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Comment faire advenir l’autre qu’humain en situation performative ? Une question d’amour, de solitudes et de larmes d’eaux douces

Ariane Faucher
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Article paru dans Écodramaturgies: questions, repères, dispositifs, sous la responsabilité de Catherine Cyr (2022)

D’après la lecture-performance d’un extrait de L’Amoure Looks Something Like You d’Éric Noel suivi d’un entretien coanimé par Catherine Cyr et Pierre-Olivier Gaumond (UQAM), tous deux réalisés dans le cadre des journées d’étude « Avec l’autre qu’humain. Penser, agir et écrire les coprésences ». Jeudi 29 septembre 2022.

Mai 2020.Une baleine clandestine erre dans les eaux douces du St-Laurent. 

Un peu plus tard. Un écho retentit au loin ; c’est Éric Noel qui, à sa façon, répond au chant solo de celle qui est peut-être proche cousine de la « baleine la plus seule au monde ».

À travers la rencontre de deux solitudes s’éclairant l’une et l’autre, le monologue-performance de l’artiste montréalais non-binaire L’Amoure Looks Something Like You propose une hypothèse à la question de la « représentation » du plus qu’humain, en particulier de l’animal, en contexte performatif. 

Dans Le lexique socius, Alex Gagnon a recours aux travaux du philosophe Louis Marin et de l’historien Roger Chartier afin de penser la « représentation » en fonction d’une appréhension double. D’une part, la « représentation » consisterait à « rendre médiatement présente ou sensible une chose absente » (Marin, 1989, p.9). Cette dernière remplirait donc une fonction de substitution, par le truchement du signe, au sein de la relation représentative. D’autre part, la « représentation » se dissocierait d’une telle relation ontologique au profit d’une « identité par et dans l’acte de représentation », c’est-à-dire qu’elle ne s’entendrait non plus en fonction d’une logique de substitution, mais plutôt de « monstration » (Chartier, 1998 [1994], p. 176). 

Ici, j’investis un tel appareillage conceptuel afin d’insister sur la représentation double, en regard de la réflexion menée par Marin et Chartier, à laquelle Éric Noel a recours dans la coprésence de son « je » et de celui de l’espèce errante. La performance de l’artiste, composée de mots, de mouvements performatifs, d’images, de sons et même de silences habités met de l’avant un corps à la fois traversé par l’objet qu’il convoque ainsi que lui-même objet de monstration d’un  « espace de reconstruction dans un monde en déconstruction » (Éric Noel). 

Ainsi, le dialogue des voix et des corps, qui se rejoignent à l’aube d’une solitude générée par l’échec d’un sentiment de « fit-in », se trouve au fondement de la mise en présence de l’autre qu’humain au sein de la proposition d’Éric Noel. Tout en contournant l’avenue de la ventriloquie, l’artiste montréalais frôle parfois la prosopopée en entremêlant son « je » à celui de la clandestine montréalaise. C’est ainsi que l’agentivité des deux sujets en vient à servir l’un comme l’autre des deux actants. 

Au final, c’est à travers cette coprésence de l’humain et du plus qu’humain que  L’Amoure Looks Something Like Youparvient à jeter un éclairage sur ces corps qui clash en eaux douces. 

RÉFÉRENCES 

Chartier, Roger, « Pouvoirs et limites de la représentation. Marin, le discours et l’image » [1994], dans Au bord de la falaise. L’histoire entre certitudes et inquiétude, Paris, Albin Michel, « Histoire », 1998, pp. 173-190.

Gagnon, Alex, « Représentation », dans Anthony Glinoer et Denis Saint-Amand (dir.), Le lexique socius, <http://ressources-socius.info/index.php/lexique/21-lexique/189-representation>, page consultée le 9 octobre 2022.

Marin, Louis, Opacité de la peinture. Essais sur la représentation au Quattrocento[1989], Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2006.

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