Entrée de carnet

transmettre la dépense

Bruno Goosse
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Article paru dans Images en transit – territoires et médiums, sous la responsabilité de Damien Beyrouthy et Christine Buignet (2018)

La présente proposition envisage de comparer l’histoire de deux bâtiments que Louis Empain (le fils d’un industriel belge ayant fait fortune dans les transports à la fin du XIX et au début du XXe siècle) a fait construire: l’un à Bruxelles, une villa qui orte encore son nom, bien qu’il ne l’ai presque pas habité, l’autre au Québec, à Sainte Marguerite-du-lac-Masson.

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En 1934, Louis Empain, découvre les grands espaces du Canada et s’en éprend. Il achète un terrain à Sainte Marguerite du Lac Masson, dans les Laurentides, afin d’y construire un centre de villégiature associant vie au grand air, sports et nature. Il engage le jeune architecte belge Antoine Courtens qui, en s’associant avec Louis Nicolas, construit le domaine d’Estérel. Ce dernier se compose essentiellement d’un hôtel, aujourd’hui disparu, d’un centre de loisir qui est aujourd’hui intégré dans un ensemble hôtelier de bien être, d’un centre commercial et communautaire et de maisons individuelles1.

Un peu plus tôt, en 1930, étant, depuis le décès de son père l’année précédente, à la tête d’une fortune colossale, Louis Empain, a fait construire par Michel Polac à Bruxelles une villa qui porte son nom : la Villa Empain. Cette dernière est aujourd’hui le siège de la fondation Boghossian qui l’a scrupuleusement restaurée et en a fait un Centre d’art et de dialogue entre les cultures d’Orient et d’Occident. Empain n’a presque pas vécu dans cette maison dont les travaux se sont terminés en 1935. En 1937 il la donnait à l’Etat belge, afin qu’il y installe un musée art déco.

En 1936, Empain décide d’être un philanthrope plutôt qu’un homme d’affaire. Il consacre alors sa fortune essentiellement à l’éducation des jeunes défavorisés.

Il s’agit donc de la dépense d’une fortune en une vie.

80 ans plus tard le centre commercial et communautaire de Sainte Marguerite est toujours là, mais il a un peu perdu de sa superbe.Depuis quelques années, le bâtiment attend une affectation, ou un projet.

Certaines choses se maintiennent, certaines choses s’abîment ou disparaissent. Il en va de la fortune comme de l’architecture.

Comparons la fortune du bâtiment bruxellois et celle du bâtiment canadien.

Quels sont les regards qui ont entraîné la restitution de l’un et quels sont les regards qui entraînent l’abandon de l’autre ? Comment vois-t-on l’un et l’autre ? Quel est l’écart en jeu et comment le montrer ?

C’est peu de dire qu’il y a quelque chose de la transmission qui se joue à différents niveaux dans cette histoire. Lorsqu’on reçoit une chose en héritage qu’en fait-on ?

Villa Empain, Bruxelles

Villa Empain, Bruxelles
(Credit : BG)

Louis s’évertue à la dépenser, mais pas de n’importe quelle manière. Dépenser semble transmettre. Ce qu’il reçoit il veut le donner, il veut décider à qui il le donne, il ne veut pas d’une transmission directe, par lignée familiale.

L’Etat reçoit la Villa pour en faire un musée. Il veut en faire ce qui lui plaît, au prix de perdre ce qui lui avait été donné.

Par la procédure de classement, la génération actuelle reçoit une chose du passé. Elle peut la conserver, la restaurer, s’en servir pour avoir accès à un monde disparu. Ou bien, se demander ce qui doit en rester ?

La manière dont les histoires se transmettent dans les choses sont la manière dont nous vivons.

Par ailleurs, la philanthropie, que parfois on appelle nouvelle, exerce une influence certaine sur la société. Que l’on pense aux grandes fondations d’art contemporain ou à certaines fortunes qui investissent dans la recherche médicale.

Quel rapport peut-on établir entre le fait de se départir d’un bien en le donnant, (dans le geste du philanthrope, c’est à dire en le référant à une visée sociétale) et le fait d’aliéner un bien en le classant (en aliénant par exemple la possibilité de l’adapter un nouvel usage). Ces deux opérations d’aliénation d’une propriété s’inscrivent à la fois dans la question de la transmission qui façonne une société et dans celle du capitalisme qu’elles ne remettent nullement en question.

Le projet de recherche artistique consiste à mettre en relations ces différents éléments.

1Le centre commercial et communautaire a été récemment utilisé par la commune de Sainte-Marguerite comme maison communale et centre culturel. Depuis quelques années, un nouveau bâtiment ayant été construit par la commune pour ces activités, le bâtiment est abandonné. Il a été classé et cité immeuble patrimonial en 2014. Aujourd’hui, il est en attente d’un investisseur et d’une affectation.

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