Colloque, 22 et 23 septembre 2016

Lectures de l’exaltation et du débordement

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Le colloque étudiant Lectures de l’exaltation et du débordement, organisé par Ariane Gibeau, Maude Lafleur et Myriam Marcil-Bergeron, s’est déroulé les 22 et 23 septembre 2016 à l’Université du Québec à Montréal.

Exaltation veut dire: débordement hors de la fermeture, bond dans l’infini du haut.
— Roland Barthes, 2007 [1974]

L’exaltation et le débordement rompent avec l’idéal d’un monde mesuré et stoïque. Faire leur expérience, c’est donner toute la place au corps, aux sens et aux émotions. C’est aussi transgresser une série de normes et de limites: ce qui se soulève ou refuse d’être contenu menace nécessairement l’ordre établi. En ce sens, il y a également débordement de la pensée, car il s’agit d’une critique des limites imposées à notre manière de voir le monde.

L’exaltation et le débordement inscrivent dans et sur le corps frénésie, jouissance ou encore colère. De la crise d’hystérie au mysticisme, une série de symptômes (des larmes, des gémissements, des cris) bouleverse l’image d’un corps qui devrait rester docile, voire effacé (Marzano, 2002). La passion amoureuse, proche du délire, est aussi placée sous le signe d’une effervescence parfois heureuse, parfois meurtrière. D’un point de vue culturel et anthropologique, plusieurs discours ont tenté de répondre par le débordement à une vision unique du monde, à une culture dominante élevée en tant que norme mondiale. Il suffit de penser à la poétique du divers qui redéfinit l’exotisme (Segalen, 1908), à l’hybridité qui propose une refonte des identités devenues désuètes (Bhabha, 1994; Miano, 2012) ou à la créolisation (Glissant, 1990; Chamoiseau, 1989). Ces discours de la multiplicité se sont efforcés de faire voler en éclats les catégories identitaires, individuelles ou collectives. De la même façon, bien que la science se présente comme un discours rationnel et objectif, le débordement et l’exaltation jouent un rôle essentiel dans ses avancées. La volonté de création et de maîtrise de nouveaux savoir-faire, si elle s’avère grisante, sublime, peut mener à la monstruosité et à la destruction (Lecourt, 1996; Hadot, 2004). Du voyage vers l’inconnu à la conquête de l’univers, le discours scientifique, tel qu’il s’énonce dans les arts et la littérature, véhicule nombre d’hyperboles et de figures excessives, dont celles de Prométhée et du savant fou.

L’objectif de ce colloque est de proposer des interprétations originales du «hors limite» (Tirel, 2003) dans la littérature, sans égard à la période, la provenance géographique ou la langue originale des œuvres étudiées. Comment la littérature représente-t-elle ces deux expériences? Quels liens tissent-elle avec des notions concomitantes: la démesure, l’excès, l’obscène, etc.? Quelles figures stylistiques sont convoquées, quels enjeux éthiques sont soulevés? Il ne s’agira pas tant d’observer le franchissement d’une frontière, avec ses hésitations et ses passages incertains, mais plutôt de se pencher sur ce qui a déjà été traversé et devient fondateur de notre rapport au monde.

Communications de l’événement

Jean-François Chassay

De la tératologie au clonage: quelques réflexions sur le monstre scientifique dans la fiction

«Je vais vous parler du monstre. Parler du monstre veut nécessairement dire parler d’une différence, parler d’un écart. Parler du monstre, c’est donc parler d’un débordement puisque ça signifie l’excès, une démarcation qui est trop grande par rapport à la norme.

Comment peut-on définir le monstre? Le monstre est d’abord lié à la normalité puisqu’il existe seulement à travers le regard de l’autre. Le concept de monstruosité a évolué au fil des siècles, mais, comme écrivait le philosophe Didier Manuel, “le monstrueux restera toujours en dialogue avec la norme, une affaire d’ordre et de désordre et en ce sens, une affaire de société”.»

