Entrée de carnet

L’écoféminisme et la reconstruction des représentations

Camille Garant-Aubry
couverture
Article paru dans Écoécritures – études collaboratives et décentrées, sous la responsabilité de Catherine Cyr et Jonathan Hope (2021)

La forme fragmentaire en littérature permet « de s’exprimer sous la forme du discontinu, du décousu, de l’inachevé, de l’émietté » (Stalloni, p. 113, 2016). Autrement dit, elle présente une liberté narrative qui va au-delà des exigences de linéarité ou d’uniformité de sens, ce qui lui permet d’évoquer et de mettre en relation des éléments distincts sans avoir recours à l’explication de leur causalité ou de leur lien. Ainsi, elle semble tout indiquée pour faire état d’une certaine diversité, que ce soit au niveau de l’énonciation (par l’utilisation de différents genres et styles littéraires) ou du sujet. De ce fait, en prenant appui sur la proposition de « sortir des dualismes de la modernité [comme pouvant] être un objectif écologique autant que féministe », tel que mentionné par Catherine Larrère dans son article « L’écoféminisme : féminisme écologique ou écologie féministe », il me semble intéressant dans le cadre de ce travail d’utiliser l’écriture fragmentaire afin de de lier la construction identitaire féminine et l’évolution d’un écosystème. Celle-ci permettrait de mettre en lumière la richesse des représentations en jeu dans les deux cas, non seulement en abordant divers angles et facettes, mais également en en suggérant. Effectivement, Ginette Michaud (1989, p. 11) parle du fragment comme étant une mouvance, une force qui permet d’aller plus loin que le texte. Je souhaite donc explorer s’il permet ainsi d’aller plus loin qu’une vision de dualités contraignantes, telles que celles de nature/culture, homme/femme ou tradition/modernité, entre autres.

Au début de ma démarche, je souhaitais utiliser la notion d’espèces envahissantes comme obstacle à la diversité naturelle d’un écosystème. Dans un même mouvement, je l’aurais utilisé pour métaphoriquement représenter les incitatifs normés de la société qui exercent une pression sur la construction identitaire féminine, car elles lissent les multiples facettes que celle-ci peut prendre. Toutefois, en faisant mes recherches sur le sujet, j’ai réalisé que plutôt qu’un contre-pied à la diversité, les espèces envahissantes en sont également un élément, et ce en plus d’être le sujet d’une grande richesse de représentations. En effet, leur perception varie entre néfaste et souhaitable, selon l’acteur et la posture en jeu. On peut ainsi se demander si l’écosystème souffre de la présence de ces espèces, ou s’il s’agit plutôt un point de vue anthropocentrique qui y voit la perte d’un rendement économique. De la même manière, il est intéressant de constater que « une espèce définie par les écologues comme étant invasive ne sera pas forcément perçue de cette manière par les populations amenées à la côtoyer. » (Menozzi et Pellegrini, 2012) Il y a donc plus à l’imaginaire négatif qui entoure ces espèces : plusieurs facteurs sont à prendre en considération, tels que « écologiques, biologiques, économiques, […] sociaux et culturels. » (Menozzi et Pellegrini, 2012) À la lumière de tout cela, il me semble plus à propos de faire dialoguer les forces à l’œuvre dans la mise en place d’un imaginaire entourant les espèces envahissantes à celles entourant la féminité. Il est ici bien important de préciser qu’il ne s’agira pas d’une métaphorisation entre l’un et l’autre, loin de là. Il s’agira plutôt d’un rapprochement entre deux processus de construction de sens menant à des représentations complexes pouvant parfois être contradictoires. L’articulation de ces 2 concepts, l’un écologique et l’autre féminin, se fera en trois temps.

D’abord, je préciserai mon sujet dans les deux catégories en question. En effet, je ferai le choix d’une espèce envahissante à étudier, ainsi qu’un aspect de la féminité. Par la suite, je me pencherai sur les différentes représentations à l’œuvre. J’aurai alors recours à la notion de déconstruction de Judith Butler (2005) pour ce qui a trait au genre, et je pose l’hypothèse que je pourrai également extrapoler pour en faire usage dans l’analyse de l’élément écologique choisi. Cela me permettra de mettre en lumière différents cadres conceptuels théoriques, soit des « ensemble de croyances, de valeurs, d’attitudes et d’hypothèses fondamentales qui configurent et expriment la manière dont on se voit soi-même et dont on voit le monde. » (Warren, 2009) J’aurai alors recours à la théorie de Karen J. Warren (2009) pour évaluer si des cadres conceptuels oppressifs sont à l’œuvre dans les deux cas. Ainsi, dans un troisième temps, j’utiliserai ce morcellement précédemment effectué, ayant mis en lumière certains axes semblables ou différents, pour effectuer un travail créatif en fragment. Il sera alors question de faire advenir et dialoguer ces savoirs à travers une voix différente que celle de la théorie, au travers d’une écriture variée, éclatée, libérée – laissant entrevoir qu’il y a plus à ce qu’elle dit.

BIBLIOGRAPHIE

BUTLER, Judith. Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion, trad. par C. Kraus, Paris, Éd. La Découverte, 2005, 284 p.

LARRÈRE, Catherine. « L’écoféminisme : féminisme écologique ou écologie féministe », Tracés. Revue de Sciences humaines, no 22, 2012, http://journals.openedition.org/traces/5454 

MENOZZI, Marie-Jo et Patricia PELLEGRINI, « La gestion des espèces exotiques envahissantes : de la recherche d’une solution technique à la construction d’un collectif », Sciences Eaux & Territoires, vol. I, no 6, 2012, https://www.cairn.info/revue-sciences-eaux-et-territoires-2012-1-page-106.htm

MICHAUD, Ginette. Lire le fragment. Transfert et Théorie de la lecture chez Roland Barthes, Québec, Hurtubise HMH, 1989, 320 p.

STALLONI, Yves. Les genres littéraires, Paris, Armand Colin, 2016 [2008], 127 p.

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