Colloque, 21 et 22 avril 2016

Rhétoriques de la tolérance dans les littératures et le cinéma francophones

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Le colloque «Rhétoriques de la tolérance dans les littératures et le cinéma francophones», organisé par Isaac Bazié, Komi Edinam Akpemado et Christian Uwe, a eu lieu les 21 et 22 avril 2016 à l’Université du Québec à Montréal.

«Tolérance zéro» – «Seuil de tolérance» – «Manque de tolérance». Déclinée de différentes manières, la notion de tolérance est convoquée de nos jours dans des contextes très variés, et avec une facilité qui cultive l’illusion d’un consensus large sur ce qu’elle signifie. Ces références à une notion qui structurent les agissements individuels et collectifs, le politique et le culturel, connotent dans une certaine mesure une compréhension de la tolérance comme phénomène mesurable, sur une échelle allant de zéro au point de l’absolue acceptation de l’autre.

Les rhétoriques de la tolérance se sont multipliées ces dernières décennies, en raison du choc en retour qui accompagne les discours apologétiques sur la traversée des frontières, la mondialisation et les questions complexes relatives au vivre-ensemble; par ailleurs, elles se sont également formulées de manière récurrente et insistante dans l’a posteriori des violences collectives et la gestion des fractures au sein des collectivités (Conférences nationales, Commissions Vérité et Réconciliation, etc.). D’un point de vue historique, la réflexion sur la tolérance apparaît cependant comme un vieux phénomène (John Locke, Lettre sur la tolérance, 1689; Charles de Montesquieu, De l’esprit des lois, 1748 ; Gotthold E. Lessing, Die Juden. Ein Lustspiel in einem Aufzuge, 1749 ; Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, 1762; Norbert Waszek, La tolérance chez Lessing: ses rapports au déisme anglais et aux Lumières écossaises, 2012).

La diversité des réflexions d’une part, et d’autre part les multiples formes d’expression et de récupération critique relatives à cette notion de tolérance sont à l’origine du présent colloque. Interrogeant particulièrement les champs de la littérature et du cinéma francophones – dans l’acception pleine du mot, à savoir «de langue française» – la réflexion sur la rhétorique de la tolérance pourra couvrir ses rapports avec la poétique. En effet, si, comme le suggère Ricœur, la poétique a pour visée «la conversion de l’imaginaire» (Ricœur, Lectures 2), elle implique une rhétorique susceptible d’agir non seulement sur des pratiques et valeurs individuelles, mais également sur les représentations et les axiologies collectives. Dans cette perspective, il y a lieu d’analyser le discours et la posture du sujet «tolérant» et de faire éventuellement la critique de la tolérance en tant que valeur supposant, dans certains cas et de façon implicite, une inégalité des rapports.  Nous souhaitons ainsi des contributions qui mettent en évidence la problématique de la tolérance sous diverses formes dans les littératures et le cinéma de langue française.

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Communications de l’événement

Josias Semujanga

Les enjeux littéraires de la tolérance en Afrique

«On tente de renouer avec l’esprit des Lumières afin de mettre les dogmes religieux et identitaires à leur place. Le seul culte dans ce cas – religieux ou identitaire – est de penser la place de l’autre dans le dialogue.

Vous avez reconnu ici ma dette à Emmanuel Levinas: penser l’humanité de l’autre homme.»

Après une licence ès lettres (Université du Burundi, 1986), une maîtrise (1989) et un doctorat (1992) à l’Université Laval, des recherches postdoctorales (Laval et Paris IV-Sorbonne: 1992-1994), Josias Semujanga a enseigné à l’Université nationale du Rwanda et à l’Université de Western Ontario. Depuis 1999, il est professeur à l’Université de Montréal où il enseigne les littératures francophones d’Afrique et des Antilles. Ses champs de recherche sont la théorie des genres littéraires, le roman, le discours social, la réception critique et l’écriture du génocide.

Alice Delphine Tang

L’énonciation des formes de tolérances dans «La vie devant soi» de Romain Gary

«Dans un texte littéraire, la tolérance peut se lire au niveau des relations entre les personnages de la société du texte ou au niveau de l’énonciation qui, dans une certaine mesure, m’implique pas seulement les personnages de l’oeuvre, mais aussi l’acte d’écriture et celui de la lecture.

La tolérance de l’écrivain et même du lecteur mérite aussi d’être prise en considération, d’autant plus qu’il est difficile d’ignorer totalement les dimensions argumentatives et didactiques rattachées généralement à un texte, comme le roman.»

Alice Delphine Tang a publié plusierus ouvrages tels que Dom Juan en langue bassa: une traduction de la pièce de Molière (2014) et L’oeuvre romanesque de Léonora Miano: fiction, mémoire et enjeux littéraires (dir.) (2014).

