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Interactions sonores: un passage possible

Luc Larmor
couverture
Article paru dans Figures de l’immersion, sous la responsabilité de Renée Bourassa et Bertrand Gervais (2014)

Wolfenhex. «Waves of Envy»

Wolfenhex. «Waves of Envy»
(Credit : Wolfenhex)

La pratique du drone musical est pour nous l’occasion de discuter des conditions d’une immersion sonore. Quelle attitude d’écoute adopter pour saisir pleinement les fragments de structure formelle sporadiquement signifiants qui émergent des processus non linéaires et croisés, des pratiques musicales numériques actuelles?

Si l’immersion peut rapidement se définir comme la capacité à s’inscrire dans, et participer à un «soundscape», au sens de Raymond Murray Schafer, alors qu’en est-il de l’écoute d’un drone qui vise massivement la saturation de la perception? À quel paysage sonore intérieur, quel schéma corporel, quelle intimité où se mêlent contacts, frictions et tensions sommes-nous dans ce cas renvoyés?

 

Pratiques sonores et immersion: Quels liens?

Les technologies numériques permettent de composer le son lui‑même, a‑t‑on coutume de dire. Mais le lien que l’ordinateur entretient avec la matière sonore et avec l’espace dans lequel les sons vont s’actualiser et être perçus ne va pas de soi. La manière dont un son devient en quelque sorte formellement présent dans l’espace de diffusion est une question importante, située à l’interface de la simulation informatique et de la perception auditive. C’est en ce sens que nous serons amenés à parler d’immersion.

L’axe de recherche développé recoupe l’exploration des ressources musicales des continuums sonores, un domaine de réflexion que nous avons, pour notre part et dans un premier temps, abordé en nous appuyant sur le levier conceptuel que représente la notion de flux. D’autre part et pratiquement, la conception de modules logiciels appliqués à la production de drones vient compléter le dispositif. Enfin, il faut encore dire que cette démarche se situe dans une dynamique de recherche et de création qui tient plus de l’expérimentation musicale que de l’improvisation proprement dite. Et ceci parce que les flux sonores produits entretiennent un rapport complexe et non local avec les processus informatiques qui les encadrent. Récurrence et itération, pondération et régulation informatiques (par définition vides de sens et de contenu) peuvent rapidement complexifier le développement d’une proposition musicale, venir mêler les niveaux et les éléments de représentation, les échelles de grandeur et les unités de mesure, d’une manière faussement corrélée d’un point de vue sonore.

La production de drones, qui sont des ensembles de traces sonores en interaction, textures en devenir, sans début ni fin, motivées par une forme d’ensemble qui peut demander du temps avant de se révéler (saturation), réclame une attitude nouvelle vis‑à‑vis du sonore et de la temporalité de ce qui se donne à entendre. C’est la raison pour laquelle les questions liées à l’immersion sonore sont susceptibles de nous intéresser. En présence d’un continuum sonore, l’audition s’actualise en utilisant des ressorts perceptifs tout à fait singuliers. Par-delà l’aspect de surface du drone qui n’a de cesse, pour peu que l’on accepte de lâcher momentanément prise, de nous aspirer et de nous propulser vers des états de tension et de friction, il est nécessaire de repenser son écoute, dans l’éclatement de la substance sonore en tant qu’ensemble formel et l’éparpillement des points de vue, de la repenser à la source d’expériences perceptives «protéiformes». Le besoin, également, en présence d’une texture qui s’étire ou se densifie, d’effectuer des aller et retour, des sondages, des «carottages» dans l’épaisseur du son, en dehors de toute chronologie, selon des temps parallèles, qui nous mettent parfois en lien avec des sensations lointaines ou à jamais disparues.

Il est important de dépasser l’approche usuelle de l’espace de diffusion sonore, approche interprétative et normée, tournée vers la description cinétique des sons et leur propagation. Nous pensons qu’il convient plutôt de former l’hypothèse d’un milieu, à proprement parlé, sans cadre précis, dont l’appréhension doit se faire dynamiquement, dans le sens des mouvements de convection qui se développent à l’intérieur d’un flux sonore.

 

Circulez, il n’y a rien à entendre

L’expérience sonore «directe» est fréquemment caractérisée par une sorte d’évidence perceptive. Tout se passe bien souvent comme si les éléments sonores entraient aisément et indéfiniment en relation les uns avec les autres, et avec l’auditeur également (échanges et mises en abyme). Par-delà l’étendue et la nature de ces liens, et l’interprétation que l’on peut en faire, il semble exister dans l’univers sonore une organisation interne rarement prise en défaut. Un ensemble de propriétés troublantes, qui donnent volontiers à penser que les sons se comportent spontanément dans leur propagation, comme un vol d’étourneaux, globalement sans heurts, au sein d’une formidable plasticité d’ensemble. Et on se surprend à entendre, en filigrane de nos activités bruyantes, la dynamique spatio‑temporelle, d’origine entropique, dans laquelle nous baignons.

