Colloque, 28 octobre 2010

Pour une épistémologie idiote

Dalie Giroux
Jean-Pierre Couture
couverture
Idiots, figures et personnages liminaires, événement organisé par Véronique Cnockaert, Bertrand Gervais et Marie Scarpa

Une épistémologie idiote exige une prise de position quant au savoir et aux règles qui régissent ce savoir. Penser ici, pensée d’ici, cela veut notamment dire penser sans la légitimation-sanction des métropoles et sans que ces lieux communs du savoir académique viennent en quelque sorte se mettre en travers d’une tentative de penser le monde tel qu’il se donne à voir ici et maintenant. La posture de l’idiot permet de questionner radicalement non pas la pertinence de ces règles, mais leur hégémonie dans le champ de la pensée, de questionner donc aussi ce que ces règles ne permettent pas de penser et rejettent du champ même de ce qu’elles définissent comme «la pensée» ou «le savoir».

Pour l’épistémologie idiotie, comme expérience de la pensée, il s’agit de mettre en oeuvre ce que l’académisme laisse délibérément de côté lorsqu’il s’agit de *parler du monde*: la sensibilité, la perspective, la mondanité. L’idiotie (comme idiolecte et idiome) joue à la conceptualité dans une dialectique avec les conditions idiomatiques naturelles de la pensée: le matériau, le territoire, la reliure mais aussi les rapports de pouvoir, les langages prescrits, les affects négligés. Voilà ce qu’une perspective idiote souhaite voir s’exprimer alors que les autres discours l’ignorent «simplement». Un tel engagement contre les auto-aveuglements des sciences respectables est en phase avec l’avenir de la science. Au moment où les monopoles de sens et de pratiques sont cycliquement et cinétiquement remis en doute, une perspective idiote fleurit entre les stèles des blocs disciplinaires et les structures académiques qui se sont voulus plus durs que les faits. «Par une étrange fatigue philosophique, ne continuons-nous pas à associer des mots-idées exogènes, prêts-à-porter, à un fantôme d’expérience elle-même constamment déniée? Une nouvelle scolastique inviterait-elle au silence dans la vallée du Saint-Laurent?» (Robert Hébert, Novation, p.97).

Dalie Giroux est professeure de pensée politique à l’Université d’Ottawa.

Jean-Pierre Couture est professeur adjoint de l’école de sciences politiques de l’Université d’Ottawa.

Type de contenu:
Ce site fait partie de l'outil Encodage.