Myriam Marcil-Bergeron

Raconter un monde «à peine moins mystérieux que Mars ou la Lune». La révélation scientifique dans «L’exploration sous-marine» (1953) de Philippe Diolé

«Dans L’aventure sous-marine, premier récit qu’il consacre à la plongée en scaphandre autonome, Philippe Diolé affirme que “ceux qui une fois se sont laissés prendre aux profondeurs de la mer ne redeviendront jamais des terriens”. À l’instar des ingénieurs, des scientifiques et des militaires ayant créé, après la Deuxième Guerre mondiale, le groupe d’étude et de recherche sous-marine au sein de la marine française, Diolé s’enthousiasme pour les progrès de la recherche océanographique. Il considère le scaphandre à détendeur automatique, perfectionné par Jacques Yves Cousteau et Émile Gagnant, comme un instrument destiné à transformer l’être humain puisque: “c’est l’explorateur lui-même, son comportement dans la mer, ses possibilités de déplacement et d’intervention qui se sont trouvés modifiés”. Diolé n’est pas le seul à écrire sur ces plongées et à souhaiter faire découvrir au grand public un milieu méconnu et le fonctionnement de l’équipement nécessaire. Les récits de plusieurs pionniers de l’exploration sous-marine en France sont publiés dans les années 50.

Pourtant, si ces publications témoignent d’une période effervescente pour l’océanographie, rendent compte des motivations ayant contribué à façonner cette discipline et à l’institutionnaliser en France, elles n’ont pas ou très peu été étudiées jusqu’à maintenant.»

Philippe St-Germain

Le tournant réaliste des fictions sur la greffe: à propos de «Réparer les vivants» (2014) et «Corps désirable» (2015)

«Pour commencer, voici deux situations spectaculaires – et un peu macabres – qui pourraient servir de résumé aux deux principaux romans dont je vais parler aujourd’hui.

Après un accident fatal de surf, le coeur d’un jeune homme est greffé sur le corps d’une femme et après un accident de bateau, on greffe d’urgence la tête d’un homme sur le corps d’un mort.

Ces situations montrent déjà à quel point la greffe est une des expériences humaines les plus extrêmes qui soient. Elle se situe souvent à la frontière de la vie et de la mort sur le double plan de l’expérience de la personne greffée qui est très souvent sauvée par la chirurgie et du transfert occasionné par la greffe. C’est en outre un thème récurent dans la fiction. Certaines oeuvres classiques ont proposé des greffes passablement aventureuses.

Si la greffe a longtemps été cantonnée aux genres de l’horreur du fantastique et de la science-fiction, c’est peut-être en partie parce que ces fictions pionnières sont parues lorsque la médecine n’était pas tout à fait en mesure de réaliser des chirurgies très complexes. Il s’agissait surtout d’imaginer ou d’anticiper ce qui ne ce n’était pas encore réalisé. Au fur et à mesure que la science exécute des greffes compliquées, les fictions portant sur le même thème ne disparaissent pas, mais s’adaptent.

Il me semble en effet que l’on assiste depuis quelques années à un tournant réaliste dans la manière de traiter littérairement les greffes. Je vais explorer l’idée en étudiant deux romans récents qui paraissent retirer les fictions sur la greffe des genres auxquels elles ont été traditionnellement confinées: Réparer les vivants de Maylis de Kerangal et Coeur désirable d’Hubert Haddad qui ont été respectivement publiés en 2014 et 2016.»

Marianne Cloutier

Débordements biotechnologiques et exaltation artistique: vers une éthique des usages animaux dans le bioart

«L’animal fascine tant par sa proximité avec l’humain que pour ses dissemblances. Il est la figure d’altérité par excellence. Cet autre que nous regardons sans tout à fait le comprendre.

Depuis les années 1930, où Philippe Johnson et Salvador Dali utilisaient les premiers des animaux vivants comme matériaux de création en les intégrant à leurs oeuvres, l’art contemporain a vu s’accroître la présence d’animaux vivants dans les performances et les installations. Parmi les exemples les plus marquants, Hermann Nistch a orchestré le massacre d’animaux pour les actions de son Théâtre des orgies et des mystères, Joseph Beuys a partagé l’espace d’une galerie avec un coyote, Wim Delvoye a tatoué des cochons du monogramme Louis Vuitton et de personnages de Walt Disney, Marco Evaristti a remplacé le bocal de poissons rouges par des mélangeurs et a proposé au public de les activer.

Si ces projets sont tous très différents quant à l’esthétique qu’ils mettent de l’avant et aux visées de l’artiste, ils explorent pourtant tous une forme spécifique de transgression. Ils bousculent les attentes du spectateur et l’invitent à une réflexion critique quant à l’ontologie de l’art et l’éthique des usages du vivant.