Face à la réalité fragmentée et éphémère du sonore, notre cerveau semble avoir «naturellement» développé des mécanismes complexes de sélection et d’association. Efficaces et précieux, ces mécanismes ne sont pourtant pas complètement efficients pour expliquer cette sensation d’être, à l’endroit de toute ambiance sonore, en présence d’une membrane enveloppante et poreuse, nous mettant en contact avec des aspects très intimes de la matière. Est‑ce notre mémoire ou un apprentissage millénaire qui nous joue des tours? L’économie de la perception serait‑elle fondée sur la nécessité d’assimiler dans un même élan d’intelligibilité aperception et ordonnancement (ré-organisation objective)?

Cet équilibre instable, ce désordre acoustique apparent qui semble habiter le sonore, ne peut‑on pas imaginer qu’il soit lui‑même générateur de liens et source de connaissances? Indéfiniment de passage, le son a tout autant de choses à nous apprendre sur les formes elles‑mêmes que sur leur formidable faculté de renouvellement et leur origine organique (dans une acception large du terme), entendue aussi de nos tissus, par sympathie. En dehors de l’enseignement strict des théories acoustiques et la propagation des vibrations dans les environnements élastiques, ces remarques, dans l’élargissement de l’horizon perceptif qu’elles ne manquent pas de susciter, peuvent aider à esquisser la composition d’une pièce musicale, dans son articulation, ses strates temporelles ainsi que son audition. L’écoute d’un environnement sonore, les moments de surprise, d’inspiration et de fascination passés, peuvent en effet servir à réinterroger la boucle «perception‑action», qui caractérise globalement et dans le «faire» le geste de composition attaché aux outils numériques de création sonore en temps réel. Et ceci en postulant l’intérêt heuristique que peut représenter le fait de rapprocher l’instant de l’actualisation musicienne d’un processus sonore de l’instant perceptif «réel», dans son épaisseur plurielle et dynamique.

Les technologies numériques permettent une manipulation fonctionnelle des sons, ce qui veut dire qu’il est possible d’articuler dans un même geste ou à l’aide d’un même outil logiciel préoccupations sonores, considérations liées à la représentation (symbolisation et écriture), organisations interactives et manifestations transmédiatiques (conception de processus dont l’actualisation est pensée de manière audiovisuelle). C’est l’opportunité pour le créateur d’aller vers des dispositifs artistiques potentiellement complexes, sensibles à des phénomènes de coïncidence, de non‑linéarité, de friction ou de dilution; toutes choses qui, en regard de leur caractère ouvert et discontinu, composite, peuvent être utilement éclairées par une réflexion sur les flux sonores et la prise en compte des milieux sonores réels. Avec l’idée, comme nous venons de l’entrevoir, d’aller vers des espaces qui ne se limiteraient plus à la seule mise en œuvre d’objets formellement circonscrits, en mouvement le long de trajectoires sonores descriptives.

L’environnement sonore qui nous entoure est souvent la source d’une pluralité d’interprétations, qui peuvent d’ailleurs aisément cohabiter. Nous n’avons que très rarement affaire à un son isolé émis à l’intérieur d’un milieu neutre. En situation d’écoute ordinaire, le contexte va très rapidement guider notre jugement vers une interprétation exclusive, ce qui ne veut pas dire que l’on pourra décrire celle‑ci avec facilité. Notre perception va, par exemple, s’organiser autour d’une expérience plus globale, se résoudre au profit d’un contexte visuel ou au détour d’une action, acquérir un sens par la réitération du son ou par son association à d’autres manifestations qui lui sont possiblement contemporaines.

Le silence relatif d’un dimanche matin tendrait à nous donner à penser qu’en ville, le son est en relation directe avec le degré d’activité humaine. On peut se surprendre à écouter et à goûter ce silence. Au loin des grands boulevards, quelques éclats de voix peu discernables, provenant de noctambules égarés ou bien d’enfants pressés d’aller jouer, le bruit incontournable d’une balayeuse de voirie en embuscade au coin de la rue, les trilles obstinés d’un merle au réveil, le ronronnement bavard et régulier d’une climatisation. Dans ces moments de calme relatif, pas ou peu de phénomènes de masque. La description du sonore n’a pour limite que la seule acuité du descripteur, sa capacité à s’ouvrir à tous les stimuli auditifs qui parviennent à ses oreilles. Trains d’ondes vibratoires complexes qui se propagent tous azimuts et ne cherchent pas à se réunir et à former ensemble un objet «préentendu», une agrégation naturelle, constituée en vue d’être perçue, comme s’il allait de soi qu’elle existe et doit être entendue. Implicitement, nous savons que l’interprétation des indices sonores dépasse, et de loin, la simple reconnaissance et la seule distribution spatiale des sources selon une hiérarchie topographique, elle‑même d’ailleurs en perpétuelle recomposition.

