Entrée de carnet

Penser au présent. La conférence d’Alain Badiou et de Slavoj Žižek

Jonathan Hope
couverture
Article paru dans Antichambre: entretiens et réflexions, sous la responsabilité de Équipe Salon double (2013)

Quel est le rôle du philosophe aujourd’hui? Quelle est sa place dans la société, dans l’organisation du travail, dans la vie intellectuelle?

Au moins depuis Socrate, nous savons que le philosophe trouve des problèmes et tente de les formuler correctement —il n’y apporte pas nécessairement des solutions. Mais cette définition ne fait pas nécessairement consensus; on pourrait douter, de manière tout à fait juste, de la primauté de la forme problématisante de la philosophie. Si la pensée ne pose que des problèmes, comment expliquer la formulation de vérités générales? La question est tout à fait capitale compte tenu du fait que la pensée s’organise souvent, voire prioritairement, autour de concepts universaux.

Cette hésitation ne doit pas nous concerner dans l’immédiat, nous y reviendrons. Pour l’instant, c’est plutôt le rôle du «philosophe entremetteur» qui nous intéresse. Alain Badiou et Slavoj Žižek, deux penseurs qui ont une certaine réputation à cet égard1En effet, les deux philosophes n’ont pas leur langue dans la poche. Badiou a provoqué toute une polémique en France avec son livre De quoi Sarkozy est-il le nom? (2007), où il a attaqué vigoureusement le gouvernement français actuel, qualifiant le président de la république «d’homme au rats». Žižek a, quant à lui, une forte notoriété académique. Dans sa conférence «On the Idea of Communism. A Year After» (The Birkbeck Institute for the Humanities, University of London, 1er mars 2009), il a provoqué un tollé dans l’assistance après avoir déclaré que Ghandi pouvait bien aller se faire enculer… Évidemment, ce sont là des cas singuliers dans des contextes très particuliers. Mais la polémique parcourt leur œuvre et dans bien des cas la fonde. À la fin de sa conférence, Žižek a déclaré que la pensée doit nécessairement être traversée par l’obscénité. Bien qu’il négocie l’obscénité mieux que quiconque —Badiou inclus— Žižek a révélé l’importance qu’accordent les deux penseurs à l’antagonisme et au conflit., ont publié ensemble une conférence intitulée Philosophy in the Present qui défend et revalorise cette position. Il s’agit d’un texte oral et spontané qui devrait, dans les mots de mots de l’éditeur, «stimuler la contradiction, la pensée et des lectures supplémentaires.» (XI)2Toutes les citations sont des traductions personnelles d’un texte anglais, lui-même déjà traduit de l’allemand. Badiou et Žižek ne sont pas unanimes dans leurs positions philosophiques. Néanmoins, ils s’entendent et réaffirment systématiquement cette entente au cours de l’entretien. C’est la nature complexe de cette entente et de son incidence sur la pensée qui fera l’objet d’analyse ici.

Les débuts conjoints de la pensée et la politique

Tous deux extrêmement politisés, Badiou et Žižek jugent capitale l’articulation entre la philosophie fondamentale et la philosophie politique. Cela ne signifie pas qu’à leurs yeux ces deux domaines se recouvrent entièrement. Au contraire, la politique porte sur des situations collectives, tandis que le philosophe est concerné par les problèmes. Néanmoins, considérant leur expérience politique, c’est sans surprise que les auteurs définissent le philosophe comme quelqu’un qui intervient dans les affaires du monde et qui s’implique dans les affaires communes. Cet engagement est pourtant bien particulier. Selon Badiou et Žižek, il n’est pas attendu du philosophe qu’il prenne position dans un débat en se justifiant avec des arguments plus intelligents que la moyenne. Fondamentalement, la philosophie ne génère pas des opinions. L’engagement politique du philosophe consiste plutôt à reformuler les termes du débat, à montrer que ces termes, institués typiquement par les médias ou par les politiciens, posent de faux problèmes.