Ces questions sont au coeur des trois projets que je vous présente aujourd’hui. Des projets qui utilisent eux aussi l’animal vivant, mais qui font également intervenir des savoirs liés à la biologie contemporaine et aux biotechnologies. Avec GFP Bunny d’Eduardo Kac, Que le cheval vive en moi d’Art orienté objet et Canine Topology de Maja Smerkar, je vous propose d’examiner la figure de l’artiste scientifique exalté et d’interroger ainsi les possibles débordements résultant de son projet créateur ou de son désir d’explorer les limites entre l’homme et l’animal.»

Adrien Rannaud

«Je veux vivre intensivement»: exaltation, débordements et épistémé de la vie et du vivant dans la collection «Les Romans de la jeune génération» (1931-1932)

«À bien des égards, l’entre-deux-guerres représente un tournant dans la littérature québécoise. On sait maintenant que le champ littéraire, marqué encore par une certaine précarité, connaît un véritable mouvement d’autonomisation. Entre autres dans le développement d’activités éditoriales, dans la naissance d’une critique laïque et plurielle, dans l’essor du genre romanesque ou encore dans l’accès collectif des femmes à la littérature.

Ces phénomènes qui vont propulser l’entrée du Québec dans la modernité culturelle se cristallisent au tournant des années 30 lorsqu’est créée, aux éditions Albert Levesque, la collection “Les romans de la jeune génération”.»

Adrien Rannaud est stagiaire postdoctoral à l’Université de Sherbrooke. Il a obtenu un doctorat en études littéraires à l’Université Laval en 2016. Membre de l’équipe « Penser l’histoire de la vie culturelle » (PHVC), il s’intéresse à la littérature québécoise des XIXe et XXsiècles, aux pratiques littéraires et culturelles des femmes, à la culture médiatique et à l’histoire du magazine. Il a fait paraître des textes dans Études en littérature canadienneVoix et ImagesÉtudes littérairesLes Cahier Anne Hébert et plusieurs ouvrages.

Corentin Lahouste

Le flamenco verbal de Marcel Moreau

Auteur d’une littérature sauvage, hybride et irrévérencieuse, qui échappe à l’espace des taxinomies génériques ainsi qu’à celui des cénacles bienpensants, Marcel Moreau a pu dresser une œuvre où affleurent, de manière cohérente et constructive, différents paradigmes de l’exaltation et du débordement. Ces deux notions se sont toujours trouvées au cœur de l’écriture et de la pensée de l’auteur de Julie ou la dissolution qui chérit tout particulièrement l’intranquilité, la transgression et la fulgurance.

Il s’agit ici de montrer comment le caractère frénétique et incandescent des textes et de la langue de Moreau sont liés, en premier lieu, à leur ancrage charnel. Plus précisément, est mis en lumière la manière dont l’instinctuel, ce fond «vital, irrationnel et exalté de l’homme» possédant une «énergie élémentaire» de l’ordre d’une «brûlance intérieure», fait émerger l’exaltation et le débordement comme motifs centraux de son écriture et comment l’enfièvrement du corps –opéré par les instincts– provient lui-même du rythme, ce battement des tréfonds qu’ils portent, qui représente la notion fondamentale et l’entité révérée au sein de l’œuvre de l’écrivain belge.

Et c’est dans cette lignée que le flamenco, cette danse qui fait la part belle à l’improvisation, à l’ébullition, au vertige et au lâcher-prise, et qu’évoque Moreau à de nombreuses reprises dans ses textes, est envisagé comme le ferment (la figure) palpitatoire et dionysiaque de sa poétique; comme le principe myocardique –insufflant une vitalité et une force asomptive– de son écriture.

Corentin Lahouste est chercheur à l’Université catholique de Louvain (Louvain-la- Neuve, Belgique), au sein du Centre de recherche sur l’imaginaire (CRI), dans le cadre d’un Pôle d’Attraction Interuniversitaire (Literature and media innovation)Il prépare, sous la double direction de la professeure Myriam Watthee-Delmotte (UCL) et du professeur Bertrand Gervais (UQÀM, Canada), une thèse de doctorat consacrée aux figures, formes et postures de l’anarchie dans la littérature contemporaine en langue française. Sa recherche porte plus spécifiquement sur les œuvres de Marcel Moreau, de Yannick Haenel et de Philippe De Jonckheere (hypermédia).

