Colloque, 29 et 30 mars 2017

Une littérature suspecte, ambiguë et trompeuse: narrations, oeuvres, auteurs non fiables

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Le colloque Une littérature suspecte, ambiguë et trompeuse: narrations, oeuvres et auteurs non fiables, organisé par Cassie Bérard, s’est tenu les 29 et 30 mars 2017 à l’Université du Québec à Montréal.

Il faut s’imaginer un temps où l’éclat de la vérité, sa quête et son désir, se serait émoussé, où à l’authentique et stable unité des discours succéderaient une constante équivoque, une fuite du sens vrai et la découverte, comme en pelures d’oignon, de sens trompeurs, empilés. Ce temps n’existe pas, ce temps constitue plutôt un état de la pensée humaine et il qualifie divers retours modernes, lors desquels on a voulu opposer la vérité de la facticité à l’illusion de l’authentique. Pourtant, le présent colloque convie à penser notre époque comme ce temps de l’éclaté, et plus encore, la littérature de ce temps comme une littérature qui doit ruser, déjouer, filouter. Les truismes qui fondent cette pensée de notre temps, du soupçon à la perte des grands récits, jusqu’aux fins de la littérature, ne demandent pas à être présentés, ils suffisent à ériger l’ombre d’un contexte où la suspicion prend ses aises.

Le colloque international, partant de ces considérations, veut apporter un éclairage sur le phénomène de la non-fiabilité; ses différentes expressions, ses définitions; ses signes, ses principes, ses paradoxes; les stratégies de création dont elle procède, l’issue de conduites non fiables, leurs motifs et les pratiques de lecture qui en découlent. À terme, l’événement permettra d’observer les manifestations singulières de la non-fiabilité dans les œuvres et hors les œuvres, contribuant à la fois à une mise en perspective de l’imaginaire contemporain, à un état des lieux sur la question du non-fiable et à un développement du chantier de recherche et de création qui s’y rattache.

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Communications de l’événement

Maxime Decout

Et si la littérature était de mauvaise foi?

«Vous le savez, on a très souvent évoqué la question du mensonge de la littérature, celui de la fiction, de sa prétention à la vérité, à la représentation du réel. C’est Platon qui fut un des premiers à déduire un anathème contre les poètes qu’il exclut de sa cité idéale. Mais en même temps, on pourrait ajouter que, si la littérature nous ment, elle le fait en tout connaissance de cause, de sorte que l’on devrait finalement interroger cette attitude non pas seulement en tant que mensonge, mais plutôt en tant que mauvaise foi.»

Béatrice Guéna

Automythomanies

«Certains écrivains semblent des personnages de leur propre univers tant la fiction entraîne la réalité dans son sillage. Ce sont tous des écrivains du tournant du XXIe siècle qui ne cessent, tout au long de leur oeuvre autofictionnelle, d’égarer le lecteur, de le tromper à leur propre sujet (Eric Chevillard), à faire usage de faux littéraire (W. G. Sebald et Enrique Vila-Matas). Bref, tous ces auteurs entretiennent une méfiance vis-à-vis du moi et du culte romantique de la sincérité.

Ils pratiquent allègrement l’imposture, se revendiquent mystificateurs et inventent des écrivains ou des textes d’écrivains réels, abolissant la frontière entre réel et imaginaire. Ces écrivains que l’on pourrait qualifier d’automythomanes, se métamorphosent en textes, accomplissant le projet hétéronymique de Pessoa qui est, bien sûr, l’écrivain dont ils s’inspirent et se revendiquent, ainsi que Kafka.»

Marie Pascal

Développements métafictionnels dans la littérature québécoise du XXe siècle à nos jours

«La production littéraire québécoise tient une part de sa complexité en ce qu’elle accorde une grande liberté de mouvement au jeu de la métafiction, comme fiction qui s’interroge sur elle-même, ou plus précisément, à l’instar de Patricia Waugh, comme fiction qui attire l’attention sur ses procédés de construction en frustrant les attentes conventionnelles du lecteur.»