Par conséquent, les auteurs s’entendent tout particulièrement à dire que, essentiellement, le philosophe problématise et désordonne. Cette idée partagée donne un ton plus ou moins uniforme à l’ensemble du livre. Par exemple, Badiou affirme:

C’est cette histoire que la philosophie nous dit toujours, sous plein d’allures différentes: d’être dans l’exception, dans le sens de l’événement, de garder ses distances du pouvoir, et d’accepter les conséquences d’une décision, aussi reculées et difficiles qu’elles puissent être. (13)

Badiou revient avec insistance sur l’idée et déclare quelques pages plus loin:

Je crois que c’est très important à comprendre: un engagement philosophique authentique, dans des situations, crée une étrangeté. Dans un sens général, il est étranger. Et quand il est simplement quelconque, quand il ne possède pas cette étrangeté, quand il n’est pas immergé dans ce paradoxe, alors c’est un engagement politique, un engagement idéologique, l’engagement d’un citoyen, mais ce n’est pas nécessairement un engagement philosophique. L’engagement philosophique est marqué par son étrangeté interne. (23-24)

Žižek tient des propos similaires:

Là où je veux diriger l’attention, c’est vers ce moment d’étrangeté qui émerge par déplacement; depuis les touts débuts —c’est ce que veut nous dire Heidegger— la philosophie n’était pas le discours de ceux qui ressentent la certitude d’être chez soi. Elle a toujours nécessité un minimum d’effondrement de la société organique. Depuis Socrate nous rencontrons encore et encore cette altérité, ces trous, et c’est intéressant que nous puissions même découvrir l’étranger chez Descartes —et donc exposer ses détracteurs. Dans la seconde section du Discours de la méthode, il y a, je crois, sa remarque célèbre où il raconte comment il a découvert dans les voyages non seulement l’étrangeté des autres coutumes, mais aussi le fait que sa propre culture était encore plus étrange, même risible, vu d’ailleurs. À mon opinion, c’est là le point zéro de la philosophie. Chaque philosophe adopte ce lieu de déplacement. (70-71)

La pensée apparaît ainsi essentiellement comme une affaire de ruptures. Ces ruptures —des relations impossibles— sont des moments clés de la philosophie. Que l’on conçoive ces ruptures en termes de décisions, d’instants, de paradoxes ou d’événements, le résultat est le même: il s’agit de définir la philosophie comme la discipline qui brise la douce cyclicité du sens. La pensée a nécessairement un début radical, une naissance qui se déterminent par opposition à tout ce qui est autre. La pensée est essentiellement négative et émerge lorsque le sujet décide de se positionner hors de lieux communs. Comme la plupart des textes qu’ont publiés ces auteurs, Philosophy in the Present est un plaidoyer pour des philosophies radicales et des politiques révolutionnaires actuelles.

Dans ce sens, la pensée ne consiste pas à générer des applications dites «concrètes». Selon Žižek, rien de plus éloigné de la philosophie que la liste des dix crises humanitaires (chômage, drogue, etc.) que J. Derrida compile dans les Spectres de Marx (1993). La pensée doit résister à la tentation pragmatique de s’immiscer dans le monde et doit, au contraire, assumer sa nature idéale. Un exemple donné par Žižek est tout à fait éclairant: dans les débats concernant la biogénétique, la tâche du philosophe n’a rien à voir avec les problèmes éthiques. Ou, du moins, si le philosophe offre une réponse à ces débats, ce n’est pas en tant que philosophe —il n’en sait rien de plus que n’importe quel citoyen. La tâche du philosophe consiste plutôt à réfléchir aux implications qu’ont les pratiques biologiques nouvelles sur l’idée de l’homme.

