Colloque, 26 mai 2017

Grégory Chatonsky: l’art d’une fiction sans histoire?

Arnaud Regnauld
couverture
Littérature et dispositifs médiatiques: pratiques d’écriture et de lecture en contexte numérique, événement organisé par Chaire de recherche du Canada sur les arts et la littérature numériques ALN et PAI / LMI Literature and Media Innovation

Au temps qui passe de la chronologie et de l’histoire succède ainsi un temps qui s’expose instantanément. Sur l’écran du terminal, la durée devient «support-surface» d’inscription, littéralement ou plutôt cinématiquement, le temps fait surface. Grâce à l’imperceptible matériau du tube cathodique, les dimensions de l’espace deviennent inséparables de leur vitesse de transmissio1Paul Virilio, L’espace critique, Paris: Christian Bourgeois, 1984, p. 15.. À l’occasion d’un entretien2Grégory Chatonsky et Dominique Moulon, «Grégory Chatonsky. Une esthétique des flux», http://www.moulon.net/pdf/pdfin_08.pdf, Site consulté le 1er novembre 2016. accordé à Dominique Moulon, Grégory Chatonsky expliquait comment il avait cherché à «recompose[r] le temps par l’espace» dans l’oeuvre intitulée Readonlymemories, c’est-à-dire à donner forme au temps en mettant à plat la succession des instants comme les étaler à la surface de l’écran. Cette distorsion du point de vue cinématographique rappelle bien sûr le jeu sur la focalisation des fictions modernistes et postmodernistes à partir de la mise à plat synchronique du processus séquentiel propre au montage cinématographique. Or, l’originalité du travail de Chatonsky réside précisément dans cet arrêt sur images multiples qui spatialise le temps, dans la droite ligne des expérimentations narratives menées au début des années 1990 aux Etats-Unis, mais aussi des explorations picturales du cubisme, et dont les images en 3D de Readonlymemories III constituent un prolongement encore plus radical… En digne héritier du postmodernisme, Chatonsky remet en effet en question la narrativité même avec pour horizon l’élaboration d’une fiction sans narration, c’est-à-dire dépourvue de diégèse, mais également sans instance narrative, car anonyme, machinique et collective: «Tout se passe comme si une fiction, ici une machine, rêvait nos vies, utilisait la matière même de nos existences dans son sommeil», déclare l’artiste dans un texte-manifeste3Idem, «La fiction sans narration (FSN)», 2012. http://chatonsky.net/fsn/ Site consulté le 1er novembre 2016.. D’où la question suivante qui constituera le point de départ de notre réflexion : dans quelle mesure la discrétisation et le montage semi-aléatoire des flux captés sur la Toile qu’ils soient visuels, textuels, ou sonores, contribuent-ils à l’émergence d’un nouvel imaginaire de la fiction en tant que surface projective qui chercherait à se soustraire au principe de causalité et de fait, à la logique du récit?

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    Paul Virilio, L’espace critique, Paris: Christian Bourgeois, 1984, p. 15.
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    Grégory Chatonsky et Dominique Moulon, «Grégory Chatonsky. Une esthétique des flux», http://www.moulon.net/pdf/pdfin_08.pdf, Site consulté le 1er novembre 2016.
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    Idem, «La fiction sans narration (FSN)», 2012. http://chatonsky.net/fsn/ Site consulté le 1er novembre 2016.
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