ALN|NT2, ponctuel, 2013

Retour sur les E-Formes. Compte-rendu critique de E-Formes 4 [2011]

Stéphan Hyronde
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Les éditions du colloque E-Formes

La 4e édition du colloque E-Formes s’est tenue les 1, 2 et 3 décembre 2011, à Saint-Étienne, en France, dans la continuité et la qualité de ses précédentes éditions. Occasion est d’abord offerte de faire retour sur celles-ci et de rappeler les axes thématiques principaux des éditions antérieures, ainsi que les publications des Actes correspondants.

Éditions du colloque (cliquez ici pour les programmes détaillés en format PDF):

  • E-Formes 1 (2005): «Écritures visuelles sur support numérique»
  • E-Formes 2 (2008): «Les arts et écritures numériques au risque du jeu»
  • E-Formes 3 (2009): «Parergon en secteur E-Formes»
  • E-Formes 4 (2011): «Les E-Formes face à l’éphémère numérique»

Actes publiés et à paraître:

  • Saemmer, Alexandra et Monique Maza (sous la dir. de) (2008) E-Formes Écritures visuelles sur supports numériques. Saint-Étienne: Publications de l’Université de Saint-Étienne, 220 p.
  • Saemmer, Alexandra et Monique Maza (sous la dir. de) (2011) E-Formes 2 — Au risque du jeu. Saint-Étienne: Publications de l’Université de Saint-Étienne, 288 p.
  • Saemmer, Alexandra et Monique Maza (sous la dir. de) (à paraître fin 2013) E-Formes 4 — Les E-Formes face à l’éphémère numérique. Saint-Étienne: Publications de l’Université de Saint-Étienne.{C}

La première édition de cette série de colloques avait tenté de poser de manière définitoire le concept de l’e-forme. L’intention inaugurale, visant à réunir plusieurs horizons de recherche, résidait dans «l’examen et l’analyse de formes artistiques (plastiques, littéraires et musicales) pour lesquelles il semblerait que le contexte technologique induise nécessairement une dimension scripturale […] des œuvres», tel que le précisait Monique Maza à l’ouverture des Actes de l’édition du premier colloque. D’où, par suite, la trajectoire adoptée, résolument multimédiatique et hypermédiatique, d’en explorer les occurrences artistiques, en abordant, certes encore sporadiquement lors de cette première édition, par exemple leur rapport au jeu.

C’est la seconde édition qui pénétrera bien plus avant dans ce thème spécifique, afin de mesurer les transformations ou influences subies par ces e-formes, côté écriture et côté lecture, lorsqu’elles rencontrent le champ technique, pratique et formel, du jeu (vidéo).

L’optique de la troisième édition, bien que plus ramassée en deux journées d’étude comportant quelques communications et deux tables-rondes, se dote alors d’un grand angle conceptuel, afin d’opérer un recul notable, et se tourne vers ce que l’on peut apprécier comme un passage nécessaire et salutaire dans le discernement d’un tel objet esthétique de recherche: soulever la question des limites, du cadre, du parergon, tout ce qui peut en fait concerner les extensions spatiales entre lesquelles les e-formes ouvrent leur scène d’écriture et de lecture, font évoluer et éventuellement déborder, voire proliférer, leur espace-temps d’actualisation.

E-Formes 4: «Les E-Formes face à l’éphémère numérique»

Devant la dernière et quatrième édition — devant son titre même — il est tout à fait permis d’y repérer le même recul que celui opéré dans l’édition précédente, mais tel qu’il s’est cette fois déplacé, en toute logique et toute rigueur, vers les dimensions essentiellement temporelles.

À travers cette problématique centrale qui, sous l’expression d’éphémère numérique, se ramifie dans le rapport des e-formes au temps, à l’instant comme à la durée, dans les paradoxes même de ce rapport, puis encore dans les régimes et caractéristiques des différentes temporalités rencontrées dans les œuvres — cette dernière édition du colloque E-Formes s’est en effet donné pour tâche d’étudier les cadres temporels, interrogés comme gages de contrainte ou de liberté, de persistance ou de perte, imposés ou consentis à l’émergence puis à la transmission des e-formes, telles qu’elles sont déterminées par le milieu ou par l’appareil numérique, au sens de J.-L. Déotte.

Organisé donc fin 2011 à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, en partenariat avec le CIEREC et l’Université Paris 8, E-Formes 4 n’a nullement failli aux mêmes objectifs des organisatrices de la première heure de ces éditions — Alexandra Saemmer et Monique Maza, en collaboration pour cette édition avec Sophie Lavaud — ni dérogé par suite aux exigences placées dans la sélection des communications elles-mêmes. Ces exigences portaient sur le fait de continuer à scruter et à interroger les différentes dimensions des écritures sur support numérique, sans discrimination a priori de médium, mais selon toutefois une entrée relativement privilégiée, qui traverse toutes les éditions du colloque, en lieu et place des (e-)formes empruntées notamment, mais pas seulement, par la «matière textuelle», pour reprendre l’expression-titre de l’ouvrage de A. Saemmer. Il reste à insister sur le fait que la continuation du même recul confirme en même temps l’articulation plus subtile, dans tout ce colloque comme dans le précédent, entre l’amplitude générique du thème proposé — aussi générique que pourrait se donner pour objectif analogue une «esthétique du flux» chez Grégory Chatonsky — et la tentative d’appréhender justement cette amplitude selon un souci du détail, au niveau plus micrologique des œuvres, des instruments, des phénomènes et des dimensions (e-)formelles considérés.

Dès l’ouverture du colloque, l’introduction de Monique Maza n’a pas manqué d’esquisser et de mettre en tension la relation entre les e-formes et les paradoxes temporels du milieu numérique, de l’archive hyper-fragile et hyper-accumulative qui s’y dépose, mais sous un éclairage souhaité voire postulé par la co-organisatrice de «politique», en ceci que, selon son mot, les technologies de ce milieu «contaminent» effectivement tout notre rapport empirique au temps. C’est de cette contamination dont peuvent témoigner notamment les e-formes, sous une incidence soit résolument artistique, au sein des œuvres analysées, soit parfois à dominante essentiellement fonctionnelle, dans les instruments ou les interfaces étudiées par certaines communications. Le politique est sous cet angle imaginé, anticipé, à défaut d’être réellement effectif, dans la collusion entre les e-formes et la pratique empirique qui en est faite. À charge dès lors, pour les chercheurs ou les théoriciens, de décrypter les modalités et les spécificités de ce témoignage, de l’esthétique qui y projette sa tache, partiellement aveugle, mais intégralement technique.

De l’introduction de M. Maza, de l’intervention presqu’autant générique d’un invité de marque, l’artiste Fred Forest, puis de l’ensemble des communications concentrées sur les trois journées de cette édition, il est ainsi possible non tant d’énumérer le contenu des différentes interventions de manière chronologique, que d’en proposer ici, pour en rendre compte, trois pôles d’intersections qui traceraient a posteriori ce que je pourrais appeler une topologie des temporalités empruntées par les e-formes. Ces pôles sont véritablement, chacun, des points d’intersection, extrapolés à partir de la matière réflexive des différentes communications: tour à tour, celles-ci les ont révélés, plus que touchés, soit en plein cœur, soit de manière tangentielle, en ont parfois traversé plusieurs en même temps, dans leur singulier mouvement de pensées — mouvements auxquels il ne sera malheureusement pas possible, dans ces lignes, de rendre justice de manière parfaitement exhaustive.

Il reste encore à reconnaître que, dans le cadre global de cette 4e édition, les trois pôles que je m’apprête à décrire ci-après pas à pas, se croisent nécessairement eux-mêmes entre eux. Du moins, qu’il soit permis d’en formuler ne serait-ce que la virtuelle constellation théorique — sous réserve, certes, que se rappelle à nous un certain nœud borroméen, serait-il si difficile aujourd’hui à cerner comme tel: celui formé par les trois fils, ou trois faisceaux du technique, de l’empirique, de l’esthétique, sous lesquels se chercherait effectivement, en rêvant que cela ne soit plus antinomique dans les termes, une politique (de l’)éphémère.

L’éphémère (numérique) — pôle technique

Sous ce premier pôle thématique, ont convergé les propos traitant de la dimension technique de l’éphémère numérique. C’est même au niveau de deux versants relativement distincts, dans la topologie esquissée ci-dessus, que les réflexions se sont déployées: deux versants écartelés, pour ainsi dire, entre origine et fin de l’œuvre, entre temporalités génétiques et temporalités patrimoniales.

Le premier versant, c’est-à-dire l’irruption de la question technique dans les coulisses mêmes des œuvres, relève d’une approche génétique et instrumentale: là où précisément les temporalités du pôle technique travaillent les œuvres dans leur processus même d’élaboration. (Il faudrait distinguer encore à cet endroit cette technicité de premier niveau, que l’on peut comprendre comme l’infrastructure des œuvres, et un second niveau de technicité concernant leur syntaxe spécifique, au sens de l’articulation formelle et expressive des matériaux ou dispositifs composant l’œuvre, objet de ce que recouvrait jadis le terme de métier et ouvrant sur des questions de style, d’idiome singulier à l’œuvre.) En même temps, c’est bien sûr dès le premier niveau infrastructurel qu’intervient ce qui relèvera plus loin des temporalités placées sous le pôle proprement esthétique: le fait qu’une œuvre soit elle-même temporelle, en regard du ou des médias auxquels elle puise sa concrétion et donc des formes qu’elle donne à percevoir, à lire: performance, pièce sonore, musique électronique temps réel, œuvre interactive exploratoire, scénographie interactive, vidéo-ludique, etc.