Précisément parce qu’ils résistent à la tentation pragmatique, Badiou et Žižek s’en prennent aux philosophes de la signification, de l’ordre et de la continuité3Le sens n’a pas sa place dans la pensée. C’est ainsi que Heidegger, éminent penseur du sens (qui s’est évertué à critiquer le thème Moderne de rupture et de révolution) se retrouve dans la ligne de mire de nos auteurs. Žižek déclare: «fondamentalement, Heidegger n’a compris personne» (50). Cette critique extrêmement sévère et crue n’est pas d’hier. Žižek consacre le premier tiers de son ouvrage The Ticklish Subject. The Absent Centre of Political Ontology (1999) à une minutieuse déconstruction de la philosophie du Dasein et montre qu’elle est fondamentalement corrompue. Badiou s’est également mesuré à Heidegger depuis longtemps, rejetant dans L’Être et l’événement (1988), l’équivalence heideggérienne entre l’ontologie et la vérité.. Le problème qu’ils exposent ne concerne pas le rapport de la pensée au monde, mais la (re)formulation d’une philosophie qui reconnaît le caractère essentiellement et excessivement transcendantal de la pensée. D’ailleurs, que Philosophy in the Present soit une transcription d’un événement oral n’est pas un hasard, compte tenu du fait que la parole est de l’ordre du présent, un éternel maintenant arraché de son contexte temporel4Je ne peux développer cette idée plus longuement —cela nécessiterait un long détour de Lacan jusqu’à Hegel, en passant par Heidegger, trois références cruciales dans les pensées de Badiou et Žižek. Cela dit, l’on peut intuitivement saisir le caractère présent de la parole. En effet, la parole s’efface au fur et à mesure qu’elle s’exprime; elle relève ainsi d’une sorte d’intemporalité et n’est pas soumise aux conditions humaines. La parole offre un début radical de la pensée et se constitue, comme l’avait bien vu Lacan, de purs signifiants. À son tour, le sujet qui s’en sert se voit conférer le statut ambigu de «transcendantal».. De manière analogue, l’organisation des idées immuables, c’est-à-dire la pensée, est absolument actuelle.

L’organisation politique et la vérité

Dans la démocratie telle que nous la vivons en Occident, on ne cesse de prôner l’harmonie entre les termes. On fait l’éloge du dialogue où tous les partis se parlent confortablement et conformément à certaines règles. Le dialogue est la manifestation d’une commensurabilité entre les différents discours. Le dialogue est, d’une certaine manière, le symptôme du sens raisonné, harmonieux et triomphant. La politique telle qu’elle se déploie dans la majorité des pays dits civilisés, où règne une forme standardisée et tranquille de parlementarisme, est une image claire de ce triomphe. Les différents partis politiques sont commensurables, sinon carrément interchangeables. Une rotation assez courtoise des rôles est la norme: l’opposition devient éventuellement la majorité, tous ont leur tour pour être chef.

Selon Badiou et Žižek ce dialogue est justement non-philosophique. Ce n’est pas dans les rapports (dialogue) entre les différents termes qu’émerge la philosophie, mais dans les ruptures (parole). Parce que la philosophie est contrariante, cela implique que la politique l’est également —ou plutôt elle devrait l’être. C’est ainsi que les auteurs pourfendent la politique usuelle: le parlementarisme standard, douceâtre et mou, propageant ses valeurs de bon sens et de continuité, est ce qu’il y a de plus éloigné de la pensée. La politique doit se mettre à l’heure de la philosophie, en s’ouvrant à sa réalité paradoxale et en reconnaissant qu’elle est effectivement fondée sur une impossible résolution. Choisir une option c’est également en refuser une autre: tout se joue dans ces instants décisifs et insensés où les sujets penchent vers les excès.

Emboîtant le pas sur Badiou, Žižek affirme: «Il n’y aura à peine un dialogue entre nous, parce que nous sommes en grande partie d’accord. Mais est-ce que cela pourrait être —pour commencer avec une provocation— un signe de philosophie réelle?» (49) L’accord évoqué ici n’est pas d’ordre dialogique, ni le fruit d’un pseudodébat concernant de petites nuances. D’ailleurs, il s’agit moins d’un commun accord que d’un même combat radical: la philosophie n’est pas une entreprise où se consolide le sens, mais une activité de destruction. Le take home message, comme disent les Anglais, c’est que la révolte ne suffit pas. Philosophy in the Present est, ni plus ni moins, qu’un appel à la pleine révolution, l’exigence philosophique par excellence5Paraphrasant et critiquant Miller et Kristeva, Žižek affirme: «Les révoltes sont bonnes, elles apportent de l’énergie créatrice, elles rendent les choses dynamiques; la révolution est mauvaise, car elle introduit un nouvel ordre. C’est incroyable: dans un sens, une vulgarité absolument libérale.» (103-104).

Un doute se profile peut-être à la réception d’un discours si frappant et engagé. Si la philosophie est essentiellement contrariante et si, de surcroît, elle formule des problèmes afin de désordonner, qu’en est-il de la vérité? Si l’on définit le travail de la pensée philosophique et politique comme disrupteur, comment soutenir des affirmations universelles? Car à lire Badiou et Žižek on constate sans difficulté que leurs affirmations sur la philosophie et la politique sont énoncées avec assurance. J’ai signalé en introduction cette hésitation: la forme problématisante de la pensée est-elle originale? La question est cruciale, car la pensée négocie avec des idées, des représentations abstraites, des formes infinies et immuables. Mais comment y arrive-t-elle?