Du reste, dans les centres-villes, protégés par des rangées de hauts immeubles, alors que les industries et les activités artisanales ont été rejetées à la périphérie et que les rues piétonnes ont vu leur développement se généraliser, on peut retrouver quelque chose de cette appréhension sonore en zones multidimensionnelles floues et mouvantes, concurrentes les unes avec les autres, chargées de polysémie ou connotées, nous renvoyant la plupart du temps vers un ailleurs insaisissable, en dehors d’instants remarquables et, la plupart du temps, fortuits. Cette dernière constatation se réfère au fait que l’univers auquel nous convie le sonore est un environnement sans frontières stables, voire sans frontières du tout, où sélectivité et différenciation entrent directement en résonance avec notre mémoire. Le tout nous transportant, à défaut de nous livrer sous les yeux la cause mécanique ou matérielle des sons, vers un monde constitué d’indices parfois concordants, hybridés à un imaginaire aux traits mémoriels discontinus et affranchis des lois de l’acoustique, sans oublier les propriétés et les attributs, que l’on pourrait qualifier de musicaux, qui caractérisent la temporalité des événements sonores ainsi que leur densité et leur cyclicité. Musiciens de rue, alternance de matériaux tantôt absorbants, tantôt résonants, bruits de pas, fontaines, travaux de voirie, trouées débouchant sur les voies de circulation automobile, façades en verre réverbérantes, jardins d’enfants à certaines heures habités du seul chant des oiseaux, avion quelque part au‑dessus de nos têtes jouant acoustiquement avec les couches fines des nuages; les sons vont et viennent continuellement, mêlant leurs traces, échangeant leurs attributs, peu soucieux de nous délivrer un environnement homogène aux éléments contigus. L’architecte et l’urbaniste peuvent déployer un point de vue, proposer un nombre réduit de clés de structuration visuelle de l’espace; le point de vue sonore, quant à lui, n’existe pas. Ou plutôt, il existe une multitude de points de vue sonore, en fonction de la position spatiale des individus écoutant, et en grande partie également en fonction de la temporalité dans laquelle ils évoluent. Sans oublier que l’on peut légitimement questionner le fait de savoir si, tout simplement, les sons, dans leur grande majorité, ont été, à un moment ou à un autre, émis pour être entendus.

Ce qui ne veut pas pour autant dire qu’en présence du sonore, il ne soit pas possible d’obtenir des «informations» précises et détaillées en ce qui concerne notre environnement. Dans un premier temps, il peut s’avérer utile de faire un détour musicien et d’admettre qu’au départ, rien n’est donné en matière sonore. Il peut également être intéressant, même si cela peut s’avérer peu confortable de prime abord, de s’émanciper des modèles acoustiques ou auditifs assurément catégoriels, positifs et rassurants qui jalonnent spontanément notre perception. Pour cela, bien entendu, il est nécessaire de bousculer plus ou moins profondément notre quotidien sonore et nos habitudes de perception. Ne pas hésiter à reconnaître les pouvoirs structurants de la fragmentation, les vertus formelles de l’hétérogénéité typo‑morphologique, et s’initier, sans a priori, aux richesses perceptives et sensibles de la discontinuité, du circulant, du communicant et de l’elliptique. L’écoute active et expérimentale est, en dernier ressort, le seul guide en la matière, en musique, comme finalement dans l’expérience sonore la plus quotidienne. Dans ces conditions d’écoute, et dans l’hypothèse d’une approche non cumulative de la démarche auditive, on peut dire que chaque situation sonore est potentiellement, au moment où nous nous ouvrons à elle (et pas simplement du fait de ma position d’auditeur-musicien attentif), une expérience au sens plein du terme (prégnance, ductilité et évidence sensible). On peut ici, et avec un grand intérêt, se reporter aux précieux écrits de Daniel Deshays1Ingénieur du son et compositeur français qui a réalisé la conception sonore de nombreuses créations théâtrales., dans lesquels il nous parle de l’apparition d’une «conscience sonore» qui se forme en nous à force de ratages, d’erreurs et d’insatisfactions. Il y décrit également la pratique de l’écoute, qui peut être synonyme de la capacité à perdre dynamiquement et périodiquement les règles acquises lors des expériences auditives antérieures, pour se mettre en position d’entendre le détail fugace qui tracera un axe, ébauchera une règle et nous conduira momentanément au cœur de la structure même de la matière sonore. «Ainsi le sonore travaille le réel en creux, il évoque plutôt qu’il ne définit. Sonore qui s’esquisse en traces discontinues, toujours prêtes à entrer, à faire irruption.» (Dehays, 1999: 34)