Christian Uwe

La comédie du pouvoir: rhétoriques de la tolérance dans le théâtre contemporain

«Arrêtons-nous un moment sur le titre de cette communication. Vous allez vite comprendre que ce dont je vais parler n’est pas du tout comique.

C’est un choix téméraire de prendre ce terme, comédie, dans un sens ancien ancien utilisé par Dante et Balzac.

Bien souvent, l’histoire humaine ressemble fort à un théâtre.»

Christian Uwe est professeur en lettres modernes à la Faculté de philosophie de l’Université catholique de Lyon. Il se spécialise en analyse sémiotique des textes, des images et des discours publics et médiatiques, ainsi qu’en littérature française des Antilles et en littérature francophone d’Afrique.

Elodie Carine Tang

Écriture migrante et rhétorique de la tolérance

«Mener une réflexion intellectuelle sur la notion de tolérance dans un débat sur la création artistique induit nécessairement le critique que je suis à la double tentation d’inscrire cette problématique dans le cadre du contexte actuel des sociétés contemporaines, rappelant ainsi les conflits d’ordre idéologique qui ont transfiguré la scène internationale et politique ces dernières années et depuis quelques mois.

Toutefois, demeurer dans cette perspective serait ancrer la réflexion uniquement dans le sociologique et le politique. On occulterait alors la dimension immanente du texte littéraire à travers cet ancrage qui privilégie, d’une certaine manière, le caractère extrinsèque de la littérature.»

Élodie Carine Tang a complété un doctorat en études littéraires en 2013 à l’Université Laval. Sa thèse s’intitule: «Le malaise identitaire dans les romans de Ken Bugul, Léonora Miano et Abla Farhoud». Elle a, par la suite, publié un ouvrage, Le roman féminin francophone de la migration: émergence et identité, en 2015.

Isabelle Galichon

Le film de banlieue comme exercice de tolérance: une poïétique pour une commune pensée

«Dans un texte publié en 2008, Le racisme comme distorsion de la perception, Axel Honneth s’intéresse aux comportements violents et xénophobes qui naissent de l’intolérance.

Il analyse qui, ce dont manque les acteurs de violence, “ce n’est pas tant de la vertu de tolérance, mais de cette attitude élémentaire de respect que nous devons pareillement à tous les êtres humains” (A. Honneth).»

Isabelle Galichon est docteure en Littératures française, francophones et comparée (2013) et titulaire d’une maîtrise en Langue et civilisations espagnoles. Elle travaille sur la notion de récit de soi en résistance à partir des derniers travaux de Michel Foucault sur les pratiques de soi. Elle explore cette notion à partir d’un corpus de textes francophones sur la période du nazisme, et hispanophones dans le contexte des luttes basques pendant la période du franquisme. Elle collabore à un projet de recherche européen (Université d’Oxford Brooks) intitulé «Banlieue Network», à partir de récits de soi collectifs et de textes de rap. Elle participe à la revue Témoigner.

Mahamadou Lamine Ouédraogo

Tension et a-tension: rhétorique de la tolérance dans «La villa rouge» de Boubakar Diallo

«D’un point de vue sémiotique, les individus et les communautés définissent leur identité et établissent leur existence sur la base de ce qui les individualise.

Dans ce sens, les différences apparaissent comme une nécessité pour la construction de l’être et l’Autre devient une condition d’existence du Soi.»

Lamine Mahamadou Ouédraogo est enseignant et chercheur à l’Université de Koudougou (Burkina Faso) au département de Lettres modernes.

Adama Togola

Sur les traces des nomades: Violences et vengeance dans «Kouty, mémoire de sang» d’Aida Mady Diallo

La communication d’Adama Togola se propose d’analyser le rapport entre tolérance et violence dans Kouty, mémoire de sang d’Aide Mady Diallo.

«Il s’agira essentiellement, en confrontant les valeurs, de mettre l’accent sur le programme narratif mis en place pour souligner les métamorphoses que subies l’héroine du roman.»

Adama Togola est doctorant en littératures de langue française à l’Université de Montréal. Sous la direction de Christine Ndiaye, sa thèse porte sur l’appropriation du genre et l’inscription du savoir culturel dans le polar d’Afrique francophone.

Bocar Aly Pam

Dimension humaniste de la poésie de Senghor: un imaginaire au service de la tolérance et du respect de l’altérité

Au colloque tenu en hommage à Senghor au Maroc en 1990, le président Abdou Diouf concluait son message sur cette déclaration:

«Transformer le monde pour qu’il soit à la mesure de l’homme, à la mesure de ses aspirations et de son bien-être, c’est le rêve de tout homme politique. C’est aussi le rêve de tout poète. Il me semble que l’humanisme senghorien se trouve tout entier dans cette double et noble aspiration qu’aujourd’hui encore l’âge n’a pas entamée.»