Antoine Vincent et Laurent Pottier se sont pour leur part intéressé à ce que le premier nomme le «flux de production», que celui-ci précède la présentation/exposition de l’œuvre, ou qu’il soit directement intégré dans une «production en temps réel», comme dans les processus «synchrones (traitement) du signal et asynchrone (composition)» dans la musique électronique dite en temps réel, abordés par L. Pottier. L’accélération contemporaine du processus d’obsolescence technologique, que toutes les interventions du colloque gardaient à l’esprit et que Isabelle-Rieusset Lemarié a reliée avec justesse à une dynamique essentiellement métamorphique des œuvres — cette obsolescence acquiert un certain relief par le défi que constitue l’invention d’une écriture, sinon d’un système de notation qui préserverait et permettrait de restituer non seulement la temporalité de l’œuvre (cette problématique, dans le contexte de la musique et de la danse, n’étant nullement nouvelle), mais surtout la temporalité de son processus même de composition, appréhendé lui-même sous cet angle, et contre toute attente, comme «performance». Selon A. Vincent, ce défi suppose un «effort de sémantisation» inédit, soulevant la question de la fidélité/conformité entre ce qui est noté et le travail réel de l’auteur. Dans le sillage de cet effort, il semblerait bien légitime, à cet endroit, de (re)poser l’objet et concept d’avant-œuvre, analogue à l’avant-texte que la critique génétique littéraire constitue et étudie a posteriori, et dont il s’agirait rien moins que d’en conserver a priori, et donc cette fois consciemment, par anticipation, et technologiquement, les développements de la croissance. Sous de telles velléités, surgirait l’idée — restée informulée sous cette forme lors des interventions — selon laquelle les limites temporelles de l’œuvre, et par suite les différences essentielles, entre un dedans et un dehors, entre un avant et un après — entre avant-œuvre et œuvre — n’en finissent pas, elles aussi, de se brouiller.

Dans cette sorte d’écart, tel que posé technologiquement — écart entre l’avant-œuvre devenu performance temporelle, et la temporalité performative de l’œuvre — plusieurs communications du colloque ont fait tourner l’objet sur lui-même, révélant ainsi d’autres de ses aspects. Daniel Bouillot a témoigné, en provenance de son expérience d’artiste (projets Lisière et Annalena), de l’intérêt et de la question de l’instrument compris, chez lui aussi, comme moyen de restitution de temporalités génétiques, mais en avançant l’idée de «narration multimodale», qui s’appuierait sur des technologies récentes comme les tablettes numériques, permettant de penser et selon lui de manipuler l’articulation entre des éléments (prétendument) non-temporels comme la matière textuelle, et ceux temporels comme le son ou la vidéo. Cela revient, sous l’abord quelque peu différent du filtre scrutateur d’Odile Farge, à se placer dans l’interface, ici conceptuelle, entre l’auteur et sa ou ses pratiques instrumentales: certes, ce n’est plus tant, dans cette autre étude, un arc tendu entre narration et support, qu’une flèche ou un curseur habile pointant et atteignant les fonctionnalités spécifiquement logicielles, et surtout le rôle de labilité et de «contrainte» que ces dernières, plus ou moins conscientes, induisent comme tendances esthétiques reconnaissables, en s’inoculant subrepticement jusque dans la main des artistes.

Sous le duo d’intervenants formé par Alexandra Saemmer et Philippe Bootz, on ne s’étonnera pas dès lors que cette interface conceptuelle, entre auteur et programme, puisse être approfondie sous une sorte de microscopie électronique — en fait sémiotique — qui, en pénétrant cette matière, en élargit également la compréhension. Il faut d’abord reconnaître à P. Bootz un legs quasi canonique, rappelé par A. Saemmer elle-même, puisque, depuis son parcours des années 90, le concept et l’expression de transitoire observable, à la théorisation duquel il avait participé et donnant son nom au groupe cofondé avec Tibor Papp et Alexandre Gherban en 2003, avaient d’emblée soulevé la question de l’éphémère numérique, à tout le moins écranique. Plus près de nous, l’intention de P. Bootz procédait de la même rigueur, en proposant la distinction entre deux concepts limites: celui d’objet et celui d’état, le premier formant une sorte de totalisation figée de la pluralité formée par la série, nécessairement temporelle, et soumise à variations, du second. Ce rappel théorique nécessaire a ceci de fructueux qu’il replace ou déplace toute production numérique dans un processus temporel, provisoire, et dont la pérennité, nullement exclue ou impossible, selon P. Bootz et A. Saemmer, s’en trouve simplement transformée: ce qui leur fait dire que «l’éphémère se présente comme état à part entière», et que la préservation de cet état reste possible et envisageable, non plus sous l’angle traditionnel d’une «conservation de la matérialité», mais sous celui «d’une documentation, d’une indexation, et d’une simulation» des états de l’œuvre — ensemble d’opérations qui n’en a pas moins pour effet de diffracter celle-ci et ses limites traditionnelles. En enjambant ici les détails de l’analyse sémiotique chère à P. Bootz, opérée non plus à la surface visible ou lisible de l’œuvre, mais dans les plus intimes complexions du programme tel qu’utilisé et marqué par l’auteure, en l’occurrence A. Saemmer — on retiendra le fait que cette possibilité de pérennisation, par ailleurs, fait contrepoint au phénomène auquel A. Saemmer avait introduit l’auditoire: la sorte de «cyber-enthousiasme» rattrapé et contrarié par les problèmes de dispositifs, leur labilité et leur haute technicité intrinsèques. Et ce n’est nullement un hasard si, en tant qu’auteure elle-même et rigoureuse rhétoricienne numérique, elle aura aussi tenté de dévisager la figure de l’éphémère, en la reliant à une esthétique du «réenchantement» que décriraient, sous une «blancheur éphémère» anti-mélancolique, et affiliant le précaire au diaphane, les traits d’un «art se donnant l’éphémère comme programme et finalité». On peut sur l’horizon de cette idée considérer qu’un tel programme, sans parler de son manifeste, restent encore à venir, et c’est également à se demander si la réalisation de ce programme ne devrait pas inclure en soi, dans son faire, le fait de rester à venir.

Mais cette diffraction de l’œuvre, évoquée il y a un instant — là où se joue techniquement le devenir-spatial de ses temporalités mêmes — est cela-même dont Anaïs Guilet, en portant son analyse sur cet anti-objet ou «objet absent» comme elle le nomme, formé par l’œuvre Tumulte de François Bon, aura essayé de percer l’éclatement, et ainsi, d’en révéler les paradoxes, et renversements inattendus. S’y contractent en effet, pour nous diriger vers le second versant patrimonial de ce premier pôle technique, ce que la jeune chercheuse nomme une «remédiation anachronique», allant du support web au support livre, jusqu’à opérer une sorte de chiasme au cœur même du mal d’archive derridien: si des livres sont numérisés pour leur sauvegarde, des sites, comme celui de Tumulte, sont imprimés pour être aussi sauvegardés. Dans cette remédiation et cette sauvegarde, sont certes quelque peu sacrifiés d’une part la «contrainte» d’écriture dont procédait le site, qui souffre sans rougir d’être comparé à une «performance artistique», d’autre part le work in progress, le flux tendu (de l’écriture et de la publication) entre auteur et lecteur; l’éphémérité et la performativité du site, soudées et opératoires entre elles, se dissolvent dans la forme figée du support papier. Le mot de Valéry — «Ce qui n’est pas fixé n’est rien. Ce qui est fixé est mort» — nécessiterait sous cette approche une nouvelle mise à jour ou déconstruction actuelle.

Cette analyse portant sur Tumulte boucle ici le versant génétique, en rendant autrement pertinents les ressorts de ladite critique génétique officielle, qui utilise le plus souvent le milieu numérique pour servir ses fins, ses statistiques et ses démonstrations, plutôt que d’utiliser toutes ses forces et ses concepts à l’endroit des objets produits par et dans ce milieu. Même débordant le cadre de ce compte-rendu, qu’il soit néanmoins permis d’avancer l’idée que la critique génétique ignorerait, dans son mouvement et ses concepts, qu’elle est à ce point légitime, à quel point elle aurait raison, mais bien au-delà d’elle-même: on peut en effet voir en elle, sans avoir l’espace de le démontrer ici, les rudiments d’une autre esthétique, encore inconsciente d’elle-même, autre en ceci qu’elle permettrait de penser la diffraction de l’œuvre autant spatiale qu’également temporelle, et sans doute plus loin encore, fictionnelle, dans une économie générale de l’avant-œuvre et de l’œuvre — diffraction mutuelle autant du devenir-temporel (des spatialités) de l’œuvre, que du devenir-spatial (des temporalités) de l’œuvre.

Le second versant technique provient de la volonté ouvertement muséale et patrimoniale de diffusion et de conservation, certes nullement nouvelle, mais qui, dans les couloirs institutionnels, tremble de plus en plus sur ses présupposés face au caractère labile, et à leurs effets de diffractions déjà évoquées, des productions numériques: la technique, dont les processus d’inscription furent depuis toujours associés, en tant que supports matériels de mémoire procédant d’une clôture relativement ferme ou rigide, à l’horizon plus ou moins conscient d’une conservation, voire d’une éternisation, cette technique au sens large, donc, semble, avec le milieu numérique, du moins au premier regard, se retourner contre sa propre fin — alors que c’est bien sûr d’une part la finitude de ses formes et supports matériels, d’autre part la célérité des transmissions et enregistrements électromagnétiques, qui se rappellent à elle et en elle, comme un retour du refoulé.