Une perception qu’il est nécessaire d’exercer avec un minimum d’idées préconçues, qui tend à nous initier à un phénomène résolument fragmentaire, changeant, renouvelé, déformé, mélangé, estompé, dont la phénoménologie de la perception et les travaux de Pierre Schaeffer nous ont montré l’existence. Et ceci en particulier par l’écoute réduite, qui se définit comme l’écoute du son pour lui‑même, détaché de toutes considérations relatives à sa source et à sa finalité. En fait, l’écoute réduite n’est pas une discipline utile au seul chercheur ou au rêveur; on apprend à la lecture de la théorie des objets sonores qu’elle est à la base de la perception des sons. Pour résumer les enseignements de Pierre Schaeffer, en insistant sur le mécanisme de l’audition, on peut dire qu’au contact des trains d’ondes vibratoires, nous exerçons, dans l’épaisseur du «présent perceptif», une écoute réduite. Sans a priori, sans références préalables, sans souci de sens. Une sorte de disponibilité perceptive, le loisir d’une attention auditive, un instant vierge. La question que l’on peut alors se poser est la suivante: comment, en présence d’ondes sonores allant et venant continuellement, mêlant leurs traces, échangeant leurs attributs, peu soucieuses de nous délivrer une image cohérente de l’environnement, l’écoute réduite peut‑elle exister? Comment l’attention la plus spontanée et la moins préconçue peut‑elle s’exercer face à des phénomènes vibratoires incomplets, déformés, parcellaires, partiellement effacés, masqués ou superposés? Pour tenter de répondre à cette question, on peut formuler l’hypothèse selon laquelle l’évidence sonore qui sert de substrat à une saisie perceptive rarement prise en défaut s’explique en partie par une cohérence énergétique et événementielle essentiellement locale et fluctuante, dont la cause est à coup sûr plus globale, et qui nous renvoie à quelque chose de l’ordre de la logique générale des flux et des systèmes autorégulés.

 

Dis-moi comment tu klaxonnes… 

Par-delà la vision quelque peu illusoire d’une incessante diversité sonore, dont nous ne pouvons faire globalement l’expérience, et qui semblerait pourtant se comporter comme une suite de rendez‑vous dont nous serions toujours très clairement informés, le phénomène du flux va nous aider à introduire les notions de cohérence locale, de feed‑back plus ou moins profond, de localisation, inhérentes au principe d’autorégulation qui le caractérise. Dans un flux, les éléments présents sont dans un rapport de coprésence, d’interdépendance qui les relie, leur procure une plus ou moins grande solidarité, sans pour autant véritablement les lier, les définir ou les enserrer dans une typologie unifiante et normative. Les processus musicaux électroacoustiques en direct s’intéressent de près à la notion de flux, et ceci pas simplement dans le sens de leur propre prolifération. Localisation et autorégulation peuvent également caractériser l’idée que l’on peut se faire de l’espace de diffusion du son dans lequel s’immerge l’auditeur. Le modèle usuel présuppose une immersion organisée autour de trajectoires et de représentations sonores (images sonores), un niveau macro‑formel qui entre en contradiction avec les aspects formels émergents qui peuvent remonter à la surface des processus numériques de création en temps réel, et qu’il s’agit désormais de privilégier. Ces «figures», ces configurations plus ou moins spontanées, semblent créer un lien intime entre forme musicale et espace sonore, qui oblige à la redéfinition de l’une comme de l’autre. La sensation d’une proximité nouvelle qu’il convient de problématiser, et qui provient sans doute en partie du fait qu’il est possible, désormais, en utilisant l’outil numérique, de composer dans une même entité son et interactions sonores, ce qui explique peut‑être partiellement la sensation d’un espace qui émane non pas d’un modèle de diffusion préconçu (images sonores et trajectoires), mais du réseau sonore lui‑même.

Il est ainsi possible d’apprendre un nombre illimité de choses, toutes infiniment sensibles, en fermant les yeux, sur la météorologie locale, la présence d’un couvercle nuageux, l’hygrométrie, la température ambiante, la respiration ou la «manière d’être» d’un lieu. Une écoute qui s’en tient au sonore et prend les sons comme ils arrivent, sans a priori. Une écoute qui découvre des sons au contenu parfois marginal ou accessoire, dans la mesure où aucune information bavarde ou fonctionnelle ne s’en dégage spontanément. Bribes de scènes composites, provenant la plupart du temps de situations volées ou faisant intrusion sans prévenir dans notre champ auditif, sans précautions particulières, comme un éclat. Il s’agit souvent et de toute évidence de sons croisant notre écoute sans chercher à nous retenir, sans destination manifeste, rebondissant autour de nous et en nous avec leur complexité interne, des sons spontanés et fragmentaires vis‑à‑vis desquels se développe, sans que l’on sache vraiment pourquoi, un curieux et tenace degré de proximité perceptive (la sensation d’un air entêtant), nous suggérant une sorte d’évidence et de familiarité aux racines profondément ancrées en nous. Contenus sonores anecdotiques, aux significations parcellaires, polysémiques, transitoires et qui sont le lieu, avec leurs lambeaux d’histoires propres ou arrachées l’instant d’avant à une résonance, un écho ou une réverbération, des transformations, métamorphoses, démultiplications, dégradations, fragmentations dont l’oreille se nourrit sans cesse et avec lesquelles notre esprit, en dehors de toute volonté, de tout canevas préalablement échafaudé, fabrique certainement ses rêveries. C’est à l’évidence à partir de ce genre d’analyse que l’élargissement de la conception de la forme musicale, ainsi que l’approche de l’immersion sonore, doit être conduit.

