Journée d'étude, 13 mai 2019

Le théâtre contemporain au tribunal. L’affaire «Golgotha picnic»

cover

La journée d’étude «Le théâtre contemporain au tribunal. L’affaire Golgotha picnic», organisée par Mathilde Barraband, s’est déroulée le 13 mai 2019 à l’Université du Québec à Montréal.

En 2011, la programmation de la pièce Golgotha picnic dans deux théâtres français a déclenché la colère de groupes traditionnalistes catholiques qui ont tenté par tous les moyens d’en faire empêcher les représentations. La mobilisation a pris la forme de manifestations, d’interventions dans les médias, de lobbying, mais aussi d’une série d’actions judiciaires qui n’ont pris fin qu’en Cour de cassation en novembre 2017. Cette incroyable saga dans un pays supposé incarner la liberté d’expression et la laïcité est éminemment révélatrice des conflits de normes qui le divisent, entre lois temporelles et intemporelles, entre règles de l’art et règles de droit.

«L’affaire Golgotha picnic» a occupé au cours des trois dernières années une équipe de chercheur.e.s en droit, lettres et linguistique, qui a cherché à mettre au jour les déterminations et les rouages de ce procès, qui s’est tenu dans l’espace public comme au tribunal, et qui a fait apparaître des conceptions souvent radicalement opposées de l’art, de l’humour, de la fiction ou encore des libertés individuelles. Cette journée d’études sera l’occasion pour l’équipe «L’art en procès» d’exposer pour la première fois les résultats de cette enquête collective.

Pour consulter les autres projets réalisés par le groupe de recherche franco-québécois L’art en procès, cliquez ici.

Communications de l’événement

Pierre Rainville

La profanation de la religion: le dilemme du droit pénal entre culte et culture

Le participant remarque plusieurs paradoxes dans la présente journée d’étude. «Le premier paradoxe consiste a envisagé la répression de l’art,  alors même que l’art est une forme d’expression qui semble, au contraire, s’affranchir naturellement des contraintes. Le deuxième paradoxe consiste à étudier une oeuvre théâtrale blasphématoire et à se pencher sur son sort judiciaire dans un pays qui ne connait pourtant pas d’infraction de blasphème. Le troisième paradoxe consiste à vous entretenir d’une infraction, le blasphème, qui vient tout juste d’être dépénalisé au sein du code criminel canadien. Pourquoi donc vous entrenir d’une infraction désuète et désormais disparue? Quatrième et dernier paradoxe, c’est le paradoxe qui oppose la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et la jurispridence de la Cour suprême du Canada. Alors comment aborder autant de paradoxes et réussir à les résoudre?» C’est par ces remarques que le participant ouvre la conférence inaugurale.

Anna Arzoumanov & Marie-Odile Richard

«Golgotha picnic» dans la presse: du débat esthétique à la polémique religieuse

Les participantes ont travaillé à partir des articles qui font écho à la polémique entourant la représentation de la pièce Golgotha picnic et qui ont contribué à la nourrir. Elles identifieront «les trois principaux types d’arguments qui sont mobilisés pour arbitrer la polémique» et il s’agira également des trois angles qui constitueront leur présentation. Tout d’abord, elles aborderont «les arguments qui portent sur le caractère de la pièce potentiellement blasphématoire, voir chirstianophobe». Puis, elles s’intéressont «aux arguments qui invoquent la visée moraliste de la pièce». Finalement, elles se pencheront sur «ceux qui se rapportent à la question de l’esthétique et des droits imprescriptibles de l’art».

