Conférence, 15 avril 2011

Comme dans un film des frères Coen

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Dans le cadre du chantier de recherche 24 images pour la théorie littéraire, Bertrand Gervais a présenté une conférence sur son roman Comme dans un film des frères Coen et des liens tissés entre cinéma et théorie littéraire.

Le chantier de recherche 24 images pour la théorie littéraire: L’interprétation littéraire face à l’image cinématographique se veut un espace de discussion au sujet de la possibilité et de la pertinence d’imaginer une «poétique cinétique» en littérature, c’est-à-dire une conceptualisation des effets à l’œuvre dans la littérature contemporaine à partir des théories de l’image cinématographique (image en mouvement). Dans cette perspective, les participants devront nourrir la réflexion en proposant des lectures d’œuvres littéraires contemporaines à la lumière des différentes conceptions actuelles de l’image et de la situation de la poétique en littérature et en cinéma.

La théorie littéraire a connu un développement fulgurant durant les années 1960 et 1970 en faisant du texte non seulement une entité formelle autonome mais aussi un principe général de lisibilité: tout se lisait comme un texte, même le cinéma et la photographie. Ce textualisme évoque aujourd’hui une époque révolue, car c’est l’image qui conditionne dorénavant la lisibilité. On parle de moins en moins d’écriture, de signature, de récit, petit ou grand, de forme ou de structure narrative, mais de corps, de figuration et de défiguration, de régime de visibilité, d’empreinte, de trace, de carte, d’écran de rêves. La littérature hypermédiatique semble confirmer ce changement de paradigme: c’est moins le texte que l’image qu’il offre de lui-même qui rend sa pratique intéressante. J’exagère le changement pour mieux me faire comprendre, car il n’y a là aucune révolution, mais une tendance que plusieurs ouvrages parus depuis à peu près le début des années 1990 ont explicitée  (en France de Deleuze à Didi-Huberman en passant par Rancière, en Allemagne, je pense à Hans Belting et à Gottfried Boehm et dans le monde anglo-saxon, à WJT Mitchell ou à Martin Jay). Cette liste, bien sommaire, m’apparaît toutefois confirmer la disposition iconographique de la pensée contemporaine.

Si la théorie littéraire a longtemps été à la tête de la pensée théorique avec son concept de texte, il serait peut-être temps aujourd’hui pour elle d’envisager les choses autrement. La théorie littéraire doit rencontrer le destin des images. Le chantier de recherche que je propose de diriger cette année consisterait ni plus ni moins à expérimenter l’importation de concepts appartenant aux théories de l’image dans la théorie littéraire. Je souligne qu’il s’agira bien là d’une expérimentation, car le principe de faillibilité guettera les discussions, les réflexions et les contributions qui émergeront du chantier.

Comme les théories de l’image constituent un domaine très vaste, j’aimerais restreindre le chantier cette année à l’image cinématographique: est-ce que les concepts, les notions, le vocabulaire issus des théories de l’image cinématographique pourraient être importés dans la théorie littéraire? J’aimerais provoquer des expériences qui tenteront de répondre en partie à cette question. Une seule condition m’apparaîtrait d’emblée nécessaire pour déterminer le succès préliminaire de telles expérimentations: il faudrait que l’importation d’une théorie de l’image cinématographique propose un outil d’interprétation original d’un texte littéraire. J’irais peut-être aussi un peu plus loin en me demandant si les romans que l’on appelle de «l’extrême contemporain» ne réserveraient pas leurs meilleurs secrets à qui sait lire une image cinématographique. Il y a bien une recherche en cours dirigée par Marie-Pascale Huglo à l’Université de Montréal qui s’intéresse à cette question, mais je crois que tout est à faire lorsqu’on la pose non pas du point de vue des œuvres elles-mêmes mais de celui de leur théorie.

Bibliographie

Bluestone, George. 2003. Novels into Film. Baltimore, États-Unis: Johns Hopkins University Press, 264p.

Gervais, Bertrand. 2010. Comme dans un film des frères Coen. Montréal: XYZ, 216p.

Gervais, Bertrand. 1999. Oslo. Montréal: XYZ, 174p.

Gervais, Bertrand. 2001. Gazole. Montréal: XYZ, 180p.

Gervais, Bertrand. 2005. Les failles de l’Amérique. Montréal: XYZ/Les 400 coups, 445p.

Pasolini, Pier Paolo (réal.). 1975. Salò o le 120 giornate di Sodoma. Italie, 116 min.

Kubrick, Stanley (réal.). 1962. Lolita. États-Unis, 152 min.

Nabokov, Vladimir. 1977. Lolita. Paris: Gallimard, 480p.

Kosiński, Jerzy. 1970. Being There. New-York: Harcourt Brace Jovanovich, 142p.

Ashby, Hal (réal.). 1979. Being There. États-Unis, 130 min.

Antonioni, Michelangelo (réal.). 1970. Zabriskie Point. Italie/États-Unis, 105 min.

Coen, Ethan et Joel Coen (réal.). 1991. Barton Fink. États-Unis, 116 min.

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