Les différents préréglages de l’effet «résonateur» du logiciel Ableton Live portent des noms de ville. Vienne, Tokyo, Rome, Prague, Paris, Moscou, Los Angeles ou Berlin, entre autres, prêtent leur nom aux configurations de paramètres proposées avec l’algorithme audionumérique. Le choix des villes peut être discuté et comporte sans doute une part de subjectivité. Là n’est pas la question. Le fait d’avoir imaginé utiliser des noms de ville pour définir des effets de résonance, des couleurs sonores, paraît beaucoup plus intéressant à signaler et à retenir. Car l’on peut imaginer que d’un grand nombre de villes se dégage subtilement une couleur sonore propre, caractéristique, comme une lumière, qui nous renseigne également par petites touches sur l’histoire du lieu, sa situation géographique et son organisation «intime» (parallèlement, encore une fois, à ce que nous montrent l’urbanisme et l’architecture). Pour prendre un autre exemple susceptible d’illustrer l’expressivité bien particulière du sonore, tournons‑nous vers certaines villes d’Asie du Sud‑Est. Des villes gonflées par une forte activité humaine et où l’usage de l’avertisseur sonore est une règle admise et comprise en propre dans le code de circulation local (et qui veut sans doute dire «attention, je manifeste aux autres et de proche en proche ma présence»). Il émane de cette profusion sonore une sensation spatiale très particulière, la sensation d’une «communauté circulante». À défaut d’un marquage au sol, de panneaux de signalisation, voire de régulation (feux tricolores), c’est tout un système complexe de marquages sonores qui se met en place, réactif, instantanément adapté à la densité de la circulation, jouant sur la mobilité des sources, la directivité variable des sons, leur timbre, leur intensité, la fréquence de leur apparition ou la vitesse propre de déplacement des véhicules. En Europe, l’aménagement des voies de circulation et le code de la route expliquent sans doute que, bien souvent, le «coup de klaxon», marginalement agressif, semble plutôt vouloir intimer l’ordre de libérer le passage… Ailleurs, et tout exotisme déplacé mis à part, le fait d’entourer son véhicule d’une zone de sécurité sonore à ne pas franchir peut s’avérer être d’une efficacité redoutable sur le terrain (à la vue, manifestement, du faible nombre d’accrochages que l’on peut constater dans le désordre apparent des carrefours de Hanoï, par exemple), sans doute parce que cette présence sonore, d’une grande plasticité, semble continuellement se redéfinir en fonction des conditions de circulation. Globalement, et à partir d’un corpus de signaux relativement pauvre, par le jeu des occurrences sonores, des bribes de séquences, des esquisses de rythmes, des variations concurrentes sensées concourir à l’imbrication passagère des véhicules au sein du flot de la circulation, nous nous retrouvons immergé, par-delà les aspects parfois anecdotiques des sons, au cœur d’un espace sensoriel marqué par une qualité toute particulière, relationnelle, musique de la localisation tous azimuts, sorte de mise en abyme (pour le musicien) de l’écoute elle‑même.

On peut encore exemplifier notre propos en parlant de la coprésence d’un son et d’un milieu plus ou moins réverbérant. Coprésence qui nous renseigne sur la nature des matériaux dont est fait le lieu, sur son volume, mais aussi sur la composition du son, dans la dispersion coordonnée de ses composantes. Ces mêmes composantes sonores, dans la dynamique de l’autorégulation, peuvent à leur tour entrer en interaction avec certains éléments matériels présents sur place, lesquels vont se mettre à résonner et donner du lieu une autre vision. Interaction et feed‑back, autorégulation et interdépendance des composantes du système sonore, qui, dans la simultanéité, s’exercent en transformant la dispersion en un mode de structuration, et ceci selon une logique prioritairement locale de la subordination. Cette même autorégulation, source profonde de liens et de relations entre des éléments a priori hétérogènes, peut également trouver une expression dans la coïncidence, et permettre cette fois‑ci l’émergence d’éléments, de fragments formels saisissables, au travers des synchronicités dont tout flux est le siège. Et ceci selon une logique, en soi indéfinie, de la coordination2Lire à ce sujet Larmor (2010).. Cette idée de logique énergétique que nous nous proposons de rapprocher du fonctionnement et des propriétés des flux peut nous servir de guide, sans que l’on éprouve le besoin de s’appuyer sur elle pour définir plus avant et plus précisément des formes sonores, une nomenclature. L’effort d’objectivation qui cimente le traité de Pierre Schaeffer ne peut s’exercer ici. Il ne s’agit pas pour nous de décrire, ni même de tenter une classification. La possibilité de leur émergence à partir d’un substrat complexe appréhendé dans le foisonnement des interactions qui le désigne nous suffit à découvrir un réservoir fantastique de possibilités sonores et musicales qu’il s’agit non pas d’organiser ou de nommer, mais d’aborder, dans toute sa richesse, avec le minimum d’idées préconçues. La mise en relation transversale d’éléments qu’une vision trop objective des choses ne permet pas d’établir, un croisement des temporalités et des modes de localisation. Finalement, avoir toujours et simplement présent à l’esprit le fait que la majeure partie des ressorts de structuration du sonore se trouvent dans le sonore lui‑même et que l’instrument numérique, en particulier, ne doit en aucun cas se substituer à eux, tout juste les solliciter, voire asymptotiquement les simuler.

