Journée d'étude, 22 septembre 2017

Intertextes, transfictions et convergences en Young Adult Literature

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La journée d’étude Transfictions et convergences en Young Adult Literature, Marie Demers, Fanie Demeule et Maryse Sullivan, a eu lieu le 22 septembre 2017 à l’Université du Québec à Montréal.

Aux États-Unis, la littérature pour adolescents est désignée sous l’appellation «Young Adult Literature» (YAL). Le livre jeune adulte états-unien traite des réalités propres à l’adolescence, par le biais de protagonistes de cet âge et au sein d’une forme accessible. Sociologues, historiens et psychologues ont cependant réalisé de nombreuses études sur l’apparition d’une phase «jeune adulte» parmi les stades de développement humain. Si la notion demeure glissante, car les trajectoires individuelles menant à l’âge adulte sont de plus en plus hétérogènes, il n’en demeure pas moins que les chercheurs différencient formellement l’âge jeune adulte de l’adolescence. Mais pourquoi alors, aux États-Unis, rassemble-t-on la fiction pour et à propos d’adolescents sous la bannière jeune adulte? Pourquoi ne pas privilégier les termes «adolescent literature» ou «teenage novels» à celui de YAL?

Plusieurs hypothèses pourraient expliquer le choix de cette dénomination. Le terme «young adult», bien que visant un lectorat plus jeune que ce qu’il laisse entendre, garantirait aux éditeurs une forme de protection devant d’éventuelles plaintes de la part de parents ou d’enseignants. Confondre ainsi l’adolescence et l’âge jeune adulte serait une façon de vieillir, symboliquement, l’«âge ingrat», et de s’engager du côté du crossover, cette pratique éditoriale permettant la double publication d’un livre: à la fois en format adulte et en format jeunesse. Le texte du livre crossover demeure identique; seul son aspect physique change, selon qu’il est destiné aux adultes ou aux adolescents. À ce sujet, une enquête états-unienne réalisée par Bowker en 2012 déterminait qu’une large part des lecteurs de YAL avait dix-huit ans et plus (Halverson). Interpellant des lecteurs aussi bien adolescents qu’adultes, la YAL ferait donc figure de crossover dans le champ actuel de la réception. Cette opération de double catégorisation représente aussi un avantage lucratif: en élargissant le bassin de lecteurs, les opportunités de vente sont décuplées. Plusieurs œuvres de YAL connaissent un tel succès qu’elles sont ensuite traduites et exportées pour devenir des best-sellers mondiaux (les séries Harry Potter, Hunger Games et Divergent, les ouvrages de John Green, ceux de Robert Cormier et de Rainbow Rowell, par exemple).

En France, sous la désignation de littérature jeune adulte, on renvoie maintenant, dans le marché du livre, aux mêmes ouvrages pour adolescents que ceux qui connaissent un succès aux États-Unis (Beyron). La collection Pocket jeune adulte, chez Pocket jeunesse, rassemble autant des écrits YA (Gayle Forman, Nick Hornby), que le célèbre roman L’attrape-cœurs de J.D. Salinger ou les ouvrages fantastiques d’Anne Rice. La catégorie jeune adulte représente, chez les éditeurs français, une catégorie fourre-tout, incluant à la fois de la littérature pour adolescents, de la YAL et des titres crossover. Peu s’en faut pour qu’au Québec, d’ici quelques années, la littérature pour adolescents soit supplantée par la YAL, à moins que les termes ne deviennent, à l’instar de chez nos voisins américains, de simples synonymes.

Mais quelles sont alors les spécificités du corpus young adult? En quoi son apparition sur la scène littéraire modifie-t-elle le portrait de la littérature jeunesse? Et quelles transformations formelles et thématiques induisent l’avènement de la YAL?

Ce contexte étant posé, nous désirons examiner, lors de cette journée d’étude, les stratégies et techniques utilisées, en Young Adult Literature, qui rendent ce corpus si accessible aux différents lectorats.

Comme pour son homologue la littérature pour la jeunesse, la YA literature convoque fréquemment les genres de l’imaginaire tel que la fantasy et la science-fiction. Autre trait saillant: ces œuvres se déclinent souvent en séries, cycles, ou collections, procurant ainsi au lectorat une expérience de lecture prolongée, tant sur le plan temporel qu’immersif. En effet, la sérialité produirait selon Pierre Lévy un effet participatif, engageant le récepteur dans une posture active favorisant son implication au sein du récit. Ajoutons également le fait que ces œuvres connaissent des adaptations sur de nombreux supports médiatiques. Ceci procure un étalement virtuel des récits correspondant à la dynamique contemporaine de la culture de la convergence (H. Jenkins). Conjointement, ces déploiements temporels et spatiaux créeraient des univers expansifs et exploratoires, territoires infinis à travers lesquels les lecteurs sont appelés non seulement à pénétrer, mais à prolonger les créations (P. Bruno).