Geneviève Bernard Barbeau, Marty Laforest & Jessica Rioux-Turcotte

La réception citoyenne de «Golgotha picnic»: de l’art et de la religion

«Golgotha picnic a fait l’objet d’une importante controverse dans les sphères politiques, religieuses, médiatiques et journalistiques, mais la pièce a aussi suscité d’importantes réactions dans la population, qu’ils s’agissent d’applaudissements ou de reproches. Les citoyens ont pris la parole dans l’espace publique, entre autres, dans les commentaires à la suite d’articles journalistiques pour partager leur point de vue sur la pièce, qu’ils l’aient vue ou non. Leurs positions antagonistes, qui sont caractéristiques de la polémique provoquée par l’affaire, sont révélatrices du regard qui est posé par des non-spécialistes sur la pièce, sur l’auteur, mais aussi, de façon plus large, sur la liberté de création et d’expression des artistes.» C’est à ce «regard du citoyen que l’on peut dire ordinaire» que les participantes s’intéressent ici «en ce qu’il peut être révélateur de sensibilités particulières et permettre également de mesurer s’il y a différence ou non entre ce regard citoyen et le regard des professionnels». L’objectif de la communication est «de mettre en lumière ce que les internautes, les citoyens, qui ont pris part au débat autour de Golgotha picnic ont jugé acceptable ou inacceptable en matière notamment d’art et de religion». Les participantes souhaitent également «donner à voir ce choc des points de vue antagonistes qui se présente comme étant caractéristique de la société française actuelle en cette matière d’art et de religion».

Mathilde Barraband

Les traditionalistes au tribunal. Comment retourner les droits de l’homme contre eux-mêmes

«Ce sont principalement deux associations catholiques traditionnalistes qui ont mené la campagne contre Golgotha picnic. Il s’agit de l’Alliance Générale contre le Racisme et pour le respect de l’Identité Française et chrétienne (AGRIF), présidée par Bernard Antony, représentant de l’aile catholique du Front National, et de l’institut Civitas, mené par Alain Escada. L’AGRIF porte la bataille des tribunaux tandis que Civitas s’occupe de l’opinion publique, c’est-à-dire qu’elle mobile, organise des manifestations, des prières de rue, des pétitions, etc. Les deux groupes ont en commun leurs revendications identitaires et leur très grande proximité avec l’extrême-droite, même si leurs affinités particulières ne sont pas exactement les mêmes. Les deux associations se rejoignent dans leur condamnation absolue de ce qu’elles appellent le ”pseudo-art contemporain”, qui incarne à leurs yeux toutes les tares de la société contemporaine : il est laid, provocateur, immoral, de gauche, international et très souvent blasphématoire» et c’est ce discours commun à l’AGRIF et à Civitas, spécifiquement autour de la diffusion de la pièce Golgotha picnic, qui intéresse la participante dans cette communication.

Anna Arzoumanov

La fiction: une catégorie opératoire pour défendre l’art?

«Faut-il protéger davantage la création que les autres formes d’expression? Si oui, comment défend-t-on l’art autrement que par l’argument de l’exception artistique? Cet argument part du présupposé qu’il faut appréhender l’oeuvre d’art, et en particulier l’oeuvre littéraire, avec des catégories de réception distinctes des autres formes d’expression. On se heurte alors à la question insoluble de la définition de l’art et de ses limites. À en croire les décisions judiciaires des vingt dernières années et un bon nombre de travaux académiques en droit, la fiction serait devenue une catégorie phare pour défendre la création, qui permettrait de juger des créations et de sortir de cette impasse qu’est l’argument de l’exception artistique.» La participante voit dans cette catégorie une possibilité de raccourci entre création et fiction et l’explique à partir de l’affaire Golgotha picnic et, particulièrement, à travers l’évolution de la compréhension et de l’utilisation de la fiction par les deux partis opposés en cour.

Arnaud Latil

Exprimer, provoquer ou exhorter. L’affaire «Golgotha picnic» à la lumière de la mutation du délit de provocation à la haine

«La censure a changé de camp. Longtemps apanage des États, elle semble dorénavant se trouver à la portée de tous.» En visitant, entre autres,  l’affaire Golgotha picnic, le participant expose une pratique de plus en plus courante dans l’espace public: «le militantisme des procureurs d’opinions».

Type de contenu:
Dans le cadre de:
Ce site fait partie de l'outil Encodage.