Entrée de carnet

Qui sont les fantômes plus-qu’humains et comment les écrire au théâtre?

Jeanne Murray-Tanguay
couverture
Article paru dans Écodramaturgies: questions, repères, dispositifs, sous la responsabilité de Catherine Cyr (2022)

Lister, pour poursuivre les traces :

  • Falaises écroulées
  • Plantes desséchées
  • Animaux morts
  • Espèces, paysages perdus / oubliés / ignorés
  • Spectres (vivants et morts)
  • Truite qui agonise
  • Tournesol dans un vase
  • Roche qui s’effrite
  • Les disparus qui reviennent / qui sont en voie de « survivance » (Altounian, 2000)

Ces questions m’habitent depuis que l’artiste-chercheuse Mélanie Binette s’est demandé comment accueillir les fantômes dans notre champ d’attention (atelier « Tous du lichen »). Mais je listais déjà en écoutant Manon Huberland et Alexandre Côté-Perras me rappeler, avec Adam Searle (2021) ou Judith Schalansky (2021), que les spectres plus-qu’humains « s’injectent dans nos voix, nos écritures, et substituent à nos silences leurs absences signifiantes. » (2022)

Si la représentation théâtrale est par essence un art de la spectralisation (Angel-Perez, 2006), les dramaturgies post-anthropocentrées pourraient être des fossiles. Mouler la perte en laissant les corps vaporeux s’encrer, se sédimenter, se fondre dans l’espace de nos mots tout en soufflant leurs voies/x.

Exprimer la coprésence avec l’absence, la dissipation ou le retour précaire, sans nécessairement les thématiser (Sermon, 2017). Revisiter des formes esthétiques, décentrer des pensées qui réfléchissent surtout les représentations humaines : jeux de rêve, détours (Sarrazac, 2004), lipogrammes, « dé-faite » du langage (Angel-Perez, 2006), voix traversantes (Heulot-Petit, 2009), etc.

Épuiser les cœurs de pierre et de chair (Bellemare, 2017); ronger l’écorce et les phrases pour dire le deuil (Lavigne, 2020); interpeller un rorqual qui ne répond pas – qui « ghoste » (Noël, 2022) – , mais qui habite le texte comme un fantôme (Heulot-Petit, 2009 : 207).

Encore faut-il se laisser hanter.

Bibliographie

Altounian, Janine (2000). La Survivance. Traduire le trauma collectif, Paris, Dunod, coll. « Inconscient et Culture », 194 p.

Angel-Perez, Elisabeth (2006). « Spectropoétique de la scène. Modalités du spectral dans quelques pièces du théâtre anglais contemporains », Sillages critiques, no 8, en ligne <https://doi.org/10.4000/sillagescritiques.558>, consulté le 1er octobre 2022.

Bellemare, Martin (2019). Cœur minéral, Montréal, Dramaturges éditeurs, 112 p.

Heulot-Petit, Françoise (2009).  « Présences de l’autre : éléments de dramaturgie du monologue et de la pièce monologuée contemporaine », dans Françoise Dubor et Christophe Triau (dir.), Monologuer. Pratiques du discours solitaire au théâtre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « La Licorne », p. 197-219.

Huberland, Manon et Alexandre Côté-Perras (2022), « Une écologie en creux : matérialités et sémiotique de l’absence », Journée d’étude « Crise écologique, arts et écriture » du 22 septembre, Montréal, Université du Québec à Montréal.

Lavigne, Mishka (2020), Copeaux, Ottawa, L’Interligne, 112 p.

Noël, Éric (2022), L’Amoure looks something like you, Montréal, Hamac, à paraître.

Sarrazac, Jean-Pierre (2004), Jeux de rêves et autres détours, Belval, Circé, coll. « Penser le théâtre », 144 p.

Schalansky, Judith (2021 [2018]), An Inventory of Losses, trad. Jackie Smith, New York, New Directions, 256 p.

Searle, Adam (2021), « Hunting Ghosts: on spectacles of spectrality and the trophy animal », Cultural Geographies, vol. 28, no 3, p. 513-530.

Sermon, Julie (2017), « Théâtre et écologie : changement d’échelle ou de paradigme ? », Colloque « Les changements d’échelle : les arts et la théorie confrontés au réel » du 16 et du 17 octobre, Montréal, Université du Québec à Montréal; ENS Lyon; CERILAC, en ligne <https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01896743>, consulté le 30 septembre 2022.

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