Ce problème n’en est qu’un qu’à condition que l’on voie une sorte d’opposition entre la rupture singulière et la vérité universelle. Cette opposition a été soutenue par des «déconstructivistes de carrière» (86); mais Badiou et Žižek se distinguent des philosophes de cette génération précédente en déclarant que l’on doit cesser les valses-hésitations devant des choix, oser prendre des décisions et postuler des vérités. C’est dans ce sens qu’il faut lire les huit thèses que formule Badiou à propos de l’universalité6Ces «Huit thèses sur l’universel» sont également disponibles à l’adresse suivante: http://www.lacan.com/baduniversel.htm [consulté le 13 mai 2010].. Il n’est pas nécessaire d’étudier ici méticuleusement l’institution technique et méthodique de l’universalité (sur laquelle Badiou a longtemps œuvré) pour voir ce qu’elle implique. Essentiellement ces thèses défendent l’idée selon laquelle l’universalité se manifeste dans les exceptions, dans les décisions radicales et renversantes d’un instant. L’universel se révèle dans les situations paradoxales, la multiplicité infinie de singularités événementielles, précisément ce que Badiou désigne —à la suite de Lacan— comme «le vide de n’importe quel et chaque sujet.» (47)

Dégagé de tout contexte partisan, de toute particularité nationale, ou de toute condition naturelle, la philosophie et, dans son sillage, la politique, doivent se réconcilier avec leur potentiel universaliste. Žižek affirme clairement:

L’idée d’un débat intellectuel qui brise avec l’ordre particulier, dément la doctrine conservatrice selon laquelle seule l’identification complète avec nos racines rend possible l’être humain dans le sens emphatique du terme. Vous n’êtes complètement humain que lorsque vous êtes complètement autrichien, slovène, français et ainsi de suite. Le message fondamental de la philosophie dit, plutôt, que vous pouvez immédiatement participer à l’universalité, au-delà des identifications particulières. (72)

Dans la même veine, Badiou déclare:

Je pense que, depuis Platon, la philosophie a fait face à l’inhumain, et c’est là que se dessine sa vocation. Chaque fois que la philosophie se confine à l’humanité telle qu’elle a été historiquement constituée et définie, elle se diminue et à la fin elle se supprime. Elle se supprime, parce que sa seule utilité devient celle de conserver, répandre et consolider le modèle établi de l’humanité. (74-75)

Si la philosophie doit effectivement dépasser l’homme et assumer l’universalité, la politique devra également prendre les moyens nécessaires afin de répondre à de telles exigences. Pour Badiou et Žižek c’est l’idée du communisme qui se présente comme étant la réponse politique la plus adéquate, sinon la seule réellement adaptée, a cette exigence de la pensée7Récemment parus, L’hypothèse communiste. Circonstances 5 (Badiou, 2009), ainsi que L’idée du communisme. Conférence de Londres 2009 (Badiou, Žižek et al., 2010) indiquent clairement, ne serait-ce que par leurs titres, que les auteurs sont d’abord et avant tout intéressés par le communisme comme notion. Une forme d’idéalisme est ainsi au cœur de leur entreprise.. En effet, loin d’être morte, seule l’idée du communisme possède le caractère fondamentalement émancipatoire —allant bien au-delà de contingences historiques et humaines— nécessaire à la rupture et le renouveau.

Bilan

Badiou et Žižek insistent sur une définition contrariante de la philosophie. En découlent des implications politiques: finis les pseudodébats et le parlementarisme mou, les politiques radicales et révolutionnaires doivent être prises au sérieux, car seules elles posent les problèmes en leurs termes véritables.

Ce qui rend le projet de Badiou et Žižek d’autant plus novateur et urgent, tient du fait qu’ils restaurent l’exigence de la vérité entendue comme principe universel. De cette manière, ils développent une filiation philosophique à l’opposé des théories du sens qui ont dominé le XXe siècle, modélisées trop souvent sur les totalités rhizomatiques et organiques. Les auteurs optent plutôt pour une dialectique radicale et deviennent ainsi les représentants d’une forme d’idéalisme mutante et nouvelle. Leur entente particulière s’établit précisément sur ce terrain transcendantal d’idées et de paroles pures.