C’est donc, comme y invitait Luc Dall’Armellina au centre de son approche critique de la «patrimonialisation des formes numériques», qu’un changement de paradigme s’impose: les particularités des e-formes ne peuvent plus être saisies sous le seul angle d’une conservation dont le concept demeurerait inchangé. Un tel phénomène porté par les e-formes, sous lesquelles l’analyse du chercheur reconnaît bien la «perte de (relative) stabilité du régime esthétique», initiée dès l’art conceptuel et performatif, est ce qui innerve et secoue toute «politique culturelle», du moins dans le contexte essentiellement français, mais aussi européen, et par suite «toute défense du patrimoine»: éclairante est son analyse, lorsqu’il décrit le «soutien [institutionnel] à la création comme figure inversée de la défense du patrimoine», ce qui semble bien parapher, en amont et en aval de toute mise en œuvre, l’emprise des institutions culturelles et artistiques, telles qu’elles fonctionnent en tout cas dans leur version continentale. Sous ce concept de conservation et cette industrie du patrimoine qu’il ne faut pas hésiter à qualifier de bourgeois, se télescopent désormais, toujours selon le chercheur, un «régime des pères et un régime des pairs», qui se différencient jusqu’à s’opposer et croiser les produits de leur faire, dans ce qui est rien moins que la constitution d’(un rapport à) une tradition autre — s’il faut effectivement conserver, c’est le cas de le dire, un tel concept de tradition, moderne s’il en est et en rapport à celui de nouveau, à une époque, la nôtre, où ce rapport et la tension disruptive qui le justifiait se sont intégralement relâchés. C’est en cela que s’est avéré pertinent, dans cette analyse, le fait d’articuler d’un côté un certain retour ou passage (historique et théorique) par le Musée imaginaire d’un Malraux, avec de l’autre, quant à de nouveaux régimes de constitution d’une tradition, l’intérêt porté vers des exemples de stratégies de conservation d’œuvres numériques, comme le sauvetage de l’œuvre First Screening Computer Poems (1984), de Nichol.

À l’intérieur de cette vue et compréhension d’ensemble — dont tout l’intérêt théorique, et pour le coup politique, réside dans le fait de poser les problèmes globalement, ce qui ne veut pas du tout dire de les poser généralement — il reste possible et intéressant de se focaliser comme l’a fait Danièle Méaux, sur l’étude de supports médiatiques où s’exercent en même temps la diffusion et la conservation, par exemple de la production photographique contemporaine, sur des sites dévolus à cet effet, sorte de galerie virtuelles dont on ne peut négliger aussi la visée fonctionnelle, essentiellement «promotionnelle». Mais c’est dans le rapport au contexte muséal photographique que ces nouvelles formes de diffusion éphémères, bien plus labiles, là encore, acquièrent comme à distance leur sens. Car ce contexte, depuis les années 1960, du côté de l’art photographique, D. Méaux nous rappelle qu’il reposait paradoxalement sur une sorte de sacralisation de cet art de l’éphémère qu’est la photographie, associée à un investissement presque vorace de l’espace muséal. Si le nouveau contexte de diffusion opère pour ainsi dire à rebours de cette patrimonialisation esthétique de la photographie, en la diffusant sur le web à flux tendu, et par là-même en la mettant à portée de main et d’yeux — il peut sans doute, en ce sens, se prévaloir de participer un tant soit peu au changement de paradigme décrit par L. Dall’Armellina.

Ce changement de paradigme, c’est à la fois comme même et autre que l’artiste Fred Forest n’aura pas été le dernier à le revendiquer, tant sur le plan artistique que sur celui philosophique. Si la posture offre son flanc à l’objection d’être nihiliste, à tout le moins désespérée — car l’artiste dit consentir et s’accorder ici avec «l’entropie ancestrale» de la matière, du périssable, cette entropie qui n’est jamais que «plus perceptible qu’avant», qui marque la défaite éternelle de l’être humain «toujours perdant devant le temps» — elle s’est très vite fait fort, justement, d’invoquer Nietzsche et quelque vague pensée orientale. Histoire de mettre à l’index non plus l’éphémère et le temps, mais au contraire la prétention à toute éternité, linéaire ou cyclique, et ce en prenant soin de distinguer, c’est la moindre des choses, l’éternel retour du même d’une répétition sans différences. Ce procès en valeur aura glissé sans effort vers le processus comme propre de l’œuvre et du milieu numériques, auxquels les facteurs de variation, d’évolution, de flux, de mouvement, sont reconnus par tous inhérents. Tout l’éclat équivoque de cette communication ira se suspendre à une thèse qui peut effrayer, comme donner à penser la chose avec soin, peut-être: la possibilité de ce que F. Forest nomme la «chance d’un présent permanent monobloc», en référence directe aux «régimes d’historicité» et au «présentisme» d’un François Hartog. Cependant, il y a encore cinquante ans, le philosophe Adorno osait encore dire les choses par leur nom, dans son essai critique sur Fin de partie de Beckett. Sous le propos de F. Forest, il n’apparaît nullement absurde de reconnaître la situation visée par le philosophe allemand: à savoir cette situation dramatique, osons l’euphémisme, où l’image d’un tel présent permanent monobloc semble faire «disparaître la distinction entre la domination absolue, l’enfer où le temps est totalement prisonnier de l’espace, où tout simplement plus rien ne peut arriver, et l’état messianique où tout serait à sa vraie place»!

Certes, du pôle ou de la sphère technique, le propos se dirige ici irrésistiblement vers le pôle empirique ou historique. Mais avant d’y basculer, signalons certaines analyses qui, comme celles de Jacques Ibanez-Bueno portant sur l’usage de moyens de communication de visiophonie comme Facetime, s’inspirent et revendiquent la «complémentarité des approches historique et anthropologique» pour appréhender le phénomène. Ni critique esthétique à l’endroit d’œuvres données, ni critique philosophique à l’endroit de pratiques empiriques — une telle démarche, affirmée comme «anthropologie visuelle» ou encore «ethnologie [de la sphère] virtuelle», possède une veine essentiellement descriptive. Mais sous le vœu de repenser l’ethnologie en arrimant celle-ci aux sciences de l’information et de la communication, elle offre cependant d’opérer, sans nécessairement en être consciente, un singulier renversement qu’il serait bien dommage de laisser ici sous silence. L’analyse de formes non-artistiques empruntées par certaines ramifications techniques, quelles qu’elles soient, présente l’avantage quasi explosif de montrer que toute technique, ou toute technologie, comporte un moment — au sens hégélien — esthétique: toute technique est déjà, ou présente déjà une face esthétique, sans même être entrée pour ainsi dire dans la sphère esthétique de l’art, autant celui qui est dit sans finalité que ceux qui sont dits appliqués. C’est aussi à ce type d’extrapolation fructueuse que peuvent conduire des analyses focalisées sur l’éphémère numérique, lorsqu’elles sont aimantées par le seul pôle technique.

L’éphémère (numérique) — pôle empirique

Sous le qualificatif d’empirique, il faut entendre ici tout ce qui ne se trouve pas a priori dans la sphère ou dans la zone d’attraction artistique — autrement dit tout ce qui, graduellement, et selon toute combinatoire possible, peut: soit devenir un matériau esthétique par le fait que telle ou telle œuvre s’en saisit et le laisse entrer en elle, au moyen par exemple d’un dispositif d’enregistrement ou de capture; soit ce qui peut entrer dans une mise en rapport avec l’œuvre, constitutifs pour la forme de celle-ci, à travers des processus de lecture, d’interactions faisant appel à des interfaces plus ou moins complexes, selon encore des modes différenciés d’exposition, d’immersion, etc.; soit, enfin, demeurer parfaitement à l’écart de cette sphère, et relever d’un phénomène spécifiquement naturel, social, technique, collectif ou individuel, mais dont la complexion supporte voire appelle une description faisant appel à des fonctionnalités du milieu numérique.

Ceci étant précisé, il reste à désigner la strate essentielle traversant tout à la fois ces différents degrés et la problématique générale de cette édition E-Formes 4. Car l’empirie, naturelle et sociale, vibre bien évidemment elle-même, tout autant que la technique, des convulsions du temps, d’une multitude de temporalités, et l’on ne saurait bien sûr, si ce n’est en force, dissocier quelque «éphémère numérique» d’un éphémère empirique, avec lequel il doit entretenir très certainement des liens d’émergence, d’influence, voire d’ingérence, réciproques et complexes. C’est donc sous l’incidence de ces temporalités empiriques, reliées directement ou non au milieu numérique, que s’inscrivent les communications évoquées dans cette partie. Dans ce qui suit, est adoptée une progression inverse à celle de Espèces d’espaces de George Perec: de l’environnement le plus vaste, en passant par un contexte notamment architectural, il s’agira de rejoindre l’intériorité la plus intime, là où s’entrelacent mémoire humaine et mémoire prothétique de la machine.