Lori Saint-Martin

Entre mères et filles: intérieur et extérieur, excès et débordements

Lori Saint-Martin aborde trois types de débordements dans les romans de la relation mère-fille au Québec.

«Tout d’abord, les débordements de la violence. Une violence verbale, ensuite une violence physique.

Débordement, ensuite, de la frontière entre la frontière entre dedans et dehors, elle et moi, mère et fille, où l’on trouve les motifs de l’enfermement, de l’expulsion, de la dévoration et du vomissement.

Débordement, enfin, dans l’écriture même. On passe de l’évocation des fluides corporels à une écriture du débordement, une écriture explosion.»

Martin Hervé

Écrire la possession, entre la chair et le signe

«Je vais proposer d’aborder avec vous une histoire assez connue. C’est celle des possédés de la ville de Loudun.

Nous sommes en 1632 dans le Poitou français. Alors que les guerres de religion, opposants catholiques et protestants, commencent tout juste à s’apaiser et que la peste se tarit enfin, plusieurs nonnes sont la proie du démon (notamment la mère supérieure, Jeanne des Anges) qui semblent les plus concernées par les assauts du diable. Cris, blasphèmes, contorsions incroyables et émois érotiques rythment désormais le quotidien du couvent. Des exorcistes sont dépêchés sur place et questionnent les nonnes sur l’auteur de ce maléfice. Très vite, un nom s’échappe des lèvres de la mère Jeanne des Anges bientôt suivie par plusieurs de ses soeurs: celui d’Urbain Grandier, un prêtre de la ville.

Urbain Grandier jouit à l’époque d’une réputation sulfureuse. Séducteur invétéré, libertin, il est l’objet de nombreuses cabales en raison de ses conquêtes amoureuses et de ses positions politiques. Il a notamment publié un traité contre le célibat des prêtres, un pamphlet acerbe contre le cardinal Richelieu et il a en outre refusé d’accéder à la demande de la mère Jeanne des Anges de devenir le confesseur des Ursulines de Loudun. Au bout d’une longue procédure judiciaire, le prêtre est reconnu coupable de sorcellerie et est brûlé vif le 8 août 1634.

Sauf que la mort du prétendu sorcier, contre toute attente, ne met pas fin à la crise diabolique… Les démons continuent des années durant d’agiter les corps suppliciés des nonnes pour le plus grand plaisir des badauds, car c’est tout un spectacle qui s’est mis en place à cette époque à Loudun. Les soeurs sont exposées régulièrement dans les églises de la ville. Une foule de curieux et de dévots assistent aux exorcismes, à leurs convulsions et à leurs cris, dans une mise en scène réglée où chacun joue son rôle.

Du spectacle de Loudun, nombreuses sont les interprétations et réinterprétations. Alfred de Vigny et Aldous Huxley sont parmi ceux qui ont écrit sur ce cas. Sans oublier les cinéastes Ken Russell et Jerzy Kawalerowicz. Il y a aussi l’historien et philosophe jésuite, Michel de Certeau, qui offre à l’affaire ses vues pénétrantes dans un livre, sobrement intitulé La possession de Loudun. Il présente cet évènement comme un théâtre de la parole et du voir où se joue une comédie tant politique que spirituelle.»

Martin Hervé est stagiaire postdoctoral à l’Université de Montréal, où il conduit un projet de recherche sur le surnaturel dans les littératures contemporaines de la France et du Québec. Dans ce cadre, il s’intéresse en particulier aux figures de la sorcière et du chaman. Sa thèse de doctorat, intitulée L’esprit de l’abîme: écriture de l’intériorité et pensées diaboliques chez Georges Bernanos et Marcel Jouhandeau, propose une investigation historique et critique sur les rapports entre le sujet pensant et la littérature, à travers le prisme du diabolique.

Images complémentaires à la présentation

Allain, René. 1634. Pourtraict représentant au vif l’exécution faicte à Loudun en la personne de Urbain Grandier.

Allain, René. 1634. Pourtraict représentant au vif l’exécution faicte à Loudun en la personne de Urbain Grandier.
(Credit : Bibliothèque nationale)

Artiste inconnu. Année inconnue. Représentation de Jeanne Desanges.

