Colloque, 24 avril 2015

De la tête aux pieds: inquiétantes visions du corps chez la Castiglione et Robert de Montesqiuou

Andrea Oberhuber
couverture
La chair aperçue. Imaginaire du corps par fragments (1800-1918), événement organisé par Véronique Cnockaert et Marie-Ange Fougère

La démarche de la comtesse de Castiglione et du comte de Montesqiuou relève d’un rapport à la figuration de soi essentiellement par la peinture et la photographie (je m’intéresserai surtout à la photographie) qui a de quoi nous étonner encore aujourd’hui, à l’ère de la prolifération de subjectivités inventées, à l’ère des réseaux sociaux ou les blogues personnels. Les deux aristocrates, qui appartiennent à l’époque du Second Empire et de la Troisième République, témoignent d’un sens de la théâtralité les amenant à construire des images et des masques de soi, dans le sens de personne, les uns plus spectaculaires que les autres. Chez la Castiglione, s’étant livrée à d’innombrables séances chez le photographe dans l’atelier Mayer et Pierson, de même que chez l’esthète Montesquieu, son fervent admirateur, le soucis du corps, de certaines parties du corps et de leur représentations picturales, parait particulièrement important. Dans les deux cas de figure, si La dame de coeur (c’est le titre d’un des portraits) est le modèle ayant servi à imaginer divers personnages, soucieux de créer des images en sérialité, ne règlent pas les détails techniques de la prise de vue ni n’appuient sur le déclencheur de l’appareil photographique, ils signent responsables de la chorégraphie – souvent d’ailleurs singulière – de la mise en scène de leurs corps.

Ce souci du corps théâtralisé – et par moments fragmenté – rappelle sa valeur de memento mori que le médium photographique permet de fixer, d’arracher à la chaine évènementielle d’une temporalité qui renvoie à la finitude de l’existence humaine. Support matériel, rappel de l’immanence de l’enveloppe charnelle, les corps féminin et masculin font office d’écrans de projection. C’est dans un permanent jeu des apparences qu’évoluent les corps des acteurs mondains pris non seulement dans le miroir social de leur époque mais, aussi, dans le fantasme d’une subjectivité grandiose. Le corps médiatisé, décliné dans une riche variation de poses, de postures et de visions fragmentaires, s’avère le lieu où se déroule – comme sur une scène de théâtre – le processus d’invention de soi propre à la modernité.

Andrea Oberhuber est chercheure régulière à FIGURA, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire. Elle est professeure titulaire au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal où elle enseigne les littératures française et québécoise, notamment l’écriture des femmes (XIXe-XXIe siècles), les avant-gardes historiques et la photolittérature.

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