Bocar Aly Pam est chercheur post-doctorant à l’Université Assane Seck au Sénégal. Sa thèse, publiée en 2012, portait sur la critique de la société africaine post-coloniale à travers quatre romans contemporains: L’impasse de Daniel Biyaoula (1996), Epitaphe d’Antoine Matha (2009), Place des Fêtes de Sami Tchak (2001) et Assèze l’Africaine de Calixthe Beyala.

David Yesaya

Black, Blanc, Beur: (d)écrire la tolérance dans «Le harki de Meriem» de Mehdi Charef

«Ces jeunes sont souvent catégorisés d’enfants d’immigrés, de seconde génération, Français de papiers, mais souvent traités d’étrangers. Généralement parqués dans les territoire perdus de la République, dans les banlieues pauvres et les autres milieux défavorisés, voire dévalorisés. Leur teint basané ne correspond pas à la couleur locale de l’Hexagone. De qui s’agit-il si ce n’est des Beurs?»

Dans cette communication, David Yesaya commencera par revisiter le terme Beur, tout en évoquant les réalités socio-culturelles auxquelles il renvoie. Yesaya abordera ensuite la notion de tolérance dans deux oeuvres de Mehdi Charef: Le Thé au harem d’Archimède et Le harki de Meriem.

David Yesaya est titulaire d’une licence en littérature française de l’Université de la Colombie Britannique et d’une maîtrise en littérature française de l’Université de Toronto. Il est présentement doctorant à l’Université de Waterloo en Ontario et s’intéresse à la littérature francophone.

Oubella Abdelkrim

Un cinéaste au chevet de la tolérance ou le transfert culturel de l’adaptation cinématographique

Le film La prière de l’absent est l’adaptation par Hamid Bennani, un réalisateur marocain, du roman du même nom de Tahar Benjelloun. Ce film donne à voir une réalité d’ensemble sur la société marocaine. Il offre un regard endogène qui permet de rendre compte de l’évolution de la société marocaine en faisant la part belle à l’anthropologie. Bennani y traite de la condition de la femme, de l’individu aux prises avec les structures oppressives, du rôle du patriarcat et, surtout, de la croyance populaire et de l’importance des pratiques rituelles face aux nouvelles donnes socio-économiques.

Oubella Abdelkrim est professeur à la faculté des Lettres et des Sciences humaines de l’Université d’Agadir au Maroc. Il a publié plusieurs ouvrages dont Progression narrative et thématique dans les romans de Tahar Ben Jelloun (2013) et L’adaptation cinématographique des oevures littéraires: Tahar Ben Jelloun, Nicolas Klotz, Hamid Bénani (2015).

Ching Selao

Quand la littérature condamne l’islamisme. (In)tolérance dans l’œuvre de Boualem Sansal

«Si Michel Houellebecq a imaginé, dans Soumission, que la France sera dirigée par un président du parti “La fraternité musulmane” en 2022, Sansal va plus loin dans son imagination que l’écrivain français puisque 2084 serait l’année de la fin du monde, comme l’indique son sous-titre.

De fait, l’empire “Abistan”, régi par le prophète Abi et où on y parle l’Abilangue, incarne le monde. Un monde totalitaire où chaque pensée est surveillée, aucune pensée libre ou personnelle n’est permise et où tous les habitants sont soumis à un seul dieu, Yölah.

À la différence de Soumission de Houellebecq, dont le titre met l’accent sur la soumission de l’état français devant les islamistes, Allah n’est pas explicitement mentionné dans 2084, pas plus que la religion musulmane, mais il est clair – comme l’a confirmé Sansal – qu’il s’agit d’un scénario inspiré par la montée de l’islamisme un peu partout dans le monde.»

La communication de Ching Selao explore les discours de tolérance et d’intolérance face à la religion à partir de l’œuvre de Boualem Sansal.

Ching Selao est professeure agrégée à l’Université du Vermont. Elle a publié un ouvrage sur la littérature vietnamienne francophone, co-édité un ouvrage sur la parodie dans la littérature francophone et édité un numéro de la revue Études françaises.

Isaac Bazié

Penser les seuils: tolérance et violences dans le roman africain

Dans cette communication, Isaac Bazié aborde la question de la violence historique et de la façon dont cette dernière nourrit le roman de violence dans le contexte africain afin d’éviter le reproche d’une adéquation directe entre monde réel et univers romanesque.