Dans cet esprit, Maurice Benayoun nous aura replacé face à des aspects empiriques dont il aura eu soin, sous leur apparence de généralités, d’en dévoiler immédiatement la portée substantielle. En effet, dire de l’éphémère qu’il est «ce qui ne survit que par la trace», que s’y joue la «construction d’un sens», se demander encore «à quelle(s) fin(s) saisir ainsi l’instant» et comment en «pérenniser le flux» incessant, en projetant ces interrogations d’une part vers la conception d’une «dynamique et d’une poétique de flux sémiques, flux de signes plutôt que de matière ou d’atomes», d’autre part vers une «composition diachronique s’établissant entre flux et stock», qui nous fait passer d’un rapport de «possession», à celui d’une «transaction» — de tels axes réflexifs, sommairement déroulés ici, suggèrent plus secrètement peut-être, sous la pensée de cet artiste-chercheur reconnu, une correspondance entre d’un côté la tension reliant surface et trace temporelle, et de l’autre une échancrure opérée à même la matière du monde. Pourquoi et comment s’autoriser ici une telle suggestion? C’est en exemplifiant son propos par la référence à ses propres œuvres que sont World Skin (1997) et Le tunnel sous l’Atlantique (1997), qui l’une et l’autre réalisent soit un décollement, soit un percement, dans et à la surface (des apparences) du monde, que M. Benayoun approcherait, même plus ou moins consciemment, le déplacement des catégories de surface (d’inscription), de trace, de flux, à l’intérieur même de l’empirie — dans un rapport matière-matière. Nul hasard, dès lors, à ce que ses références rencontrent leur sorte d’hybris dans l’œuvre qu’il cite de Bioy Casares L’invention de Morel, roman qui, dans une confusion qui confine à la perte quasi métaphysique de tout référentiel, de toute distance, met en contact l’empirie et l’enregistrement de ses apparences, au cœur même de l’expérience vivante et éphémère de cette empirie. C’est l’entrée intégrale dans l’image de l’écran ou la dissolution tout autant intégrale de l’écran, qui fait que l’empirie et son image ne semblent faire plus qu’une — ce qui n’est sans doute pas le même phénomène que celui de l’immersion.

Que cette empirie dès lors, cette fois en chute de la sphère céleste ou cosmique, puisse venir innerver techniquement et temporellement la production dynamique d’un poème numérique, c’est ce que j’ai moi-même directement pointé dans l’œuvre de Julie Morel Générateur blanc (2007): les valeurs plastiques (du blanc au noir) du fond de l’écran et de l’inscription textuelle, y sont soumises aux positions et ensoleillements respectifs du lieu de résidence artistique de l’auteur et de celui du lecteur, qui actualise l’œuvre au moment de sa lecture. En ceci, le dédoublement spatial et temporel, empirique et éphémère, de l’écriture et de la lecture, devient une composante constitutive de l’œuvre, et c’est ce qui m’autorisait de proposer deux concepts ou dispositifs spécifiques. Car sous l’œuvre de J. Morel, il est question d’une part non plus d’une réalité augmentée, déjà largement reconnue dans le champ théorique comme excroissance du milieu numérique, mais d’un «texte augmenté» — augmenté, en sa constitution propre interne, par des variations empiriques quantitatives traduites qualitativement, ou plastiquement; question, d’autre part, de ce qui peut se nommer une «écriture intensive»: ce qui, dans ses potentialités figurales, au sens lyotardien, porte une expressivité directement naturelle ou physique, débordant ou trouant le cadre discursif de la textualité par le fait d’accueillir des fluctuations matérielles et/ou lumineuses du monde, faisant ainsi du signal et de sa transcription un signe possiblement expressif.

Mais dans le rapport matière-matière évoqué ci-dessus, c’est un autre phénomène plus terre-à-terre, pour ainsi dire, auquel Clémence Lonjon nous aura sensibilisé, en nous faisant part de son projet d’étude méticuleuse portant sur la réalité et la transcription d’un projet-processus urbain, architectural et sociétal, de veine utopique, qui s’est déroulé ces dernières décennies dans la ville de Saint-Étienne (Tour Plein Ciel, édifiée en 1970 par l’architecte Raymond Richard); une transcription que la jeune chercheuse souhaite, dans la poursuite de sa recherche, rendre éloquente au moyen d’un dispositif ou d’une œuvre interactive. Le contexte empirique considéré relève donc ici d’une matérialité ou concrétion historique, dont le caractère processuel est saisi à son niveau proprement infrastructurel. Ce niveau fait bien sûr écho à une compréhension palimpsestueuse du territoire urbain et architectural, telle qu’a pu la théoriser notamment André Corboz — palimpseste environnemental jouant comme «porte-empreinte» sur lequel s’inscrivent, comme le rappelle C. Lonjon, les projections, les imaginaires, mémoires et pensées collectives, sociales, utopiques, qui se sont étendus dans la durée. Or cette compréhension rencontrerait dans le milieu numérique, sous le projet de la chercheuse, un autre et même lieu plastique privilégié, offrant d’en revisiter les fragments hypomnésiques, de retracer le déploiement dynamique et mémoriel de l’événement socio-architectural, sous l’angle d’un enregistrement et d’une restitution quasi-cinématographiques.

Plus brièvement, une autre communication — celle de Sylvie Tissot — aura porté non sur la traversée métamorphique d’une époque, serait-elle circonscrite à la durée de vie d’un quartier, mais cette fois sur la traversée empirique et relativement ponctuelle, faite en train, d’un paysage plus étendu, impliquant le projet d’un audio-guide géolocalisé qui associe «expérience du voyage et expérience de la lecture». La voie ferrée, par cette association, se transforme elle-même en ligne de temps [timeline], au sens temporel et fonctionnel des instruments (sonores ou visuels) de montage —, mais en plaçant directement sur celle-ci l’auditeur-spectateur véritablement comme une tête de lecture, lisant l’empirie qui défile devant elle, devant soi. Là encore, considérons qu’il ne s’agit pas tant ou pas seulement d’une réalité augmentée, que d’une augmentation mutuelle de la réalité et de l’œuvre, en même temps.

À ce défilement temporel et spatial, Renée Bourassa y a pour sa part, et comme à distance, apporté un singulier contrepoint, en s’attardant sur le phénomène des Flash mob ou Freez mob [foule figée], «courts instants d’immobilisation du flux urbain» qui relèvent selon la chercheuse d’un «dispositif mixte»: interviennent en effet à leur aplomb une «expérience réelle», que je qualifie ici d’empirique, et une «expérience virtuelle», en ceci que, pour être générée, l’organisation de cette (double) expérience doit puiser dans l’ubiquité/instantanéité du réseau informatique. Ces événements ressortent ainsi, pour R. Bourassa, d’une suspension, d’un «geste collectif programmé», suspension qui joue alors comme «incise dans l’influx de la ville». Certes, pour asseoir son analyse de ces sortes de happenings photogrammatiques, déroulés in situ — en tant que photogrammes de la dynamique empirique et sociale — la chercheuse aura convoqué, de loin en loin, la théorie des sphères du philosophe allemand Sloterdijk, et aura introduit par cette entrée à une «esthétique du disparaître et du fragmentaire». Mais la chose se voit toutefois justifiée: le phénomène considéré, entre contexte empirique et performance esthétique, apparaît bien comme un affleurement éphémère, en un arrêt extrêmement provisoire et dérisoire, du cours du monde.

Il y a sous ces suspensions temporelles l’impression d’un bug à la fois global et local — que la chercheuse n’a pas manqué de mentionner. Mais c’est Philippe Boisnard qui, dans sa communication, conduira ce thème à son comble. Son credo, comme à l’accoutumée chez cet artiste-théoricien, possède un centre de gravité navigant entre bug de la machine, «altération et crasse de l’écriture», et une presqu’apologie de la «rature» et du «bruit», au sens électronique et informatique du terme, en tout cas des flux d’interférences, si l’on veut, dont l’accidentalité reste paradoxalement le fruit de la programmation qu’en outre il maîtrise très bien, et dont il en a fait une nouvelle fois la preuve lors de la soirée Performances de cette édition E-Formes. Son centre de gravité tire toute sa pertinence, quant à la problématique du colloque, du fait que des temporalités viennent, dans cet attracteur, comme se contaminer, et bien interférer entre elles, se contrarier, se détruire et s’inséminer à la fois. Mais, si l’on comprend sans réserve le renvoi aux œuvre de Art of failure, à celles encore de Lucile Calmel, puis à ses propres productions sous le patronyme hp process (en duo avec Hortense Gautier), on est en droit d’exprimer de sérieux doutes sur l’exploitation faite dans son introduction par P. Boisnard de la pensée d’Adorno, grappillée dans sa Théorie esthétique au sujet de l’éphémère: il n’est pas du tout sûr en effet que ce concept, à cet endroit précis, ne se scinde pas là encore en deux versants, déjà indiqués plus haut — celui d’un éphémère intégralement évidé et réifié par la répétition machinique, serait-ce à coups (in)attendus d’interférences, d’aucuns diraient d’incidents chatonskiens, et celui d’un éphémère tout autre, à la fois rempli et éclairé par toutes les époques et les significations qui s’y réfractent. Adorno, le dernier à avoir négligé la technique dans la complexion des arts et des œuvres, ne l’entendrait sûrement pas de la même oreille.

Le niveau empirique des temporalités numériques s’est par contre affiné plus distinctement dans le propos de Sophie Lavaud. Celle-ci, depuis ses recherches plus anciennes, manifeste un intérêt original — car en provenance d’une analyse de la peinture de Kandinsky, dont elle retient les processus dynamiques, la fluidité, et par suite le passage au champ scénographique — un intérêt, donc, pour le «caractère éphémère de la performance», mais en relation au «potentiel théâtral de l’environnement informatique», visant en ce dernier le «rapport entre corps et univers interactif». Le temps est donc ici appréhendé non seulement dans une configuration scénographique et performative, mais surtout de telle sorte que S. Lavaud envisage des positions particulières et privilégiées du public, ou du spectateur, permettant de «rendre conscient le phénomène de la perception». Or cette conscientisation de la perception relève bien d’un approfondissement du contact qui loge au cœur de l’expérience et de la (non-)distance esthétiques, à tout le moins à l’aplomb de la position empirique du spectateur-lecteur.

