Entrée de carnet

Entretien avec La Peuplade

Marie-Hélène Voyer
couverture
Article paru dans Antichambre: entretiens et réflexions, sous la responsabilité de Équipe Salon double (2013)

La Peuplade édite des ouvrages de littérature canadienne francophone actuelle. La maison publie de la poésie contemporaine, du roman ainsi que des entretiens sur les arts. Soucieuse d’enrichir son catalogue d’œuvres originales et fortes, la jeune maison d’édition demeure réceptive à la publication d’autres genres littéraires, notamment les essais en sciences humaines et sur les arts visuels. La maison publie des auteurs issus de l’ensemble du territoire. Elle propose une littérature de découverte et se tourne naturellement vers la nouvelle génération d’écrivains, vers les auteurs émergents.

Salon Double [SD] – Qu’est-ce qui a motivé votre décision de fonder une nouvelle maison d’édition? Est-ce que vous sentez que votre maison d’édition a permis de combler un manque dans la scène littéraire contemporaine?

La Peuplade [LP] – C’était en 2005, nous arrivions au Lac-St-Jean, la région choisie pour l’achat d’une maison sur le territoire. L’idée en tête: créer un projet artistique tout en faisant le pari de la vie en région. Un matin, la une du cahier Livres du journal Le Devoir annonçait l’acquisition de Sogides par Quebecor. Ça été un déclencheur pour nous: il fallait contrer le grand par le petit et redonner leurs lettres de noblesse à Roland Giguère (Éditions Typo, l’Hexagone), à Gaston Miron (l’Hexagone), et les autres (chez VLB) qui devaient se retourner dans leurs tombes –ou dans leurs salons. À la création de La Peuplade en 2006, nous ne pouvions nous imaginer ce chemin que nous allions parcourir et cette réelle place que nous allions occuper dans le paysage éditorial et littéraire québécois. La reconnaissance s’est vite fait sentir, par des recensions dans les médias, par des commentaires opportuns, par les réussites de chaque jour. Nous avons lancé la maison au Pied de Cochon le 6 juin 2006 et, déjà, la curiosité était piquée. Je ne saurais dire quelle est la nature du manque que nous comblons maintenant, mais nous avons amené sur l’échiquier des pions uniques, authentiques, à têtes rêveuses.



[SD] – Quelle politique éditoriale vous êtes-vous donnés, quelle ligne directrice ou vision de la littérature vous oriente? Est-ce que votre politique éditoriale a changé depuis le début de vos activités?

[LP] – Au départ, il a été clair que nous allions nous concentrer sur des collections de littérature précises: la poésie et la fiction. Nous avions également envie de développer l’entretien littéraire comme genre pratiquement inexistant au Québec, sinon avec les journaux ou avec le travail de Jean Royer. Deux livres d’entretien ont été réalisés –le premier sur le travail de l’écrivain Hervé Bouchard et le second sur le travail du cinéaste Hugo Latulippe. Ce sont des livres complexes à faire et ils ont pour but d’immortaliser, dans le temps et dans la mémoire collective, les démarches et les idées de créateurs importants qui, même si l’on peut juger –ou non– qu’ils ne le sont pas au moment de l’entretien, marquent ou marqueront leur époque dans leur pratique respective.

La Peuplade choisit le texte avant tout. La seule façon d’aborder la littérature est de le faire à partir du texte. C’est ce qui prime. Il arrive aussi qu’une autre question se pose, une fois qu’un texte avec des qualités exceptionnelles ait été déniché: «Est-ce que ça vient chez La Peuplade?». La Peuplade a son identité propre, des goûts personnels.

L’idée que l’art doit peupler le territoire s’inscrit également dans notre politique éditoriale, idée que nous gardons comme cap et qui nous ramène inlassablement à nos origines. Nous occupons le territoire. Nous désirons éviter la centralisation du savoir, des pratiques, des arts, du succès. Établie en région, notre maison est sans frontières.