Bazié s’arrêtera aussi à la figure du lecteur de violences pour en décliner quelques caractéristiques. C’est par cet execercice qu’il sera démontré que la confrontation avec une violence dont le lecteur prend connaissance à partir du roman aura pour conséquence de le pousser à réduire la marge qui était consentie à la violence faite à l’autre, ou, encore, à la violence tout simplement.

Isaac Bazié est chercheur régulier à FIGURA, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire. Il est le directeur du département d’études littéraires à l’Université du Québec à Montréal. Il a complété son Ph.D. en littérature romane et comparée à l’Université de Bayreuth en Allemagne en 1998. Ses travaux portent notamment sur les théories post-coloniales, les théories de la réception (discours médiatiques et savants) et les théories de l’énonciation. Il s’intéresse également à la sociologie de la littérature, au concept de canon littéraire, aux différentes avant-gardes, aux rapports entre littérature et violence ainsi qu’à l’exotisme et l’altérité.

Elvis Nouemsi Njiké

La fin des plaisirs ou la tolérance zéro comme expression du refoulement dans «Timbuktu» d’Abderrahmane Sissako

«Quels sont les ressorts de l’intolérance? Pourquoi sommes-nous intolérants?

Cela me semble tout à fait déterminant dans la mesure où, à partir du moment où l’on a identifié l’intolérance, que fait-on? Est-ce que l’on décide qu’il s’agit d’intolérance et on met de côté, ou faut-il un processus qui viserait cette intolérance? Dans ce cas, il faudrait comprendre les ressorts de cette intolérance.»

Elvis Nouemsi Njiké est doctorant à l’Université de Toronto.  Son sujet de recherche est la littérature et le cinéma africains. Il a publié en 2016 Sans filet ni parachute et, en 2010, La maison sans fin, deux recueils de nouvelles.

Cynthia Etheves-Santangelo

Tolérance ou intolérance dans les manuels de français langue non maternelle. Exemple: la dernière année du lycée italien

«Ma recherche se base sur les manuels scolaires de français en Italie et remet en cause tout un système scolaire et politique linguistique.

J’aurais pu vous parler aujourd’hui de cette politique linguistique italienne peu claire, pour laisser l’espace aux dialectes italiens et aux langues minoritaires présentes sur ce territoire, ou encore de quelle image de la France est représentée dans les manuels de première année de lycée. Toutefois, j’estime que les manuels des linguistiques de dernière année se rapprochent plus de notre sujet, car il s’agit en réalité d’anthropologie littéraire créée par des  auteurs italiens pour un public italien.

Quel dialogue interculturel est présent dans ces manuels? Quel est le seuil de la tolérance dans ces manuels?»

Cynthia Etheves-Santangelo est correctrice, examinatrice et préparatrice au DELF au Centre Saint Louis Rome. Elle également doctorante en sciences du langage à Montpellier.

Souleymane Ganou

Rencontre des cultures dans le clip-vidéo francophone, une forme d’expression de la tolérance

«Comment la culture peut-elle être lieu de la manifestation de la tolérance?

L’œuvre d’art, de façon générale, est la somme des expériences multiples acquises par l’artiste. De ce fait, certaines de ces créations sont empreintes de cultures diverses, imbriquées dans les siennes. Le clip-vidéo ne déroge pas à cette caractéristique de l’art. On pourrait même dire que c’est le fort du clip que de réunir plusieurs cultures d’horizons divers en un seul lieu.»

Souleymane Ganou est chercheur doctorant à l’Université de Ouagadougou. Il est spécialisé en esthétique littéraire et artistique africaine. Son objet d’étude est le clip vidéo.

Komi Edinam Akpemado

Tolérance, indifférence et résignation dans le roman francophone d’Afrique

«L’utilisation de plus en plus prononcée du terme “tolérance”, surtout dans le discours public, m’amène à postuler que nous perdons en partie en vue ce qu’est la véritable nature de la tolérance.

Partant de ce postulat, que la notion de tolérance est sous-jacente aux agissements de bien de personnages dans la fiction francophone d’Afrique, et au regard de la complexité qu’elle présente pour saisie, cette communication s’appuiera essentiellement sur ces questionnements. Pour faire l’étude de la proximité, voir de l’ambiguïté, que la tolérance entretient avec des notions telles que la différence et la résignation.»

Komi Edinam Akpemado est actuellement chercheur post-doctoral au département d’études littéraires à l’UQAM. Il travaille essentiellement sur les questions de tolérance dans la littérature et le discours politique. Il a récemment publié De la recontextualisation de l’image de l’Afrique dans la littérature germanophone.

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