Cet axe de recherche — scénographique, corporel, et perceptif — va se voir ramifié et fermement complexifié sous le regard de Lucile Haute, qui, dans son travail artistique et théorique repousse toute limite identitaire du lieu, du corps, du regard et du geste: en aura témoigné l’analyse de sa propre performance numérique, réalisée en collaboration avec Claire Sistach, une performance intitulée Disorder Screen Control qui s’est en fait greffée sur le projet préexistant de Samuel Bianchini Discontrol Party. Il n’est pas possible de rendre ici justice à la richesse des problématiques que l’auteure-chercheuse extrapole d’une telle greffe. Il faudrait scrupuleusement décrire celle-ci, autant que l’hôte initial de S. Bianchini, cette fête performative, ou performance festive, dans laquelle se donne à voir de manière spéculaire son propre appareil intégral d’autosurveillance. Mais, dans la diffraction complexe entre sujet, corps et avatar, qui se révèle sous-jacente à un tel greffon, qui s’y insère et la contamine, on peut entrevoir un reploiement de tout le dispositif de surveillance, dont est comme prolongé à l’infini la réciprocité, dans une série d’augmentations là aussi mutuelles: entre réalité et virtualité, entre sphère empirique et sphère esthétique, entre immersions du sujet et irruptions de l’avatar. On retiendra un point somme toute déterminant: l’impossibilité — mais dont il faudrait là encore suivre les intimes linéaments — de coïncider, dans un tel dispositif empirique et technique, avec quelque point de vue ou vision synoptique que ce soit.

Cette impossibilité, qui est sans doute devenue, avec notre espace-temps relativiste, un lieu commun, acquiert une autre profondeur dès lors que, avec le chercheur Arnaud Regnauld, on tente d’écarter les bords de cette relativité au niveau de l’expérience individuelle, pour en voir se déverser autant les prétentions et que les compulsions, hypermnésiques, contemporaines. Le sujet, à la fois ubiquitaire, hyperlocalisé et anti-synoptique de L. Haute, ouvre ici tous ses seuils ou ses limites comme s’il s’agissait des faces d’une boite de Pandore, au fond de laquelle — dans ce qu’on peut qualifier d’exégèse des trois œuvres de Mark Amerika (GRAMMATRON, PHO:E:EME, et FILMTEXT 2.0) — A. Regnauld ne recueille aucuns maux, mais plonge, au contraire, pour tenter de rejoindre l’abyme «post-humaniste» d’un cyborg encore impensé, et dont l’hypertrophie de l’(auto-)archivation, constitutive de ce que l’on hésite à nommer encore, sans mise à jour, une subjectivité, «confine à l’infini et au sublime» d’une «anti-mémoire» — aussi profonde que la surface du présent. Le flux des sensations empiriques — en s’archivant ainsi: se «mixant» et se «remixant» sans quelque délai qui prendrait ou plutôt se donnerait le temps de la pensée même — ce flux outrepasse et disloque la possibilité même d’une quelconque «intelligibilité» et donne à réinterpréter dans ce cadre, plus gravement sans doute, la «logique de la sensation» deleuzienne.

Aussi, le fil progressif de cette partie, dévolue au pôle empirique de l’éphémère numérique, n’aboutirait pas par hasard au sein de la réalité la plus intime, de perception et de mémoire, à la fois psychique et prothétique, et dont le plan d’immanence, au lieu d’opérer comme figure seulement descriptive et conceptuelle, ferait glisser, dans toutes les dimensions de l’espace et des actes, la lame aiguisée de sa minceur — de son inframinceur. Cela ne signifierait pas que, sous les puissances techniques et les ramifications empiriques de cet éphémère, tout soit devenu irréversiblement et destructivement superficiel, même si on peut aussi suspecter tout notre temps de cela.

Plus porteuse, peut-être, serait la question de savoir si, non le flux lui-même mais sa tension présente, l’éphémère lui-même compris comme «ouverture des temps» qui s’y rencontrent, selon l,’expression de Géraldine Roux — si, donc cette tension aussi bien hyper-superficielle qu’hyper-accumulative, ne pourrait faire céder, craquer, et se déchirer la surface d’un tel plan d’immanence, la surface du présent. Une déchirure qui parvienne,même par une moindre fissure, comme moindre pliure, à vibrer, à résonner, jusqu’à s’échancrer et s’épaissir autrement mais de l’intérieur, creusant son espacement d’une toute nouvelle relation — technique, empirique mais aussi esthétique et en cela inédite — entre passé, présent, et avenir. Ce qui est sûr, c’est qu’une embrasure digne de ce nom ne pourrait pas ne pas traverser autant les dimensions macroscopiques que celles microscopiques de toute l’empirie: autant la pluralité que la singularité absolues.

Mais c’est à l’antipode d’une esthétique du flux, chronophage à l’égard du temps lui-même et de sa substance, que se tiendrait le foyer aussi infinitésimal que dense d’une esthétique de l’instant, qui ne renierait nullement les points, lignes, plans, sphères, toutes les fluctuations d’espace et de temps qui le tissent — un instant qui dit peut-être à la fois plus et moins que l’éphémère, plus proche en cela de l’événement.

L’éphémère (numérique) — pôle esthétique

Il va de soi que les pôles considérés précédemment, celui technique et celui empirique, sont étroitement entremêlés aux dimensions artistiques des œuvres ou aux dimensions formelles des dispositifs: au troisième pôle, donc, spécifiquement esthétique, traité maintenant dans cette troisième et dernière partie. Encore resterait-il à mieux saisir en quoi, à ce stade, ce dernier pôle exerce son incidence d’un point de vue temporel: comment les e-formes tendent à former, à in-former, à dé-former, à per-former les strates de cet éphémère, dont le qualificatif de numérique aura tenté de recouvrir tant son origine et ses problématiques essentiellement techniques, que les modalités d’un potentiel expressif, dont le concept traditionnel de forme se voulait implicitement, dès l’origine, le garant.

En admettant que toute œuvre importante, si elle existe, ne laisse rien indemne dans son sillage, la démarche reviendrait ici non pas à rechercher laquelle des œuvres épouserait au plus près cette notion d’éphémère — sans pour autant, selon la prescription formulée jadis par Mallarmé, lui faire perdre sa virginité —, mais plutôt à repérer des éléments ou procédés, cette fois esthétiques, poétiques, disséminés pour l’heure, et dont on se laisserait aller à imaginer que, à chacune de leur extrémité, ils se touchent, en décrivant le foyer d’une tache et d’une tâche — autant aveuglante qu’imminente.

La forme qu’aura approchée A. Guilet, dans le Tumulte de François Bon — cela a été indiqué plus haut — elle l’avait qualifiée dans le titre de sa communication d’«objet absent», quelque chose qu’il est difficile, en un grand écart nullement audacieux, de ne pas mettre en correspondance avec l’Objet invisible d’un Giacometti. Le problème abordé dans son analyse, c’est précisément que la forme, ou plus précisément l’extension, la ou les mesures, mensurations de la forme, se mettent à poser problème: un problème qui de quantitativement technique ne se révèle pas autre chose que qualitativement esthétique. Et ici-même ne se jouerait pas seulement la question d’une «remédiation», pourtant bien décryptée par la chercheuse, et dont Tumulte aura été le lieu: c’est-à-dire le non-lieu, ou alors lieu constellatoire d’une pluralité d’occurrences. Ou du moins cette remédiation, ce passage d’un support à l’autre — du site au livre — ne serait-il plutôt le signe d’un autre passage, devant lequel autant les deux supports que le passage de l’un à l’autre se trouveraient techniquement et esthétiquement placés. La tension ne se jouerait pas tant, selon la belle formule d’A. Guilet, entre le «livre archive du web» et le «site brouillon du livre», qu’entre ces derniers et un web-livre ou brouillon-archive d’un autre et nouveau genre, quelque chose qui parviendrait à prolonger et à accueillir comme telles les apories temporelles de chaque rive médiatique, même si la chercheuse ne les a pas nommées ainsi. Sous cet angle, il y aurait là un pivot et un saut à concevoir, depuis leur écart médiatique insoluble, vers l’hypothèse — au-delà de feu l’objet (absent et invisible) — d’un champ, «indéconstructible» aurait dit Derrida, qui étendrait bien plus loin, tout en l’intégrant, la notion d’état présentée par A. Saemmer et P. Bootz: champ (du temps) présent et (de l’espace) visible de l’éphémère-même.