En effet, de plus en plus d’auteurs de YAL, et d’écrivains amateurs, choisissent littéralement créer à partir des créations d’autrui. Ils reprennent la plume là où l’a laissée un autre auteur pour proposer des suites ou versions alternatives à leurs récits. Ces écrivains prolongent les intrigues et mondes fictionnels concernés soit en ajoutant une nouvelle aventure à des récits considérés clos (suite), soit en allongeant ou terminant les intrigues de récits considérés inachevés (continuation) (G. Genette). Plusieurs auteurs rédigent également des récits qui cherchent à se situer en amont de l’œuvre et de l’intrigue centrale (prequel) ou qui présentent une autre version de l’histoire originale connue (expansions, récits parallèles, versions transfictionnelles). Des œuvres destinées aux youngs adults comme Dorothy Must Die, Alice in Zombieland et même le film spin-off/sequel grandement anticipé du cycle de Harry Potter, Fantastic Beasts, se classent parmi ces textes transfictionnels qui reprennent et prolongent des diégèses établies dans d’autres fictions. Ces œuvres recyclent des personnages et éléments d’une ou de plusieurs diégèses précises afin d’ajouter d’autres exploits à la liste d’aventures des héros et d’élargir les mondes fictionnels, créant ainsi un dialogue entre les textes, les diégèses et les divers médias impliqués.

À travers ce corpus d’œuvres, certaines devenant de véritables franchises, nous assistons assurément à un recoupement de phénomènes transmédiatiques, tels que la massification de l’intertextualité (le renvoi à des textes et à des œuvres culturelles), l’hypertextualité (la réécriture de textes) et de la transfictionnalité (la reprise de données diégétiques). Ce colloque se propose de réfléchir aux enjeux contemporains de la culture young adult à l’intersection des questions de transfiction et de convergence, ainsi qu’aux résonnances entre le fond (thématiques, sujets, idéologies) et la forme (support, transmédia, esthétique) des objets contemporains.

Communications de l’événement

Antonio Dominguez Leiva

«What’s in a name?»: Petite archéologie intertextuelle de Panem

«C’est une banalité de dire qu’un livre renvoie à tous les autres, que chaque livre porte en lui la mémoire et l’écho de tous ceux qui l’ont précédés, sous toutes les formes de la citation, de la réminiscence, de l’emprunt, de l’allusion, écrivait en 1999 Henri Mitterand dans un texte fondamental, mais trop peu cité dans le gigantesque capharnaüm des débats sur l’intertextualité, à moins que ce ne soit plutôt un colossal gloubi-boulga, ce mets imaginaire préféré à toute autre chose par le dinosaure Casimir, totem et emblème de L’île aux enfants que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître.»

Marie Demers

L’adulte émergent et la new adult literature: invention ou réalité?

«De profondes mutations politiques et culturelles ont transformé le paysage social de la fin du XXe siècle.

L’autonomisation des jeunes, l’avènement de plus en plus précoce de l’adolescence et la disparition ou le déplacement temporel des marqueurs de l’entrée dans l’âge adulte ont engagé les sociologues et les psychologues à identifier un nouveau groupe d’âge: les jeunes adultes.»

Pascale Laplante-Dubé

Sérialité et (ré)écriture de soi. Le rôle de l’autoréférentialité et de la répétition dans la quête identitaire inachevée de FitzChivalry («Le Cycle de l’Assassin royal»)

Sometimes the best way to understand something is to write it down.

— The Farseer (Robin Hobb, Fool’s Assassin)

Ainsi que l’explique Anne Besson la forme cyclique désigne un ensemble de textes étant «reliés par le retour de personnages apparentés ou appartenant au même monde». Marqué par un rapport au temps ouvert et répétitif, le cycle est conséquemment tant continuité que reprise d’une narration, remettant en question les limites du texte et de la finalité.

André-Philippe Lapointe

«Scott Pilgrim vs the Universe». Culture de l’imaginaire, réécriture de la mémoire et construction d’une communauté

Dans cette communication, André-Philippe Lapointe analyse la série Scott Pilgrim de Bryan Lee O’Malley.

«Nous verrons comment se construit une communauté riche et diversifiée grâce aux cultures de l’imaginaire, communautés qu’on découvre à travers la mémoire déficiente, et donc peu fiable, de Scott.

Ces problèmes de mémoire sont aussi présents chez l’ensemble des protagonistes de l’auteur et sont symptomatiques du passage à l’âge adulte.»

Sylvie Vartian

Entre contrôle et protection: souffrance, sacrifice et effacement de l’humain dans «Le Passeur» de Lois Lowry

Dans cette communication, Sylvie Vartian prend appui sur les textes de Michel Foucault sur la surveillance et la punition et de René Girard sur le sacrifice.

«Nous verrons que le maintien de l’ordre et du pouvoir implique une logique de surveillance, de répression et d’effacement de l’humain, basé sur la souffrance et le sacrifice de l’individu au profit de la communauté.»

Marion Caudebec

Le slash, entre désir et politique: les fanfictions de la série «Sherlock»

«Sherlock Holmes est une fiction continue depuis 1887. On ne compte plus les adaptations et les oeuvres qu’il a influencées et la série anglaise Sherlock (2010) est une de ces adaptations. Cette série s’inspire librement du détective londonien en le plaçant dans notre monde contemporain et usant des nouvelles technologies pour résoudre ses enquêtes.

En actualisant l’univers fictionnel, la série a su susciter un fort engouement auprès d’un public de jeunes adultes. C’est encore aujourd’hui une des plus grandes sources de fanfictions sur les sites de référence que sont Fanfiction.net et Archive of Our Own.»

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