Dans ce sens, les relativismes culturels, nationaux, sexuels, naturels, etc., sont trop étroits pour définir la philosophie et la politique actuelle —même l’humanité ne suffit plus. Si le penseur trouve et formule des problèmes, comme je l’ai indiqué en introduction, il ne doit pas pour autant se méfier de la vérité. Au contraire, il doit la rechercher et se risquer à affirmer les choses qui l’ont convaincu de leur caractère absolu. Pour aborder les problèmes philosophiques et les situations collectives politiques, la pensée doit dorénavant assumer son caractère excessif et universel.

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    En effet, les deux philosophes n’ont pas leur langue dans la poche. Badiou a provoqué toute une polémique en France avec son livre De quoi Sarkozy est-il le nom? (2007), où il a attaqué vigoureusement le gouvernement français actuel, qualifiant le président de la république «d’homme au rats». Žižek a, quant à lui, une forte notoriété académique. Dans sa conférence «On the Idea of Communism. A Year After» (The Birkbeck Institute for the Humanities, University of London, 1er mars 2009), il a provoqué un tollé dans l’assistance après avoir déclaré que Ghandi pouvait bien aller se faire enculer… Évidemment, ce sont là des cas singuliers dans des contextes très particuliers. Mais la polémique parcourt leur œuvre et dans bien des cas la fonde. À la fin de sa conférence, Žižek a déclaré que la pensée doit nécessairement être traversée par l’obscénité. Bien qu’il négocie l’obscénité mieux que quiconque —Badiou inclus— Žižek a révélé l’importance qu’accordent les deux penseurs à l’antagonisme et au conflit.
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    Toutes les citations sont des traductions personnelles d’un texte anglais, lui-même déjà traduit de l’allemand.
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    Le sens n’a pas sa place dans la pensée. C’est ainsi que Heidegger, éminent penseur du sens (qui s’est évertué à critiquer le thème Moderne de rupture et de révolution) se retrouve dans la ligne de mire de nos auteurs. Žižek déclare: «fondamentalement, Heidegger n’a compris personne» (50). Cette critique extrêmement sévère et crue n’est pas d’hier. Žižek consacre le premier tiers de son ouvrage The Ticklish Subject. The Absent Centre of Political Ontology (1999) à une minutieuse déconstruction de la philosophie du Dasein et montre qu’elle est fondamentalement corrompue. Badiou s’est également mesuré à Heidegger depuis longtemps, rejetant dans L’Être et l’événement (1988), l’équivalence heideggérienne entre l’ontologie et la vérité.
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    Je ne peux développer cette idée plus longuement —cela nécessiterait un long détour de Lacan jusqu’à Hegel, en passant par Heidegger, trois références cruciales dans les pensées de Badiou et Žižek. Cela dit, l’on peut intuitivement saisir le caractère présent de la parole. En effet, la parole s’efface au fur et à mesure qu’elle s’exprime; elle relève ainsi d’une sorte d’intemporalité et n’est pas soumise aux conditions humaines. La parole offre un début radical de la pensée et se constitue, comme l’avait bien vu Lacan, de purs signifiants. À son tour, le sujet qui s’en sert se voit conférer le statut ambigu de «transcendantal».
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    Paraphrasant et critiquant Miller et Kristeva, Žižek affirme: «Les révoltes sont bonnes, elles apportent de l’énergie créatrice, elles rendent les choses dynamiques; la révolution est mauvaise, car elle introduit un nouvel ordre. C’est incroyable: dans un sens, une vulgarité absolument libérale.» (103-104)
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    Ces «Huit thèses sur l’universel» sont également disponibles à l’adresse suivante: http://www.lacan.com/baduniversel.htm [consulté le 13 mai 2010].
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    Récemment parus, L’hypothèse communiste. Circonstances 5 (Badiou, 2009), ainsi que L’idée du communisme. Conférence de Londres 2009 (Badiou, Žižek et al., 2010) indiquent clairement, ne serait-ce que par leurs titres, que les auteurs sont d’abord et avant tout intéressés par le communisme comme notion. Une forme d’idéalisme est ainsi au cœur de leur entreprise.
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