[SD] – Qu’est-ce qui vous intéresse dans une écriture ou un projet, vous amène à choisir un texte en particulier parmi les manuscrits que vous recevez?



[LP] – Il n’y a pas de livre sans écrivain. Dans un premier temps, l’écriture doit être celle d’un écrivain, car celui-ci fabrique, avec le temps, la littérature. Nous nous attardons à priori à la démarche de l’auteur d’un manuscrit proposé, nous questionnons les motivations de l’auteur d’un projet, nous voulons en savoir plus sur ce qui est imaginé pour le futur. Choisir un texte dans le but d’en faire un livre signifie choisir de marcher dans un sillon –tracé ou à tracer– en compagnie de l’éclaireur dudit chemin, aux côtés d’un artiste de la littérature.

Aussi, nous regarderons consciencieusement l’écriture, l’indicateur premier de la maîtrise que l’auteur a de son art. La maîtrise de la langue permet à l’écrivain de développer de grandes qualités comme la nuance, le raffinement, la précision. Les mots justes ouvrent la voie aux idées les plus alambiquées. Nous recherchons des écrivains qui sont des passionnés de la langue, bien avant l’idée de l’utiliser pour écrire un livre. Nous recherchons des gens curieux, qui veulent apprendre, qui veulent aller plus loin, qui veulent prendre part à un échange sur le texte –la matière–, qui veulent contribuer à faire d’un texte le meilleur livre. Le processus de publication nécessite de la générosité.

[SD] – Comment peut-on assurer sa diffusion et sa survie quand on est un «petit» joueur dans le monde de l’édition québécois, où quelques groupes d’éditeurs obtiennent pratiquement toute la visibilité, tant en librairie que dans les médias? Quel rôle joue le numérique dans votre stratégie de commerce?



[LP] – Le «petit» joueur ou la petite boîte d’édition doit trouver, avant tout, le distributeur québécois qui sera le plus à même de défendre et de diffuser ses collections. Chaque distributeur a ses forces et ses spécialités. En dehors de cela, chaque maison d’édition doit élaborer ses stratégies de médiatisation et de représentation du travail de ses auteurs, grâce à quoi petite maison deviendra grande. Ce n’est pas la visibilité qui est le plus difficile à obtenir, mais la légitimité et la reconnaissance du contenu. Quand la place est taillée à même l’arbre, quand on juge votre travail désormais nécessaire, tout est possible. Il faut alors s’organiser.

S’organiser sur tous les plans. Penser à tout, à tous les intervenants de la chaîne du livre. Être toujours en avance. Peser les mots. Être acteurs. Être joueurs. Pour le numérique, il a fallu rapidement devenir un joueur. Prendre la place du marché qui nous était offerte. Rapidement, on est devenu joueur et, progressivement, La Peuplade apprivoise sa nouvelle peau, en proposant ses nouveautés en numérique, en numérisant peu à peu son fond, en réfléchissant sur les avenues, sur l’avenir du numérique et comment l’aborder. Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Nous avons envie d’aborder le livre numérique différemment que le livre papier (encore, pour nous, l’objet parfait que nous aimons profondément.


[SD] – On a le sentiment que le milieu littéraire québécois est très petit, et encore plus réduit quand on se concentre sur ceux qui s’éloignent de pratiques littéraires à vocation commerciale et optent pour une vision plus rigoureuse, plus audacieuse de l’écriture. Quelle importance a la communauté, celle des auteurs, des autres éditeurs, des libraires, pour vous?



