Hors collection, 01/01/2013

La spatialité troublée dans le roman journal «René Leys» de Victor Segalen

Rachel Bouvet
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S’il est rare qu’une intrigue se construise à partir d’une configuration spatiale, en revanche, il est d’usage que le premier mot d’un journal soit un toponyme, qui ancre l’énonciation dans un lieu précis, avant même que la date soit donnée. «Pei-king, 20 mars 1911», peut-on lire au début de René Leys de Victor Segalen. Quand on sait que l’énonciateur se nomme lui aussi Victor Segalen, qu’il exerce la profession de médecin, que son séjour à Pékin coïncide avec celui de l’auteur, qu’un document intitulé «Annales secrètes d’après Maurice Roy» relate les rencontres avec un jeune homme qui servira de modèle au personnage principal, René Leys, la forme choisie, celle du journal, semble tout à fait justifiée. Par ailleurs, la carte de Pékin, insérée au tout début du livre dans la collection «Bouquins», renforce la dimension référentielle du récit. En offrant une représentation en deux dimensions du lieu de l’énonciation, dans laquelle les parallélogrammes retiennent immédiatement l’attention, le plan donne l’opportunité de situer le récit dans l’espace: «C’est ici que je vis, dans cette ville aux formes géométriques nettement identifiées, voici l’espace quotidien que je parcours» — semble nous dire l’auteur du journal. Toutefois, le titre, René Leys, de même que le préambule, où il est question d’un «livre qui ne sera pas», mais qui aurait été «plus vendable que n’importe quel roman patenté» renvoient indiscutablement à la forme romanesque. Il faut se rendre à l’évidence: il s’agit bel et bien d’une forme hybride entre le roman et le journal, d’un récit à la spatialité troublée étant donné qu’il multiplie les paradoxes, les pièges, les renversements. Pris au jeu, le lecteur n’a d’autre choix à la fin de sa traversée que de reconfigurer entièrement le récit selon une nouvelle perspective dans l’espoir de percer le secret. Et c’est à partir des indices reliés à la spatialité que s’effectue cette recherche de la cohérence, une recherche dans laquelle le mode herméneutique cède très vite la place au mode ludique.

Suite en format pdf.

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Ceci est la version préliminaire de l’article publié dans Florence de Chalonge, dir., Énonciation et spatialité. Le récit de fiction (XIXe-XXIe siècles), Lille, Éditions du Conseil scientifique de l’Université Lille 3, coll. «Travaux et recherches», 2013, p. 87-101.

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