Artiste inconnu. Année inconnue. Représentation de Jeanne Desanges.

Anne-Julie Ausina

L’écriture politiquement transgressive de Virginie Despentes

Dans cette communication, Anne-Julie Ausina aborde l’écriture politiquement transgressive de Virginies Despentes et le manifeste féministe King Kong Théorie.

«Les réflexions autour de la sexualité féminine restent taboues dans le champ de la littérature française. Le féminin étant un espace souvent contrôlé par des représentations – et surtout des auteurs – qui n’ont pas toujours vécu dans leur chair les expériences citées et se contentent de se servir de la peau des autres pour vendre du papier.

En 2006, l’auteure française Virginies Despentes écrit King Kong Théorie aux Éditions Grasset, un essai de 145 pages articulé en 7 chapitres qui réfute les discours moralisateurs et la place dont les femmes disposent dans le champ des représentations médiatiques et littéraires. Les thématiques dont elle s’empare sont radicales: viol, pornographie, prostitution. Il s’agit d’une acerbe critique sociale et politique qui lui permet de démolir symboliquement le système en focalisant son propos sur la place que les femmes conquièrent en dehors des schémas que le patriarcat leur impose.

Déjà, à travers son oeuvre romanesque, Despentes campait ses héroïnes de la même façon que la littérature occidentale représente ses héros, tant sur le plan de la brutalité que des comportements dits explicites, revoyant ainsi sa propre définition du féminin.»

Stagiaire post-doctorale à l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM, Anne-Julie Ausina travaille sur l’écriture engagée des travailleuses du sexe. Elle est aussi artiste plasticienne et performeuse rattachée à l’équipe de recherche Culture du Témoignage. Elle vient de finir un long-métrage intitulé “Pagan Variations” sur la performance queer et le tarot de Marseille.

Jessica Hamel-Akré

Une boulimie médicinale? L’éloge de l’abstinence dans les écrits autobiographiques et médicaux du Dr George Cheyne (1671-1743)

«Dans la préface de son oeuvre célèbre, The English Malady ou La maladie anglaise, le docteur George Cheyne écrit en 1733 qu’il espère que ses écrits sur la mélancolie sauront alléger le poids de la douleur de ses lecteurs. Ceux qu’ils nomment d’ailleurs “ses compagnons de souffrance”.

Comme beaucoup de médecins de son époque, Cheyne fonde sa carrière sur le traitement des troubles mentaux, maladies répandues au 18e siècle. On se rappelle surtout de Cheyne pour le développement d’une théorie sophistiquée du système nerveux et l’explication des états d’âme. Pourtant, il s’est distingué par l’ampleur de sa personnalité et sa célébrité indissociable de l’image de son corps physique: son poids atteindra le record dans 450 livres ou 250 kilogrammes. Dans les premières de ses textes médicaux, Cheyne nous invite, par le biais de l’empathie, à suivre les hauts et les bas de sa vie. Les soubresauts émotionnels qui correspondent aux soubresauts de son poids.

Les critiques de Cheyne ne parlent jamais de lui sans parler de son embonpoint.  Si le physique prend une telle importance dans l’analyse de l’oeuvre de Cheyne, c’est parce que son propre corps sert de fondation à ces fameux écrits médicaux qui ont eu par la suite une influence énorme.»

Jessica Hamel-Akré est doctorante en études anglaises à l’Université de Montréal et titulaire d’un maîtrise en études littéraires et études féministes de l’UQÀM. Ses recherches s’intéressent aux troubles alimentaires des femmes dans la littérature, la médecine, et la philosophie du dix-huitième siècle britannique.

Paul Kawczak

Trois visions du corps débordé dans le roman d’aventures littéraire de l’entre-deux-guerres français. «Le Chant de l’équipage» de Pierre Mac Orlan, «Les Dieux rouges» de Jean d’Esme, «La Voie Royale» d’André Malraux

«L’aventure, telle que mise en scène dans le roman d’aventures littéraire de l’entre-deux-guerres français, repose sur un équilibre érotique selon la définition de l’érotisme développée par Georges Bataille et résumée en 1957 dans son ouvrage L’érotisme par la formule suivante: “De l’érotisme, il est possible de dire qu’il est l’approbation de la vie jusque dans la mort”.