Certes, sous cette dernière et légère digression, résiderait l’effronterie d’une trop grande abstraction ou d’un trop obscur ésotérisme. Il n’est pourtant pas question d’autre chose que de support et de forme, sous le même pôle esthétique. Par quelque bout qu’on les prenne, sous la majorité des communications de cette édition E-Formes, ce qui aura guetté constamment, globalement ou localement, quand bien cela prendrait des noms différents, c’est bien plutôt la démesure technique et empirique, contractée esthétiquement et intégralement en chaque e-forme, dans les œuvres ou les dispositifs analysés. De plus, dans l’étude de R. Bourassa, on ne peut ignorer que l’image d’une société potentiellement totalement à l’arrêt, dans le phénomène des Flash Mob, donne à distance un semblant de réponse esthétique à la suggestion d’un éphémère politique évoqué par l’introduction de M. Maza: toute pause et pose, temporelle et sociale, qui voudrait (politiquement et globalement) tout arrêter et faire le point — comme cela se dit précisément dans une optique photographique, et que le milieu numérique pourrait poser pour le coup à tout nouveaux frais — un tel arrêt de et dans l’image soulève un coin du voile et laisse entrevoir la teneur d’un «grand soir» au réveil si insupportable, si intenable, qu’il ne semblerait vivable, en fait invivable, que dans les extrêmes: d’un côté la paralysie écarquillée et totale, de l’autre l’accélération exponentielle et implacable. En fait, esthétique de la pétrification et esthétique du flux convergeraient ici en creux à leur insu, dans le même corps, aussi fossile que fissible, de tout l’art ressenti par certains — il en suffirait d’ailleurs d’un — comme étant désormais en état de mort cérébrale. Comme si ladite «querelle de l’art contemporain» avait été le sismogramme d’ultimes soubresauts, laissant à d’autres le soin de finir par le brancher, et de prendre ça pour sa résurrection.

Ce caractère éminemment fissible, ce serait la faculté de diviser à l’infini une absence de substance: en fait l’absence (d’une expérience intime) de la moindre substance. Et d’une certaine manière, c’est encore ce dont rendent compte éperdument ces formes, ces e-formes, comme celles explorées par Lucile Haute. Car, comme cela a aussi été évoqué plus haut, sous le redoublement parasitaire, sans péjoration, d’une performance sur une autre, ou plutôt dans l’autre — celle de Disorder Screen Control dans celle de Discontrol Party — c’est bien un certain order [of] screen qui se voit inséré et dévoilé dans cette fin de Party. Sa fin, ce n’est même pas le pat tant espéré, c’est une logique de dédoublement, de démultiplication, de division en soi de la (re)présentation, empirique et technique, d’une hypnose hyper-généralisée et hyper-visualisée — embrassant autant la scénographie réelle ou sociale que celle dite virtuelle ou mentale, qui ne sont jamais l’une et l’autre, à tour de rôle, que prothétiquement augmentées et modélisées. C’est voir là, au travers de la répercussion écranique de tels dispositifs, aussi suspensifs que spéculaires, l’avènement achevé et éternisé de l’éphémère pris dans l’étau  de l’image-cristal, dérobée ici sciemment, et peut-être contre lui, à Deleuze: une image maintenant dénuée d’image — comme une substance dénuée de substance — dans laquelle se refléterait désormais la même mise en scène et à mort de l’art, maintenu en vie artificiellement par l’appareil de l’art dit numérique. Cela pourrait se formuler encore autrement, en comprenant que les miroirs mortellement brisés, à la fin de The Lady from Shanghaï d’Orson Welles, n’ont d’autre envers que ceux clôturant All about Eve, de Mankiewicz, où se mire à l’infini le corps vide et usurpé de l’idée de beauté, rendue à son néant, alors qu’habillée de strass et tenant un trophée de pacotille en guise de sceptre. C’est là encore une sorte de grand écart critique, mais vers lequel gagneraient de s’étirer, même au risque de se rompre, des dispositifs comme celui de Disorder Screen Control.

Mais peut-être faut-il pénétrer bien plus avant ces surfaces réfléchissantes, ou transparentes, pour s’apercevoir que ce sont de tels reflets qui se voyaient depuis longtemps arrachés dans World Skin, sous l’analyse de son auteur Maurice Benayoun, et au-delà: disparition de la surface fugace non seulement du monde, de toute matière, mais aussi de toute apparence, s’effaçant et se recomposant, se déposant et se décollant sans cesse, à une vitesse nullement infinie, dans la profondeur de l’empirie comme dans celle de la rétine. Certes le paysage de guerre et de désolation de cette œuvre déjà ancienne, là où ses apparences se trouvaient ici et là défaites comme les squames d’une image en perte de moindre cohésion, a envahi, «sous l’épaisse nudité de la vérité» — le «manteau diaphane de la fantaisie». Son écho, lancé il y a longtemps par l’écrivain naturaliste Eça de Queiros, ne s’entend presque plus, tant il est devenu entre-temps satanique.

A. Saemmer, sous cette nouvelle irruption du concept de diaphane, l’avait bien rappelé à elle, et rapproché légitimement de la «précarité de l’inscription», en présentant son œuvre Tramway sous l’angle du collage et surtout de la «décohérence entre des strates» d’écriture. C’est une opération similaire, mais accomplie dans sa performance Böhmische Dörfer lors de la soirée Performances du colloque, qu’auront effectué des mouvements délicats de voile — de mémoire, de parole décousue, ressassée et silencieuse, de mouvements de surface et de profondeur — voile auquel A. Saemmer a prêté autant le souffle de sa main qu’une certaine hébétude patiente, peut-être, devant l’impossibilité d’en percer l’épaisseur, temporelle, qui nous sépare de l’événement recueilli en image. Car sur et sous le voile de l’écran, dans sa performance, c’est la «marche de la mort de Brno» qui transparaissait en réalité. Et à travers elle encore, la double question abyssale d’une justice et d’un pardon: interrogation qui, dans ce fragment historique, se serait comme matérialisée, puisque posée en regard de ce qui, du fait de l’horreur commise, fut infligé à des Allemands immédiatement après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

De transparence, il en était sans nul doute et encore artistiquement question dans l’œuvre khôra [ver.0.0] que j’ai réalisée et dont j’ai eu l’occasion de montrer une capture-vidéo au cours de la même soirée: une transparence dont on n’arriverait que difficilement à savoir sur quoi elle transparaît, autrement dit une forme où le fond et l’inscription se confondent ou s’échangent, sans doute en raison de la déchirure du voile qui s’y prononce. De plus, il n’est pas absurde d’imaginer que l’abstraction, la stridence et le cri sonores perçus à travers cette déchirure dans (la) khôra, témoignaient d’un toucher entre l’époque présente, et celle de cette marche de la mort dans l’œuvre de A. Saemmer. L’éphémère, en ce sens très spécifique, ne logerait-il aussi et peut-être surtout dans le contact fulgurant, mais inextinguible entre temps éloignés, entre des époques mêmes les plus distantes? La substance du temps, dans l’instant que j’évoquais plus haut, ne serait-elle aussi ce toucher, ce contact incommensurable entre un point, historiquement déterminé, et toutes les époques?

L’exploration esthétique et progressive que je suggère, dans les lignes qui précèdent, en partant d’un espace social et scénographique réel mais structurellement relié aux nouvelles innervations de l’appareil numérique, jusqu’à rejoindre ensuite des formes de réflexions, de transparences, de stratifications complexes que cet appareil permet dans ses modélisations pour ainsi dire internes, rudimentairement tridimensionnelles — cette focalisation finit de s’effiler en atteignant les travaux respectifs de Arnaud Regnauld et de Yves Abrioux, sur lesquels suspendre, ou plutôt voir peut-être poindre un nouvel horizon esthétique.

Les axes que d’abord A. Regnauld tire de ses analyses des œuvres de M. Amerika, paraissent tracer, telles des lignes d’une figure géométrique encore inconnue, un espace-temps hypermnésique reconnu dans sa démesure, sa fragmentation, informatiques et contemporaines — sans qu’il soit encore question à mon souvenir de big data, à la formulation médiatique plus récente. Cela, grosso modo, a été dit plus haut sous le pôle empirique. Mais le versant esthétique de ses réflexions, comme je viens de l’effleurer il y a un instant sous le voile d’une métaphore — en parlant du frayage, dirais-je maintenant plus précisément, des lignes d’une figure encore inconnue — ce versant formaliste, donc, s’arrachant en quelque sorte des œuvres spécifiques qu’il étudie, gagnerait, peut-être, non pas à se projeter trop loin vers les pôles théoriques du cyborg ou du post-humain qui sont apparemment et peut-être obsessionnellement chers au chercheur, mais plutôt à s’appliquer contre, je veux dire tout contre, quelque figure, une figure qui en outre ferait signe vers la «question aigüe du référent» qu’il a su exhumer. Une figure donc — telle celle, précisément, du cône et de la pointe d’actualisation bergsoniens — sur le fil de laquelle passe naturellement et temporellement sa propre pensée à l’œuvre. Mais peut-être, justement, par laquelle elle ne fait que passer théoriquement — au lieu de tenter de s’y arrêter formellement. Pour le dire autrement, l’axiologie que je crois plus latente, beaucoup plus en puissance, dans les couches esthétiques abordées par son intervention intitulée «Au temps de l’inhumain», résiderait dans la mise à nu performative des images schématiques qui lui permettent justement, tant bien que mal, de décrire quelque chose non seulement du temps mais surtout du rapport entre ce temps et la mémoire. Celle-ci, même reconnue hypermnésique, démesurée, mais comme on dirait au sens actif et matériel étirée, par l’excroissance (in)humaine de la technique, serait à comprendre à la fois comme in-scription et comme dé-scription de soi. L’inhumain, ou le post-humain, sous cette puissance inscriptive et descriptive, ne pourrait-il dès lors être encore (im)pensé comme le plus pré-humain de l’humain: au sens d’un rapport temporel inédit, il faudrait même dire temporellement mais en ce sens impossible à flécher — comme si cette flèche tournoyait, folle, son étoile ayant perdu son propre nord. Ce rapport entre pré-humain et humain ne serait autre que celui entre humain et post-humain, seulement renversé, ou se renversant continuellement. Rapport analogue à celui mis à jour par Ponge entre La fabrique du pré et Le pré, ou mieux: par Godard entre ses films Scénario du film Passion et Passion. Rapport encore, entre protocole de l’œuvre et avenir de l’œuvre. L’humain, à la fois destitué et en même temps recueilli, spectre à la fois pré-hume et post-hume de sa propre idée, serait en cela comme le «texte [qui] n’existe pas», dans l’esthétique d’une critique génétique renversée et appliquée à un texte restant toujours à faire, à écrire, telle que pressentie plus haut, très-haut. Un rien — tendu, projeté, entre avant-texte (ou œuvre, ou humain) et texte (ou œuvre, ou humain) à jamais à venir. Un rien — sans dimension, jusqu’à preuve du contraire, et dont seul l’instant serait en (dé)mesure de concentrer et irradier l’éclat.