[LP] – Le milieu littéraire québécois est peuplé de gens inspirants et formidables. On fait sa rencontre et on n’a plus envie de le quitter. On souhaite l’enrichir et le développer. En effet, le milieu est petit et tout le monde vient à se connaître. En vivant loin de Montréal –le lieu de toutes les rencontres–, La Peuplade n’est parfois pas à jour dans ses relations avec les communautés d’auteurs, d’éditeurs et de libraires. Or, cela est garant de l’indépendance que nous recherchons dans l’exercice de notre métier. C’est d’abord et avant tout une indépendance de choix qui guide notre travail. Les écrits que nous choisissons nous transportent suffisamment pour s’imaginer les défendre pour toujours (du moins, le temps d’un contrat!). Les auteurs qui viennent vers La Peuplade nous adoptent pour notre rigueur et notre passion, peu importe la distance qui nous sépare.

À cet égard, il faut ajouter que rigueur ne s’oppose pas nécessairement à commercial. Quelle maison d’édition espère entasser ses livres dans un entrepôt? Vouloir vendre des livres n’est pas un mal. Vendre un livre signifie que celui-ci sera lu par une personne de plus et non destiné au pilonnage, pratique que nous dénonçons.



[SD] – Quels sont vos coup de cœur et coup de gueule du moment, par rapport à la situation littéraire ou aux derniers événements littéraires au Québec?

[LP] – Le texte demeure, pour nous, central. Il en est autrement dans les médias. Par exemple, les livres à l’émission Tout le monde en parle sont tout à fait éclipsés de la table, alors qu’a priori ils sont l’objet de l’invitation de l’écrivain. En matière d’art littéraire, cette puissante équipe de télévision passe la plupart du temps à côté de l’essentiel. Comme il aurait été intéressant que Guy A. Lepage demande à Vickie Gendreau: «Pourquoi écrire un livre quand on est condamnée à mourir?»… Ce n’est malheureusement pas sous cet angle qu’on aborde d’habitude la littérature et l’écriture dans les médias québécois.

Sur une note plus positive, nous voulons souligner les nouvelles maquettes de livres de nombreux éditeurs québécois. Depuis 2000, on a vu l’apparition de plusieurs maisons d’édition, ce qui n’a pas été sans transformer le milieu éditorial québécois. L’émergence conduit au progrès, au renouvellement de tous.

[SD] – En tant que maison d’édition située loin de la métropole, pensez-vous que la réalité montréalaise éclipse celle du reste du Québec, tant dans le circuit littéraire que dans les oeuvres qui sont publiées actuellement? Ou qu’il y a un retour du balancier (voir numéro de Liberté et certains de leurs propres auteurs).



[LP] – Montréal est Montréal. Québec est Québec. St-Fulgence-de-l’Anse-aux-Foins est St-Fulgence-de-l’Anse-aux-Foins. Il n’en tient qu’aux écrivains de rendre lisibles les histoires qui se dissimulent dans les paysages. La Peuplade croit sincèrement que l’art doit peupler le territoire, jusque dans les villages. Nous résistons aux phénomènes qui voudraient exclure, ou simplement oublier, d’autres réalités. La métropole génère évidemment bien des trajectoires, mais on gagne toujours à élargir les horizons.



[SD] –  Alors qu’une maison d’édition choisit habituellement une police de caractère unique pour toutes ses œuvres afin de contribuer à se faire une «image de marque», vous semblez choisir une nouvelle typographie pour chaque œuvre. Comment se déroule ce processus? En collaboration avec l’écrivain ou selon votre propre choix?



[LP] – L’image de marque de La Peuplade se situe principalement dans ses couvertures, puisque chaque œuvre qui les orne est celle d’un artiste contemporain québécois qui reçoit le manuscrit après qu’il ait été sélectionné pour publication. Nous avons, jusqu’à maintenant, privilégié le dessin. Le dessin est la base des arts visuels. Il n’est pas rare que l’artiste produise plus d’une œuvre.

La typographie vient s’ajouter ensuite, une fois que l’œuvre finale a été approuvée par les éditeurs et par l’auteur.

Pour en savoir plushttp://www.lapeuplade.com/
Lisez la brève à propos du recueil Point d’équilibre de Mélissa Verreault ici.

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