L’aventurier romanesque des années 1920-1930, qu’il soit l’invention d’auteurs canoniques ou d’auteurs méconnus et oubliés, s’engage en aventure pour faire l’essai existentiel de sa vie, la mettre à la portée du temps qui contient la mort et la détruire de façon grandiose.

L’aventurier moderne part avec l’idée de ne jamais revenir et il fantasme sur les chemins de l’action des morts nobles et sublimes. J’en donne un exemple: Saint-Avit, le héros de L’Atlantide de Pierre Benoit, un des romans qu’il est possible de considérer comme un des premiers romans d’aventure littéraire, part aux portes du désert et fantasme la mort d’un aventurier qui l’avait précédé: “Et alors j’ai reconnu le paysage, c’est par là, il y aura en novembre prochain 23 ans que Flatteur” – un aventurier qui l’avait précédé et qui est mort – “s’est acheminé vers sa destinée. Dans une volupté que la certitude de pas ne revenir faisait plus acre et plus immense”.

Toute la carrière rêvée de l’aventurier moderne tient donc en cette phrase “aller vers la mort en rêvant de ceux qui sont allés vers la mort”.»

Chargé de cours à l’université du Québec à Chicoutimi, Paul Kawczak a récemment terminé une thèse sur le roman d’aventures littéraire de l’entre-deux-guerres français. Ses recherches portent actuellement sur la temporalité de l’action et ses rapports à l’érotisme dans le roman du premier XXe siècle.

Maude Lafleur

La faim épidémique: obésité, invasion de zombies et autres petits chaos

«S’il existe un corps humain qui déborde, c’est le corps obèse. Un corps excédentaire, un corps en trop, dont il faut coûte que coûte se débarrasser. Un corps sous attaque qui devient simultanément la clientèle cible des chaînes de restauration rapide, des salles d’entraînement et des produits amaigrissants.

Un corps enveloppe qui résiste au moulage et au ciselage prescrit par la société occidentale. Un corps qui, d’un côté, est exulté des normes de beauté et, de l’autre, est complètement fétichisé. Un corps qu’on humilie dans le métro londonien à coups de pamphlets haineux. Un corps à la fois visible et invisible qui demeure difficile, voire impossible à normaliser malgré l’émergence et la popularité croissantes du body positivism et autres mouvements prônant la diversité corporelle. Le corps obèse et le corps gros restent encore un véhicule de la différence. Un corps autre, mais pas un corps comme un autre.

Avec cette communication, je me propose donc d’explorer le traitement du corps obèse et du corps gros dans deux romans contemporains américains: 13 Ways of Looking at a Fat Girl de Mona Awad paru en 2013 et Skinny de Diana Spechler paru en 2011.»

Alexandre Baril

Repenser le capacitisme à la lumière de l’acquisition volontaire d’un handicap: le cas de la transcapacité

«En somme, les revendications transcapacitaires dérangent: au-delà de la transgression du capacitisime qui s’opère en passant d’un corps non handicapé à un corps handicapé, d’autres transgressions sont en jeu, et ce, par rapport au sexisme, à l’hétéronormativité, à la cisnormatitivé, de même qu’au néolibéralisme, d’où les fortes réactions à l’égard de ces revendications.

L’exemple de la transcapacité, bien qu’extrême, a le potentiel de mettre sous les projecteurs certains systèmes d’oppression et leurs entrecroisements subtils afin de pouvoir repenser les solidarités théoriques et politiques entre divers groupes qui vivent des processus similaires de marginalisation.

Mon intérêt pour ce cas de figure dans mes travaux s’explique à la lumière du postulat suivant: si les mouvements sociaux réussissent à élaborer des réponses respectueuses à des revendications dites “extrêmes”, peut-être seront-ils plus accueillants à l’égard de revendications jugées moins “excessives” et à de potentielles revendications d’autres groupes marginalisés dont les voix n’ont pas encore été entendues.

Pour moi, la transcapacité est un excellent exemple pour entamer une réflexion critique sur les rapports d’oppression qui se rejouent au sein des mouvements sociaux et des études anti-oppression avec l’espoir que ces réflexions critiques mèneront à une plus grande justice sociale globale et des rapports plus harmonieux au sein de nos mouvements sociaux.»

Vidéos complémentaires

BBC Learning. Body Dysmorphia. Complete Obsession

National Geographic Channel. B.I.I.D. Body Integrity Identity Disorder

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