Marilyn Randall

Fictions et feintises (québécoises)? Pactes de lecture rompus

«Dans Continuité des parcs de Julio Cortázar, un acteur s’immerge dans un roman et se plaît, selon le texte, à s’éloigner petit à petit de sa réalité environnante tout en gardant la conscience de ses alentours immédiats: ses cigarettes à côté, le velours du fauteuil où il est assis. Or, cette demie conscience ne lui permet pourtant pas d’observer que le personnage meurtrier de la fiction qu’il lit vient de s’introduire dans son salon et vise sa mort.»

Cassie Bérard

Le cas des œuvres non fiables

Cassie Bérard aborde dans cette communication deux romans, soit L’Emploi du temps de Michel Butor et Le Meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie.

«Le cas des œuvres non fiables. Il s’agit d’une affaire particulière qui m’amène à aller fureter d’abord, pour donner le ton, du côté des œuvres de fiction afin de voir ce qu’elles ont à dire pour leur défense.»

Marla Epp

La documentation historique comme effet de vérité dans le roman de mémoire contemporain

«Comme le dit Françoise Lavocat dans Fait et fiction, paru en 2016, “l’idée selon laquelle les frontières de la fiction auraient disparues ou seraient définitivmeent brouillées est largement répandue”. Quelques années plus tôt, en 2011, dans son introduction au numéro du Débat consacré au thème L’histoire saisie par la fiction, Pierre Nora note: “S’il est cependant légitime de se demander aujourd’hui où passent réellement les frontières entre les deux genres, c’est qu’elles se sont, depuis 30 ou 40 ans, largement effacées.” Or, l’usage du terme “largement”, qui figure dans les deux citations, me semble clé.»

Marion Kühn

Mémoires ambiguës. Enjeux de la non-fiabilité dans le roman de mémoire contemporain

«Le boom de la mémoire constaté par plusieurs chercheurs en sciences sociales se détecte aussi dans le roman contemporain. De multiples mises en scène littéraires de processus de remémoration soulignent la plupart du temps le côté problématique de l’appropriation du passé, voire la non-fiabilité de la mémoire.»

Louis-Daniel Godin

Un je pour deux corps: «Moi, Sandòr F.» d’Alain Fleischer

«En 1934, alors qu’il a 17 ans, Sandòr F. se fait offrir une chevalière avec ses initiales S.F. par son ami lors d’une cérémonie de fin d’études.

Dix ans plus tard, en 1944, Sandòr F. se trouve dans un wagon à bestiaux en direction d’Auschwitz entre la Hongrie et la Pologne, sur le point de mourir à 27 ans des coups reçus par un SS. Dans le wagon, avant de mourir, il tend la main à un de ses confrères pour lui donner sa chevalière, sabague, dans l’espoir que cet homme survive et qu’il puisse la rendre à sa famille. Sandòr F. meurt dans le wagon en succombant aux coups qu’il a reçus.

Six ans plus tard, en 1950, sur une terrasse d’un café à Tel Aviv, la soeur de Sandòr F., Linke, entend des hommes parler hongrois. Elle se retourne et aperçoit une chevalière aux initiales S.F. portée au doigt d’un homme à la table voisine. Elle demande à l’homme d’où vient cette bague. L’homme qui est un rescapé d’Auschwitz qui était bien dans le wagon avec Sandòr F. fond en larmes voyant devant lui la destinatrice de l’objet.»

