Article IREF

Conclusion

Line Chamberland
Christelle Lebreton
Michaël Bernier
couverture
Article paru dans Stratégies des travailleuses lesbiennes face à la discrimination: contrer l’hétéronormativité des milieux de travail, sous la responsabilité de Line Chamberland, Christelle Lebreton et Michaël Bernier (2012)

En procédant à une relecture des résultats concernant les travailleuses lesbiennes issus d’une recherche menée il y a quelques années sur l’insertion des personnes homosexuelles dans leur environnement de travail, nous avons pu relever les nombreuses stratégies que celles-ci déploient afin de s’y intégrer sur les plans professionnel et interpersonnel, malgré les barrières sexistes et les préjugés lesbophobes susceptibles d’entraîner de la discrimination à leur égard. La question se pose: ces données ont-elles vieilli? Certes, les législations reconnaissant la conjugalité et la parentalité homosexuelle ont favorisé la visibilité et la légitimité de la présence des gais et des lesbiennes dans les diverses sphères de la vie sociale, y compris le travail. Néanmoins, plusieurs indications donnent à penser que l’égalité sociale n’est toujours pas atteinte et que les lesbiennes demeurent peu visibles, comparativement aux gais, dans l’ensemble de ces sphères. L’on peut également supposer que les types de difficultés rencontrées par les travailleuses lesbiennes ainsi que l’assortiment de stratégies mises en œuvre pour y faire face demeurent relativement inchangées. Enfin, rappelons le biais d’échantillonnage découlant du recrutement de participantes volontaires, affirmées dans leur vie privée et œuvrant en majorité dans des secteurs réputés relativement plus ouverts à la diversité sexuelle, bref un biais favorisant un portrait moins sombre plutôt que noirci.

De façon générale, nous avons constaté que, d’un côté comme de l’autre de l’océan, en France comme au Québec, les pratiques virilistes et les manifestations sexistes rapportées par les lesbiennes sont semblables, même si elles varient en fréquence et en intensité selon les milieux de travail. Dans notre recherche et dans celle de Watremez (2008), les expériences des travailleuses lesbiennes concourent à révéler l’organisation sociale des sexes, des genres et des sexualités. Partir de l’existence lesbienne pour observer les modalités de mise en relation des hommes et des femmes en milieu de travail permet de montrer que la sexualité est au cœur de ces modalités. La sexualité apparaît ainsi fonctionner en tant que structure d’organisation du social.

Un travail d’explicitation théorique et empirique autour des concepts de sexisme et de lesbophobie, et de leur articulation, reste à mener, bien qu’il soit complexifié par la position hégémonique occupée par le concept d’homophobie dans les champs politique et académique (Chamberland et Lebreton, 2011). Dans nos entrevues, plusieurs participantes vivant des formes de discrimination et de harcèlement en milieu de travail ont manifesté leur hésitation ou leur confusion quant à déterminer ce qui déclenchait les comportements hostiles et dénigrants de leur entourage de travail: est-ce parce qu’elles sont lesbiennes ou parce qu’elles sont des femmes? L’intersectionnalité des logiques de domination complexifie en effet l’analyse des situations rencontrées par les lesbiennes, et plus généralement les femmes, en milieu de travail. Ceci est vrai aussi bien du point de vue des femmes elles-mêmes que d’un point de vue analytique et théorique. La poursuite d’analyses intersectionnelles, qui pourraient également prendre en compte d’autres logiques produisant des infériorités sociales comme le racisme, le handicap ou l’âge, nous apparaît indispensable.

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