythe de l’enfant élevé par des loups ou des singes. Il rappelle aussi l’enfant sauvage d’Aveyron étudié par le Dr Itard et porté à l’écran par Truffaut (1970) . Un album et un roman réitèrent ce récit (Gerstein, 1998). Dans le roman d’Archibal, Tommy, « sorte de créature mi-homme, mi-loup, avec des crocs et des griffes » semble différent des autres enfants et se fait rejeter à l’école. Il retourne dans la forêt où il fut trouvé par un chasseur. Il semble avoir été élevé par une louve depuis sa tendre enfance. Les légendes et les mythes sont à l’honneur, mais offrent aussi un dialogue sur l’identité homme-animal. La nature est au rendez-vous et la culture rejette la différence. La nature l’emporte lorsque l’enfant parle avec les loups et que l’entente homme-loup est respectée.

Les lieux : la cabane dans l’arbre

Plusieurs oeuvres campent les arbres comment représentation du refuge, hors de la société blessante ou contraignante. Marco y passe du temps et aime observer les animaux et écouter les oiseaux au lieu d’être à l’école avec ses règles stupides ou à s’ennuyer de sa mère divorcée et de son père distant. (Charland, 2015). Quant à Maïla, elle y amène en secret le petit chat qu’elle a trouvé et qu’elle veut garder (Montour et Grimard, 2006). Les enfants de La tribu qui pue ont érigé leur campement dans « … des petites cabanes de branches dans les arbres… » (Gravel et Le Huche, 2018, s.p.). Ils se sont éloignés de l’école trop propre et de leur enseignante sévère.

L’attachement

La quête de François s’énonce en la recherche de son cheval-ami Pacho, avec l’aide de Florence et de son indice. (M.-Boivert, 1998)

L’enquête

Quelques romans s’organisent sous forme d’enquête où les personnages doivent suivre des indices pour retrouver les coupables fautifs envers la nature ou les animaux.

Corpus provisoire :

Archibald, S. Rocheleau, J. (2015). Tommy l’enfant-loup. Montréal : Le Quartanier.

Bergeron, A. M., Quentin, M. Sampar.  (2012). Savais-tu ? Les Marmottes. Éditions Michel Quintin : Waterloo.

Brown, M. W. (1947, 2007). Good Night Moon. HarperCollins.

Burroughs, E. R. (2017). Tarzan of the Apes. Race Point Publishing.

Charland, D., Lindsay, J. (2015). La cabane dans l’arbre. Montréal : Éditeur Bayard Canada.

Després, C., Desjardins, A. (2018). Abécédaire des arbres de A à Z. Blainville, Éditions Petite fleur.

Dodier, S., Pallegoix, L. (2014). Un arbre. Montréal : Isatis.

Eggleton, J. (S.d.). La maison dans les arbres. Montréal : Chenelière éducation.

Gaetz, D. (1995). Le secret du lac à l’aigle. Waterloo, collection nature jeunesse : Éditions Michel Quintin.

Gaydier, A. (2013). L’arbre à bulles T.1 : Le Leilos. Éditeur Belle Feuille.

Gerstein, M. (1998). The Wild Boy based on a true story. A Sunburst Book.

Gravel, E., Le Huche, M. (2018). La tribu qui pue. Montréal : la courte échelle.

Guillet, J.-P. (1992). Enquête sur la falaise. Waterloo, collection nature jeunesse, Éditions Michel Quintin.

Helquist, B. (2010). Bedtime for bear. HarperCollins.

Kipling, R. (2015). Le livre de la jungle. Caractère Éditeur.

Langlois, A. Eid, J.-P. (2019). L’arbre de Marco. Montréal : Bayard Canada.

Lévy, J. J. (1985). SEX2125, Fondements phylogénétiques et culturels de la sexualité humaine, automne)

Martin, A. (2020). Filles des arbres. Levesque éditeur.

M.-Boivert, N. (1998). L’énigme de l’île aux chevaux. Waterloo : Éditions Michel Quintin, Collection Nature Jeunesse.

Mckinnon, C. Parfum d’arbres, pièces pour guitare seule (Sapin, Lilas, Érable). Visité le 1er février 2020. http://societedeguitareclaudemckinnon.com/?p=754

Montour, N., Grimard, G. (2006). L’arbre à chats. Montréal : Dominique et compagnie.

Moore, C., Bouchard, J. (2014). Je voudrais être un arbre. Soulières Éditeur.

Pasquet, J., Arbona, M. (2020). Mon île blessée. Montréal : Éditions de l’Isatis.

Reeves, H. (2011). L’univers expliqué à mes petits-enfants. Paris: Éditions du Seuil.

Robitaille, R. Béha, P. (2015). Douze oiseaux. Montréal : Les Éditions de la Bagnole.

Sylvestre, F., El-Mohamad, S. (2010). Contes du ciel et de la terre. Éditions Planète rebelle.

Truffaut, F. (1970). The Wild Child. MGM Home Entertainment. World Films.85 min.

Références :

Ainsworth, M. (1989). Attachments Beyond Infancy. American Psychologist, 44, 4, 709-716.

Aristote (1997). Poétique : Éditions Mille et une nuits.

Bartels, A., Zeki, S. (2004). The neural correlates of maternal and romantic love. NeuroImage 21, 1155–1166.

Barthes, R. (1964). Rhétorique de l’image. In: Communications, 4, 40-51 Recherches sémiologiques. pp. 40-51; doi : https://doi.org/10.3406/comm.1964.1027 https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1964_num_4_1_1027

Bowlby, J. (1977). The Making and Breaking of Affectional Bonds. British Journal of Psychiatry, 130, 201-210

Favriaud, M., Liu, D. (2018). Pour une écopoésie de l’apprentissage de la lecture au cycle 2, qui n’oublie pas les élèves en difficulté, Pratiques [En ligne], 179-180, mis en ligne le 31 décembre 2018, consulté le 22 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/pratiques/5334 ; DOI : 10.4000/pratiques.5334

Galbraith, M. (1998). Goodnight nobody revisited: using an attachment perspective to study picture books about bedtime. Children’s literature association quarterly, 23, 4, 172-180. DOI: https://doi.org/10.1353/chq.0.1120

Harlow, H., Zimmermann, R. (1959). Affectional Responses in the Infant Monkey. Science, 21, 130, 421- 432. https://www.jstor.org/stable/1758036

Lorenz, K. (1991). L’année de l’oie cendrée. Paris : Stock.

Lambert, N. Et Lotstra, F. (2005). L’attachement de Konrad Lorenz à Larry Young : de l’éthologie à la neurobiologie. Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 2, 35, 83-97. https://www.cairn.info/revue-cahiers-critiques-de-therapie-familiale-2005-2-page-83.htm

Maya Guijarro, A. J. (2016). The role of semiotic metaphor in the verbal-visual interplay of three children’s picture books. A multisemiotic systemic-functional approach. ATLANTIS Journal of the Spanish Association of Anglo-American Studies, 38, 1, 33-52.

Moss, E., Saint-Laurent, D. (2001). Attachement at School Age and Academic Performance. Developmental Psychology, 37, 6, 863-874.

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