Alexandra Profizi

«Corpus Simsi» de Chloé Delaume: le virtuel et la non-fiabilité de l’identité narrative

«L’oeuvre de Chloé Delaume représentant l’éclatement du moi et de la parole de l’auteur développe un questionnement de l’identité à travers la fiction. Elle élabore une nouvelle forme d’auctorialité grâce à une mise en scène de soi qui se joue des codes de narration et du statut du narrateur personnage. Ces mécanismes sont visibles sans son oeuvre Corpus Simsi, paru aux éditions Léo Scheer en 2003, qu’elle qualifie de territoire d’investigation poétique

Pierre Luc Landry

Le réalisme magique à l’épreuve des théories sur la narration non fiable? Une lecture réparatrice du roman Le ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis

«La question de la fiabilité narrative est intéressante non seulement d’un point de vue narratologique, mais aussi dans une perspective lectorale. Kathleen Wall, dès sa relecture de Wayne C. Booth en 1994, suggère d’ailleurs que les théories élaborées par les premières narratologues à s’intéresser à la question des narrations non fiables ont fait l’impasse sur le rôle du la lecture dans l’appréhension des textes problématiques.»

Catherine Lavarenne

Comment le canular s’invite dans la narration

«Si Ester Montandon est une écrivaine peu connue au Québec, elle est selon le site Viceversa Littérature l’auteure suisse romande la plus lue du XXe siècle. Née le 8 mai 1923 en Suisse, elle a passé sa jeunesse au Rwanda. Son premier roman, Le piano dans le noir, lui vaut un prix littéraire en 1953. Elle tombera tranquillement dans l’oubli au cours des années qui précéderont sa mort en 1998.»

Jean-Nicolas Paul

Le voyeur: l’autre modalité d’interprétation

«Lorsqu’il est question du plaisir d’apprendre, Aristote écrit que: “les objets que nous ne verrions qu’avec peine s’ils étaient réels, des hideuses, des cadavres, nous les voyons avec plaisir dans un tableau.”

L’exemple n’est pas gratuit et permet de mettre peut-être le doigt sur certaines des motivations des lecteurs de Robbe-Grillet.»

Walid Romani

Quand lire, c’est défaire ou le lecteur-fictif dans le Quatuor d’Alexandrie

«The Alexandria Quartet de Lawrence Durrell a été publié de 1957 à 1960. Les quatre romans qui le composent se situent du point de vue stylistique à mi-chemin entre le roman réaliste et le Nouveau Roman. Les trois premiers tomes, Justine, Balthazar et Mountolive, sont une réécriture du séjour du narrateur, Darley, à Alexandrie. Seul Cléa se déroule après les événements décrits dans les textes précédents.»

David Bélanger

Enquête sur la mort de François Paradis

«J’aimerais tout de même spécifier l’enjeu au coeur de l’enquête à laquelle nous nous proposons. Il s’agit de relire Maria Chapdelaine, mais, plus encore, de lire contre Maria Chapdelaine, contre une lecture dogmatique, chargée de permanence de la race, de retour du même, de sclérose.»

Thomas Carrier-Lafleur

«Y’est tu mort, le mort?»: disparitions et dispersions de François Paradis dans «La mort d’un bûcheron» (Gilles Carle, 1973)

«Un rapide examen sceptique nous indique que tous ces destins de François Paradis sont loin d’être équivalents et sont surtout loin de signifier la même chose. Voici l’une des forces de la suspicion: à partir des lignes parallèles tracées par un seul personnage de fiction, il est possible de penser une, voire plusieurs versions alternatives de notre culture et de notre héritage.»

Samuel Archibald

Le non-lieu de la fiction: «Récit d’un avocat» d’Antoine Brea

«Récit d’un avocat est le cinquième livre d’Antoine Brea publié au Quartanier. Je vais en parler, pour l’instant, comme d’un texte, parce que la question même de son appartenance générique est problématique. Le texte relate à la première personne l’intervention tardive d’un narrateur juriste dans le cas d’un ressortissant étranger, Kurde de Turquie ayant émigré en France dans les années 1990 et s’étant rendu là coupable d’un crime gravissime. En refaisant le parcours après-coup de ma première traversée du livre, je vais tenter d’analyser le déplacement qui a permis que j’aie pu lire ce texte en demeurant convaincu, jusqu’au deux tiers de ma lecture, qu’il s’agissait là d’un récit factuel.»

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