 

Flux et temporalité 

Pour qu’une singularité sonore se révèle, pour qu’elle traverse les lignes de force d’un flux numérique en particulier, pour qu’elle remonte à la surface d’un drone ou d’une ambiance sonore urbaine et apparaisse perceptivement, il faut à l’évidence du temps. Pour qu’elle soit remarquable ou puisse être remarquée, et afin qu’elle contribue à interroger localement et sans la présence au préalable d’un centre de gravité, la construction sonore ou musicale dans laquelle elle apparaît, pour qu’elle fragmente les formes, les coupe de leur origine, les précipite sur le versant sensible d’une structure tensionnelle en bouleversant les conditions de la diffusion du son et notre situation dans l’espace, il faut encore du temps. Nous avons pris soin de considérer un environnement sonore en l’occurrence urbain, fait de chants d’oiseaux, de bruits de pas, de bribes de conversations, de klaxons, de l’alternance de cycles sonores, mais également des strates continues et superposées des sons artificiels issus du bruit des machines, lesquels se manifestent de manière chaotique, «sans originalité ni orchestration interne» (Schafer), pour justement souligner que les sons robotiques ou produits en boucle par une machine doivent faire l’objet d’une approche particulière, que l’on peut rapprocher de certaines préoccupations liées aux pratiques musicales actuelles et à la notion de flux. Il est intéressant de noter que les ambiances naturelles sont considérées par Schafer sous un angle musical et relationnel, au sens des rapports qui existent traditionnellement en musique (intervalles, consonance, rythme, harmonie), alors que les ambiances sonores artificielles et urbaines sont abordées uniquement par rapport au strict contenu acoustique des sons qui les composent. Des contenus sans qualités ou globalement sources de pollution, et surtout présentés comme n’étant pas susceptibles d’engendrer ni même de s’insérer dans un tissu sonore, dans un système de relations, de structuration perceptive, réduits à s’accumuler ou à persister sans discernement. Le propos n’est évidemment pas ici de discuter de nos conditions de vie en milieu urbain, ni de trancher la délicate question de la nuisance sonore, mais bien d’attirer l’attention sur le fait qu’il est possible, en dehors de tout jugement de valeur et de toutes considérations d’ensemble, de revisiter l’articulation des phénomènes sonores qui nous entourent et de proposer une écoute qui prend en compte, sur des bases nouvelles, l’infinie variété des chants qui les composent. La condition temporelle évoquée ici n’est pas rythmique, métrique ou pulsionnelle. Elle n’est pas un décompte, mais l’exercice d’une disponibilité affirmant la richesse relationnelle interne des durées phénoménologiques, rendant possible le télescopage des temporalités, dont certaines ont à jamais et depuis longtemps disparu. Elle s’exerce selon des seuils et ne dessine aucune continuité précise et vectorielle. Prendre le temps d’écouter, en musique comme au sein d’une réalité sonore urbaine, c’est, d’une manière peut‑être un peu paradoxale, ne pas chercher systématiquement les linéaments d’un sens unifiant ou les indices d’une quelconque permanence, une direction. C’est spontanément accepter tous les mouvements de surface, dans une relative atomisation des instants, la mise entre parenthèses de l’incessant effort d’homogénéisation et de «pondération» énergétique que représente à l’esprit, un peu trop commodément, la propagation des sons. Écouter, c’est encore ne plus se dispenser d’être dans l’instant, car on n’a finalement que très rarement le pouvoir, de manière elliptique, de résumer les situations. Cette condition d’immersion se conçoit sans doute plus aisément en regard des environnements sonores naturels, qui eux non plus n’échappent pas à la règle que l’on s’impose ici, et qui consiste à se laisser volontairement submerger par le sonore, sans chercher continuellement à ranger tout ce qui nous arrive dans des cases bien définies qui nous préparent à être insensibles et oublieux. D’une manière tout à fait ordinaire, nous faisons peut‑être plus facilement l’expérience de la saturation perceptive au sein d’un environnement sonore naturel, vers lequel on peut se tourner d’une manière plus librement «contemplative», car infiniment diluant, voire apaisant et essentiel. Les flux sonores naturels sont, à vrai dire, tout à fait remarquables de notre point de vue: les manifestations qui les animent aux différentes heures critiques du jour comme de la nuit se répondent et nous font vivre, à chaque instant, au sens plein du terme, quelque chose de l’ordre du concert. Que l’on se reporte à ce sujet aux questions passionnantes abordant les liens et relations «inter‑espèces» que tout le vivant entretient grâce au sonore, qui ne seront pas abordées ici.