Cette intime résonnance de la spectralité, sous-jacente, crois-je, à tout le travail de A. Regnauld, resterait à bien plus patiemment démontrer, il est vrai. Que l’on permette de tirer toutefois un peu plus fort encore sur les brins qu’il tisse, et laisse dépasser dans ses réflexions, en demeurant tout près, encore une fois tout contre, de la figure, mais en rejoignant pour finir le réseau d’analyses cette fois de Y. Abrioux: puisque ce dernier s’est attaché à l’étude bel et bien formelle, serait-elle fragmentaire, du Story Space de Michael Joyce. Précisons d’emblée, si cela n’était pas clair, que par figure, dès avant ou maintenant, j’entends une figure bien plus génériquement spatiale et temporelle, géométrique et hyperdimensionnelle — qu’une figure rhétorique ou poétique. Du moins dans un premier temps, auquel se suspend et s’en tient tout ce compte-rendu. C’est certes la figure justement poétique de l’éphémère, qui s’est présentée à la réflexion de Y. Abrioux comme point d’entrée de son analyse. Ceci étant rappelé, tout l’intérêt qui me retient et s’apprête à rejoindre ma conclusion, reste de savoir en quoi tout cela entre — mais sous l’incidence de la figure reprise donc non en son sens poétique, mais en celui proprement (info)graphique. On pourrait même dire: (info)grammatique, comme il y eut jadis quelque (photo)gramme, dans le continuum cinématographique. Ce qui est sûr, c’est que le -gramme élémentaire du continuum infographique n’est sûrement pas le pixel, comme s’est essayé à le démontrer G. Chatonsky, succombant en quelque sorte au démon de l’analogie, dont sa «Répétition des limites» aura été victime en se penchant sur l’écran. Ce qui prend le nom d’écran, et qu’il faudrait essayer de nommer et forcener en fait comme subjectile, avec toutes les précautions et protocoles de rigueur, n’est nullement réductible à l’écran de visualisation — qu’il soit projectif, émissif, ou immersif.

Toujours est-il que l’étude de Y. Abrioux revient justement selon moi à approcher, en passant par l’instrument logiciel Storyspace, le continuum infographique et ce qui, en lui, relèverait d’un niveau générique ou élémentaire, qualifié il y a un instant d’info-grammatique. Ce qui doit frapper, c’est d’abord le fait que, pour interroger la «construction d’une poétique de l’éphémère» — donc quelque chose de temporel — le chercheur aura essentiellement interrogé les linéaments de la dimension spatiale, même si, entre des stases ou des moments de celle-ci, une dynamique est effectivement reconnue à l’œuvre, qui renoue l’espace au temps: comme si ces derniers se médiatisaient mutuellement. Le chercheur l’aura dit explicitement, en parlant d’une «conception de la spatialité du temps», sans manquer de l’associer à une «conception de la durée». Il reste que l’espace-temps hypertextuel et l’hyperfictionnel de M. Joyce se déploie bien, pour Y. Abrioux, selon une «visualisation» et mieux: selon une «dynamique de cette visualisation». Seront relevés, par suite, d’une part: l’impossibilité de nature cartographique ou diagrammatique, qui interdit dans ce contexte (info)graphique d’obtenir quelque visualisation globalisante ou synoptique que ce soit, la pénétration et l’exploration restant irrémédiablement locales, ou relativistes. D’autre part, et corrélativement: le phénomène d’une «accumulation inexorable» et du «remplacement continuel dans l’écran de cette accumulation dépourvue de structure globalisante», de «totalité». Ce fait esthétique est un fait plastique: le remplacement à la surface de l’écran dénote, quant à une telle écriture écranique, «une fluidité, une fragilité spatiale, une simultanéité temporelle» — spécificités qu’on ne peut manquer de rapporter à ce que Raphaël Lellouche, dans sa Théorie de l’écran, avait lumineusement nommé le caractère «amnésique» de ce dernier. J’indique, sans pouvoir ici justifier plus longuement ce point, que Y. Abrioux rapporte de plus, incidemment, ce fonctionnement écranique à celui de «la parole émise», voire, plus judicieusement, au fonctionnement silencieux de l’esprit: sans l’avoir désigné comme tel, il semble bien que cela puisse renvoyer au Wunderblock [bloc magique] freudien, puis derridien, dont le poète numérique et chercheur John Cayley a bien montré la correspondance que l’écran numérique entretien avec celui-ci.

En ramifiant son analyse, il parvient finalement à décrire, sous une «primauté de l’émergence» de l’espace-temps écranique, quelque phénomène ou poétique du «contour» et de la «profondeur», dont en un sens il mesurerait la démesure coextensive: notamment au travers de la «capacité de parvenir à un autre contour à partir d’un point donné [je souligne]», ou encore (si ce n’est la même, autrement abordée) de la «capacité à remplacer un texte par un autre». Ce point (donné ou nommé), et qu’il faut concevoir encore une fois comme étant à l’origine et à la fin sans dimension, serait cet info-gramme élémentaire qui ne m’intéresse pas moi seulement, mais devrait intéresser sans doute toute e-forme et tout le continuum esthétique qui peut s’y (d)écrire — et en attendant s’y chercher, comme le texte, comme l’humain. On retiendra au moins que, en filigrane, sous cette (autre) description, ce n’est plus tant une hypertextualité qui occupe et domine la scène d’écriture (et de lecture) info-graphique — ceci expliquant peut-être et en partie pourquoi cette hypertextualité n’a pas tenu les promesses qu’un enthousiasme pionnier lui conférait à ses origines — mais c’est une hyperdimensionnalité graphique.

Et cela — ce même rien évoqué plus haut — peut-être, change tout. Tout — c’est-à-dire non seulement la compréhension de cet espace ou cette scène d’écriture et de lecture, ce que Y. Abrioux a distingué comme relevant d’une «instabilité entre figure et fond» qui «interdit un avenir», un état où le «contour est perçu comme occurrence d’un texte qui disjoncte et brise toute continuité fictionnelle», mais aussi et surtout l’appréhension, en même temps, du Temps lui-même. Car en second lieu, sous cette instabilité, c’est un «remplacement perpétuel du présent» qui non seulement guette, mais sans doute se met à régner, et conduit à l’idée que ne s’y produit pas tant «la manifestation expressive d’une sensation» que la «création littérale d’un nouveau percept ou affect de la lecture»: une «caresse», un toucher à l’émotion incalculable. Et il n’est bien sûr pas possible, dans le cadre finissant de ce compte-rendu, de creuser plus avant cette infra-minceur, et le toucher qui lui y est lié, d’une lecture tout autre, telle que — à ma connaissance ou relative compréhension — Y. Abrioux en esquisse spéculativement l’horizon de possibilité. Mais la portée de cette idée me semble aussi fragile qu’incommensurable. Elle pourrait laisser entendre, à moins que mon écoute y perde ici intégralement sa raison, qu’une certaine lecture et finalement une certaine écriture, sous cette in-scription et cette dé-scription de et par l’e-forme hyperdimensionnelle, puisse devenir celles, directes, du temps-même, de l’instant-même. Comme si jusqu’ici, au travers de tout ce qui a été abordé et étudié, ce temps, comme l’avenir, comme toute génération à venir (on ne peut sans peine ici imaginer, dans le contexte info-graphique, la portée de ce terme, autant que de ces termes de portée, de terme, de peine…), comme si donc ce temps avait été à chaque fois et un tant soit peu déjà manqué, toujours perdu, chaque fois abandonné, à jamais livré à lui-même — comme il l’est d’ailleurs à mon sens de part en part dans une esthétique du flux, qui semble vouloir s’y consacrer — comme si en fin, à la fin, se promettait quelque part, d’une certaine manière, en osant même dire ici d’un certain art, d’un art nécessairement tout autre, la possibilité de toucher à ce point l’instant, à ce point le temps. Tout le temps à la fin comme à l’origine de toute chose.

Prochaines E-Formes: passage à l’action?

Le thème récurrent et sur lequel les lignes qui précèdent ont choisi de ne pas tant insister, à savoir celui de la pérennité matérielle et technique des e-formes, ne serait pas le plus déterminant. On peut certes continuer illusoirement de s’inquiéter de cette impossibilité d’une parfaite pérennité, numérique ou non, une impossibilité que nombre de chercheurs ont su signaler et à laquelle même globalement consentir dans ces E-Formes. Du reste, cette illusion d’une pérennisation totale (dans le temps), se révèle bien le pendant de celle d’une immersion totale (dans l’espace), que G. Chatonsky a su légitimement et récemment critiquer, malgré son propre point de vue. Sans pouvoir m’arrêter ici sur ce dernier point, et comme on l’aura ressenti dans toutes ces lignes, il me semble qu’une certaine critique de la souveraineté et de l’hégémonie de ce point de vue, dans tout le paysage théorique actuel, resterait elle aussi à faire, à moins qu’un autre point, je ne dirais pas de vue, et bien plus figural que discursif, n’en rende un jour la nécessité caduque. Double illusion, pour y revenir donc — écartelée entre pérennisation et immersion — et pour cela même enivrante, où temps et espace se rebouclent sur soi intégralement, sans retard ni distance.

