Hors collection, 01/01/2008

The Atlas Group Archive. Les imaginaires factuels d’une guerre civile

Vincent Lavoie
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Depuis plusieurs années déjà, l’artiste d’origine libanaise Walid Raad, fondateur de l’Atlas Group, réalise un projet consacré à la recherche et à la collecte de documents relatifs à l’histoire contemporaine du Liban. Ce projet a donné naissance à la constitution d’une archive, l’Atlas Group Archive (AGA), portant sur la guerre civile qui a ravagé le pays de 1975 à 1991. Créée dans le but d’identifier, de préserver et d’étudier des sources documentaires associées à ce conflit, l’AGA regroupe des pièces de nature et de provenance diverses: carnets personnels, bandes vidéo amateurs, documents photographiques ou coupures de journaux ayant appartenu à des anonymes, des institutions ou des organisations. Ces artefacts sont ordonnés selon les trois axes catégoriels que voici: documents de type A («Authored Files») attribués à des personnes imaginaires; documents de type FD («Found Files») provenant d’individus ou d’organisations anonymes; enfin, documents classés AGP («Atlas Group Productions») identifiés comme des productions de l’Atlas Group Archive. Ainsi donc se côtoient, dans une même entreprise de documentation à vocation mémorielle, des pièces manifestement fabriquées et des archives à l’authenticité incertaine. Or ces archives sont en vérité de pures inventions, au même titre que l’ensemble des constituants de cette oeuvre, ce qui confirme, comme s’il le fallait, la valeur fictive de celle-ci. Pour autant, l’AGA privilégie l’acquisition et la production de documents écrits et visuels rattachés à des pratiques discursives «factuelles» soumises à des impératifs de véridicité. Gérard Genette s’est intéressé à ces récits factuels – rapports de police, biographies, journaux intimes, comptes rendus journalistiques – pour les stratégies de fictionnalisation qu’il y décèle justement. Il constate en effet que le récit historique ou journalistique se révèle empreint de procédures fictionnelles – la mise en intrigue notamment – tandis que le roman ou le conte peut recéler des énoncés de réalité, tels l’expression d’un savoir ou le rappel d’un fait avéré. Il observe également nombre d’emprunts et d’échanges entre les régimes narratifs fictionnels et factuels, ce qui le conduit à refuser de les opposer symétriquement. C’est ainsi qu’il n’y a pas de ligne de partage nette entre d’un côté des récits à valeur testimoniale ou présumés objectifs sinon authentiques et, de l’autre, des narrations littéraires ou des affabulations romanesques. On ne saurait donc, soutient Genette, caractériser le récit factuel sur la seule base qu’il est exempt d’éléments de fiction.

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Cet article a d’abord été publié dans l’ouvrage Photojournalisme et art contemporain, sous la direction de Gaëlle Morel, aux éditions des archives contemporaines (Paris), en 2008.

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