La ville, comme nous l’avons signalé, peut se caractériser par une couleur sonore, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit prête à se conformer à une vision instantanée et plaquée, dessinant des dégradés et des courbes de niveaux acoustiques entre des zones de plus ou moins grande pollution sonore, par exemple. Bien au contraire, Jean‑François Augoyard, fondateur du CRESSON, nous apprend que pratiquement chaque citadin a sa propre représentation cartographique, sur un mode radicalement discontinu et séparé, des zones et lieux urbains, en fonction des attributs qu’il prête aux sons et d’une logique toujours qualitative. Le sonore est infiniment riche et pénétrant. Ses qualités sensibles, attestées individuellement, par‑delà la propension de l’activité humaine (mécanique et robotique) à codifier et à standardiser la production de sons (ce qui inclut bien entendu la diffusion de sons dans les lieux publics et les pratiques d’écoute nomades avec baladeurs), concourent à donner aux formes produites une multitude de présences palpables, vibrantes et éphémères, qui laissent un «goût», une odeur, et provoquent en nous de troublantes rémanences sensibles. La ville, dans sa mouvance et sa complexité, se comporte vis‑à‑vis du sonore comme un vaste processus de dégradation générateur de «traces», de fragmentations, de «salissures» et de déformations, qui s’associent indéfiniment et en permanence3Il existe aujourd’hui différentes petites applications que l’on peut installer sur son téléphone portable et qui permettent d’interfacer, par l’intermédiaire du microphone du kit mains libres, une musique (spécialement conçue) avec les bruits ambiants traversés lors des déplacements urbains. Des bruits venant soit s’insérer dans le morceau écouté par simple mixage, soit agir en fonction de quelques caractéristiques bien identifiables (durée, volume, répétition, filtrage…) sur le timbre des sons, le rythme de la musique ou le jeu des boucles et des cellules mélodiques.. Il faut encore du temps pour se frayer un chemin parmi tous ces sons. Ignorer cette composante temporelle, ne pas la laisser jouer, c’est prendre le risque de se trouver confronté à une masse sonore compacte, bruyante, assourdissante et rapidement hostile.

Les formes sonores qui apparaissent à la surface sensible des flux informatiques en temps réel n’ont pas non plus pour vocation de se figer et n’ont pas pour dessein de faire entrevoir le sonore une fois pour toutes. Ce sont des formes «instantanées», qui vont exister momentanément et localement, des émergences qui s’arrachent en partie à un contexte initial et prennent du relief par rapport à la multiplicité et l’instantanéité qui caractérisent leur mode de jaillissement. Elles se réalisent grâce aux liens qu’elles tissent entre elles et avec leur environnement, sans que ne soit visé aucun aboutissement, aucun achèvement. Ce sont bien ces éléments émergents et les relations qu’ils entretiennent qui atteignent en premier lieu la perception et stimulent l’expérience musicale, comme la déambulation de l’auditeur à l’intérieur d’un dispositif sonore installé. C’est peut‑être une sensation de temps qui apparaît en retour, par l’interaction tous azimuts des éléments sonores en situation de rencontres spatiales, matières fragmentaires, composites, hybrides, affleurant à la surface d’un vaste et généralisé processus de recyclage (sans doute une autre caractéristique des flux). L’initiation à des formes d’écoute libérées des règles de sériation trop strictes, qui conduisent bien souvent à l’imbrication exclusivement fonctionnelle d’entités sonores dessinant de proche en proche des environnements stéréotypés. À défaut de pouvoir tout saisir d’un seul coup et tout le temps, il est important pour le musicien d’attirer l’attention de l’auditeur sur ces multiples phénomènes de résonance, de «miroir», ces aspérités matérielles qui, localement, plient et déplient les sons dans leur durée et représentent un puissant outil de mise en suspension de l’espace. Interstice propice à la découverte, à la compréhension, au silence, au détour d’un détail réverbéré. Jeu avec le temps (qui passe), vision du sonore dans l’évidence de sa complexité et la magie de l’instant.

 

Conclusion

C’est en tenant compte des technologies numériques dans la création sonore et musicale, en particulier dans le fait de recourir à des processus aux effets non locaux et parfois non réversibles, que les questions liées à la notion d’immersion ont été abordées dans ce texte. En situation de jeu, face à l’ordinateur, le geste musicien auquel nous nous attachons consiste en l’initialisation et l’excitation des processus plus ou moins complexes et plus ou moins autonomes, qui sont en action dans la machine. Un geste qui consiste plus précisément à venir périodiquement entretenir, perturber ou atténuer un déroulement sonore pensé pour opérer de proche en proche autour de déséquilibres, ou conçu pour mettre en œuvre certains aspects sensibles de la saturation de la perception. Et ceci, le plus souvent, sans véritable possibilité de retour en arrière. En ce qui a trait à l’acte musicien et à l’actualisation des méthodes de simulation, de représentation et de calcul, à la performance, il n’y a donc pour ainsi dire rien à voir. La relation causale qui peut exister entre le geste musicien et le son perçu est, dans le cas de l’ajustement incessant de processus informatiques, imaginée ou provoquée. Elle peut fonctionner parfois comme un signal qui, s’il est remarqué de l’auditeur, sera attribué à une coïncidence révélatrice de l’instant qui se joue, en lien avec la boucle «perception‑action» qui anime le musicien dans sa relation aux processus en temps réel.