En fait, semblable inquiétude, devant la finitude de toute forme, comme de toute e-forme, pourrait bien s’avérer l’affleurement d’une angoisse bien plus terrible. Elle serait le symptôme qu’il ne fait plus aucun doute, désormais, que tout ça — et cela peut être une position devenue historiquement légitime et en cela nullement réactionnaire, ni scandaleuse, que de ne plus pouvoir ni vouloir trier dans tout çatout ça, donc, bien après que la main d’un Beckett ait (d)écrit sans détour comment c’est, tout ça ne fait plus qu’aller, continuer d’aller indéfiniment sur son erre, en roue libre, comme dans ces cartoons où le personnage continue de courir au-dessus du précipice et du vide, juste avant l’instant de la prise de conscience, qui ouvre inéluctablement sur la chute. C’est l’instant, encore lui, où l’éphémère se coince et grimace, où le rire fuse, mais du fait horrifiant de ne plus pouvoir rire, comme l’avait bien décelé Adorno dans toute l’œuvre du même Beckett. Il faudrait concevoir, sinon entrevoir l’éphémère comme étant aussi cet instant d’un tel renversement. En lui, l’ultime aporie de L’innommable, pour l’évoquer une dernière fois, ne serait plus de réaliser et de se persuader, si légitimement à l’époque, qu’il faut continuer, que l’on ne peut pas continuer, que l’on va continuer quand même, quoi qu’il arrive. C’était encore le bon temps. Non. L’aporie s’est renversée. Elle est devenue celle — et pourtant, pour tant, intenable, impensable, impossible — que désormais il ne faut plus continuer, que l’on peut tout à fait continuer indéfiniment comme ça, en faisant comme si le précipice n’existait pas, que l’on pourrait continuer ainsi sans fin, mais qu’après tout, après tout ça, on ne va pas pour autant continuer. La question (technique, empirique, esthétique) posée aujourd’hui par l’éphémère, ce n’est pas seulement celle de sa fragilité, de sa fugacité, toute la fuite inexorable du Temps qui s’y implique, s’y complique, s’y explique. Non, encore une fois. La question posée par l’éphémère, par la responsabilité qui s’y joue, serait celle de donner forme, et sans nul doute une e-forme, à un tel arrêt aporétique et phénoménal, à l’impossible blocage, crispation, craquellement, cristallisation, puis inflation du Temps, de l’Instant — à l’impossible, tout simplement.

Mais le refoulement réflexe d’un tel instant — dans l’esprit et le corps de ce même personnage de cartoon — ne cesse de puiser son énergie, c’est inhérent, aux angoisses de la société elle-même: angoisse, en première et dernière instance, de se voir suspendue toute entière au-dessus de son propre abîme, un abîme rempli, jusqu’à ses pieds d’argile, des édifices de sa propre et colossale prétention à l’existence, à sa conservation, comme l’a suggéré, de proche en proche, et plutôt entre les lignes, Fred Forest. Angoisse que s’ouvre donc, en un instant, l’abîme de sa propre chute. Si les civilisations ont été reconnues après-coup mortelles, c’est une tout autre histoire que de les achever délibérément: à quoi l’on voit que dire n’est nullement encore faire. La crampe et l’hésitation actuelles, qui perdurent, se reflètent ainsi dans l’angoisse de la reine du conte de Blanche-Neige, qui se leurre et tente de soutirer en force la vérité de la beauté à son miroir, voire à toute la réalité qu’elle est prête à détruire et ravager jusqu’à la dernière parcelle de vie — et on ne peut oublier totalement qu’une telle souveraine(té) finit, finira par s’y autodétruire. Elle cherche désespérément, bien sûr, sa propre pérennité, et nullement (celle de) la beauté, sans voir ni comprendre, dans ce pathétique vis-à-vis narcissique, ce qui en fait constitue la substance évoquée plus haut: celle du charme qu’elle convoite, et dont elle subit pour cela même l’emprise. La vérité de sa beauté — car sous cet angle la reine n’en est pas moins vraie ni moins belle — c’est qu’il faut bien qu’en un sens elle meure, pour que Blanche-Neige se réveille, renaisse. Ce serait là une façon de décrire le point où nous en sommes, autant humainement qu’artistiquement.

La question du post-humanisme ou du post-humain, qui a commencé de se poser depuis quelque temps déjà, est principiellement, dès son origine, celle du post-artistique ou du post-art. Et inversement. Il serait à mon sens fallacieux, voire honteux, de particulariser, de fragmenter, de diviser, ici encore, une telle question. Elle ne saurait nullement se réfugier en celles, sans doute utiles, d’un post-modernisme, d’un post-cinéma, de je ne sais encore quel post-post-post…isme. La question du post-humain et du post-art, si elle se posait intégralement, c’est-à-dire sans réserve ni plus de résistance aucunes, au sens psychanalytique, devrait ressembler à cet instant précis du film Matrix, où Néo touche le miroir du bout du doigt et se fait contaminer, puis absorber, par et dans l’image. Mais quoi… Image de soi? — Ce qui vient après, dont on ne peut sousestimer que, de ce temps qui vient, cela peut s’ouvrir et venir à chaque instant jusqu’à nous, comme l’avait crypté sans doute Benjamin dans ses thèses Sur le concept d’histoire, ce qui vient ne peut ouvrir désormais, déjà, rétroactivement, que sur une seule et même mise en jeu précisément substantielle: celle de la société et de l’art tout entiers. Tant l’humain et l’art, sauf erreur, ont à ce point partie liée. Mais cette mise en question peut aussi bien — le flussgeist de notre temps en serait la marque indicielle — continuer de se mirer ainsi dans son mirage, de s’écouler et de s’éterniser durant des siècles, le temps que cette humanité aspire et épuise toute la substance, cette fois la plus concrète, la plus matérielle, de son propre berceau, et dont elle se complait à faire le tombeau, que dis-je, la fosse commune de toute chose.

On pourra toujours objecter à ce compte-rendu, bien étendu, bien entendu, de trop extrapoler les problématiques proposées, bien posées devant nous au cours de cette édition du colloque E-Formes 4. À moins que — c’est là le sens de toutes ces lignes — cette confrontation des e-formes à l’éphémère numérique n’ait pas échoué ici en vain, on l’espère, sur une confrontation entre l’éphémère et lui-même, se déployant discursivement en ces trois temps que sont le technique, l’empirique, et l’esthétique. Et dans cette confrontation, inutile d’insister sur le fait que les e-formes gardent, sinon acquièrent depuis leur émergence la plus haute légitimité et peut-être dignité, quand bien même le choc répercuté par le Temps, en sortant de ses gonds, les laisserait hagardes et sans voix. Mais on craindra encore moins, à y être, d’extrapoler plus loin encore la chose, en se posant une ultime question, cette fois à l’égard des trois derniers temps des Éditions E-Formes elles-mêmes, de leur plan-séquence institutionnel, dirait-on au cinématographe — en fait de leurs deux derniers temps: le troisième étant précisément l’ultime extrapolation en chute d’un (im)possible à venir.

Leurs deux derniers temps, comme cela a été indiqué dès l’introduction de ce compte-rendu, auront traité d’espace d’abord, sous le terme générique du «parergon», de temps ensuite, sous celui de l’«éphémère». Ne serait-on dès lors en droit d’espérer, en toute logique, en toute rigueur, qu’un troisième temps, troisième lieu, vienne à s’incliner devant l’espace et le temps de l’action, d’un premier et dernier acte e-formel? Peut-être d’une e-forme active, au sens chimique du terme, relevant d’un «[e-]formalisme absolu», qui, selon Fredric Jameson, «en l’absence d’un contenu fiable» pourrait seul «faire l’affaire». [Et je souligne, car fiable, n’est-ce aussi ce en quoi pouvoir avoir, dans la plus grande impuissance, quelque foi, dont la référence, en deçà et se différenciant de toute religion, restait pour Derrida irréductible, ineffaçable?] Peut-être qu’en cela, embrassant cette foi(s) et résolument le thème du jeu que ces Éditions avaient tôt reconnu et étudié, sous cette question temporelle et finalement historique des e-formes, il pourrait se jouer, en effet, mais en leur séquence même, leur propre passage à l’acte.

En attendant que cela se (dé)termine éventuellement dans telle ou telle direction, sous telle ou telle (E-)Forme, tant qu’à faire, tant que faire ce peu, autant garder à l’esprit que dans un cadre de création et de réflexion non transformé, la voie de l’éphémère (technique, empirique, esthétique), poursuivant ainsi de se réfléchir et de s’abimer sans fin, resterait encore et toujours enchaînée à l’errance de cece regard cru d jeté é perdu — dont un fragment de René Char avait comme échancré l’envers exact de l’effroi:

Des yeux purs dans les bois / Cherchent en pleurant la tête habitable.

— Au lieu et en place de ce, le passage à l’acte serait l’instant, aussi éternel qu’éphémère, où ils la trouvent: et ce serait de réaliser seulement que, jusqu’ici aveugles, ils l’ont depuis toujours habitée.

Montréal, 2013.

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