En fait, tout se passe précisément à l’endroit du son. Cela veut dire que tout repose sur le son et sur l’approche que l’on va exercer à l’encontre de celui-ci. D’où, entre autres, la question de savoir comment et dans quel contexte (dispositif de diffusion et lieu de réception) peut se faire la perception de textures sonores qui se dévoilent dans l’instant? Trames sonores qui accrochent, décrochent, et se rencontrent par friction et rugosité, avec un minimum de récurrence et de continuité (voulu explicitement par le compositeur)? Quelles conditions d’écoute mettre en œuvre pour aborder la musique de manière spontanément multiple et ouverte, nomade, dans l’exercice d’une pluralité de points de vue et avec le désir d’être soi‑même un lieu de convergences sonores, voire audiovisuelles? La nécessité d’intégrer dans le jeu des fonctions et leur combinaison, dans l’idée même que l’on peut se faire d’une énonciation musicale, dans l’écriture (logicielle) et la pratique musicale, mais aussi dans les conditions de réception des sons et leur projection dans l’espace, dans l’idée d’une mise en forme impossible. Cela ne veut pas dire favoriser l’apparition de formes improbables, aux enjeux le plus souvent court‑circuités dès le départ de la construction sonore, par l’utilisation de procédés aléatoires, mais plutôt de concevoir la notion de forme essentiellement comme étant en constant devenir. Latence des propositions, approche non chronologique d’un déroulement qui s’applique à rendre présente à la surface saturée du sonore une insoluble virtualité d’éléments fragmentaires (dans le sens où ils ne se présentent pas comme des entités, et ne peuvent apparaître ni clos ni stables), par définition transitoires. Une musique qui, fondamentalement, se cherche et est en train de se faire, dans les conditions initiales de son émergence comme dans les replis de ses développements, sans oublier les prolongements que l’auditeur lui donne.

Il est nécessaire aujourd’hui de privilégier, en présence de sons continus et d’éléments de tension ou de saturation, un état de rémanence, sans plus chercher à s’approprier les sons comme des événements logiquement inscrits dans le contexte qui les accueille (à la manière de l’écologie sonore, par exemple). Ne plus vouloir les repérer ou les individualiser en fonction de la fréquence de leur apparition ou de leur vraisemblance par rapport au lieu physique de leur manifestation. Ne plus privilégier non plus une conformité à l’idée que l’on se fait du déroulement temporel, ou répartir les sons selon les courbes de niveau de ce que l’on peut ressentir comme familier, rassurant ou encore dérangeant. Être d’emblée dans l’épaisseur de la texture sonore, entendue comme réseau de relations, sans préjuger de celles‑ci, être capable de se laisser toucher par les sons, à l’endroit précisément où le temps n’est plus divisible, où il n’est plus question de représentation, mais de proximité ou d’immédiateté, sans chercher forcément à faire sens, ou déployer une logique d’ensemble où, enfin, le corps (re)prend toute sa place dans le processus de perception. C’est aussi dans ce sens-là que les questions d’immersion ont désormais toute leur importance en musique. Doit‑on, du coup, continuer à appréhender les sons en privilégiant uniquement un décryptage formel par anticipation, selon un schéma topographique graduel et normé? Sans doute faut‑il nous ouvrir à d’autres conceptions de la répartition spatiale, à une autre vision de la continuité. Revisiter la manière d’éprouver les distances, diversifier les repères et les échelons, élargir l’appréhension que l’on peut avoir des proportions sonores.

Il nous a été possible d’esquisser une relation croisée entre la perception directe d’un environnement sonore et la conception d’un réseau de fragments sonores et musicaux en interaction parce que nous nous sommes attaché aux formes émergentes et transitoires des pratiques musicales actuelles, notamment par l’intermédiaire de la composition d’algorithmes adaptés à la production de flux sonores et de drones. L’enjeu d’une telle démarche peut, provisoirement, se résumer ainsi: (ré)inventer une écoute active. Et sans vouloir invoquer une quelconque notion de substance sonore, se donner les moyens d’éprouver un «être musical» qui prend, au fil des itérations brisées ou croisées et des interactions incessantes qui le caractérisent, l’aspect d’une énergie singulière en devenir. Ne plus, enfin, chercher à focaliser celle‑ci au seul niveau de l’oreille, mais la rendre au corps dans l’infinie diversité des sensations qui l’animent.

 

Bibliographie

 

Deshays, Daniel. 1999. De l’écriture sonore.

Larmor, Luc. 2010. Simultanéité et coïncidence, une proposition de réflexion liée aux pratiques artistiques transversales. Journée d’informatique musicale 2010.

  • 1
    Ingénieur du son et compositeur français qui a réalisé la conception sonore de nombreuses créations théâtrales.
  • 2
    Lire à ce sujet Larmor (2010).
  • 3
    Il existe aujourd’hui différentes petites applications que l’on peut installer sur son téléphone portable et qui permettent d’interfacer, par l’intermédiaire du microphone du kit mains libres, une musique (spécialement conçue) avec les bruits ambiants traversés lors des déplacements urbains. Des bruits venant soit s’insérer dans le morceau écouté par simple mixage, soit agir en fonction de quelques caractéristiques bien identifiables (durée, volume, répétition, filtrage…) sur le timbre des sons, le rythme de la musique ou le jeu des boucles et des cellules mélodiques.
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